Covid-19 : les laboratoires, suspects de prospérer sur la maladie, tentent de soigner leur image

5437685854_d630fceaff_b-

316
Partager :

Lancements d'essais cliniques ou dons de médicaments: les annonces se multiplient du côté des laboratoires pharmaceutiques, qui n'ont jamais autant occupé les gros titres que depuis l'irruption du Covid-19, cherchant au passage à soigner une image parfois écornée par des scandales et les liens sulfureux plusieurs fois démontré et dénoncés entre le monde politique et les industries pharmaceutiques.

Le secteur s'est lancé en force dans la lutte contre le nouveau coronavirus, avec notamment 70 projets de vaccins selon l'OMS, lancés par des mastodontes comme le Français Sanofi ou par des biotechs comme l'Américaine Moderna. 

Les essais se multiplient aussi sur les traitements, principalement des médicaments déjà existants que les "big pharma" annoncent parfois donner. Ainsi, comme Sanofi, l'israélien Teva, l'allemand Bayer ou encore le suisse Novartis ont promis des millions de doses gratuites de chloroquine ou de son dérivé, l'hydroxychloroquine. A quoi s'ajoutent des fonds pour venir en aide aux soignants. 

A la faveur de ces initiatives, divers scandales ayant touché le secteur, comme la crise des opiacés aux États-Unis, l'affaire du Mediator en France ou encore les traitements à deux millions de dollars, pourraient être un temps relégué en arrière-plan. 

"C'est une industrie confrontée à une problématique de perte de confiance depuis longtemps, et cette crise est une opportunité de montrer qu'elle innove depuis des années (...) et se montre citoyenne", estime Olivier Wierzba, directeur associé au Boston Consulting Group. 

"C'est une immense aubaine pour le secteur", juge de son côté Stéphane Billon, économiste de la santé et fondateur du cabinet de conseil Kamedis, qui considère que l'industrie peut ainsi "redorer son blason en faisant mine de donner, mais ce qu'elle donne est très loin en ratio de ce qu'elle va gagner".

Des chercheurs viennent d'ailleurs de publier une étude dans le "Journal of Virus Eradication", montrant que les coûts de fabrication des médicaments déjà existants et actuellement testés face au nouveau virus étaient très faibles... pour des prix de vente parfois beaucoup plus élevés.

Manne financière 

Le coût de production minimal pour une dose journalière de l'antiviral remdesivir reviendrait à moins d'un dollar. Dans la foulée d'annonces encourageantes à la suite d'essais cliniques, le laboratoire américain Gilead Sciences, qui le produit, a vu son cours s'envoler, gagnant même 30% depuis mi-janvier.

Quant au coût de fabrication d'une dose journalière de chloroquine, qui fait les gros titres depuis quelques semaines, il ne représenterait que 2 cents.

Pour ce dernier, le prix de vente d'un traitement de deux semaines diffère largement selon les pays, allant d'un dollar en Inde... à 93 dollars aux États-Unis. 

Le secteur serait-il donc le grand gagnant de la crise, entre une image améliorée et une manne financière pour le découvreur d'un traitement ? 

Tout dépendra en réalité du type de traitement qui sera approuvé et des pays où il sera distribué, les États-Unis ne contrôlant pas les prix des médicaments autant que l'Europe, nuance Dimitrios Andritsos, professeur à HEC. 

"D'un côté, il y a une pression immense des pouvoirs publics pour avoir accès à un traitement. De l'autre, un potentiel pour faire des profits s'il s'agit d'un nouveau traitement, mais pas s'il s'agit d'un traitement ancien, sous forme générique, que plusieurs laboratoires différents pourraient vendre", dit-il. 

La question est importante. "En 2014, les prix des nouveaux traitements contre l'hépatite C ont conduit l’État français à rationner l'accès aux soins, en réservant pendant plus de deux ans les médicaments aux seules personnes à un stade avancé de la maladie", rappelait dans un communiqué cette semaine l'association France Assos santé. 

"Tout ce qui est en train d'être fait aura des retombées relativement modestes a priori, notamment car, soit cela arrivera après la bataille, soit on leur demandera des efforts significatifs sur les prix", considère pour sa part Eric Le Berrigaud, analyste du courtier Bryan, Garnier & Co. 

Plus que de profits à court terme, le secteur pourrait surtout bénéficier d'un pouvoir de négociation accru face aux pouvoirs publics. 

Pour Eric Le Berrigaud, il est dans l'ADN des laboratoires d'agir face à la pandémie... "Avec l'espoir que le jour venu, lorsque sera discuté un futur médicament, on se souviendra qu'ils ont fait cet effort à un prix faible", dit-il. Ce qui est loin d’être acquis.

Se pose toutefois la question des négociations à venir sur les prix des médicaments entre les industriels et des États voyant leurs déficits se creuser.

Dans ces conditions, "le secteur pharmaceutique va être sous pression importante", estime Olivier Wierzba.  

lire aussi