Crise de l’enseignement privé : ce que la fronde des parents d’élèves rappelle

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"Certains citoyens perçoivent sans doute mal les retombées de ces réalisations sur leurs conditions de vie, notamment en termes de satisfaction de leurs besoins quotidiens et singulièrement en ce qui concerne la fourniture de services sociaux de base, la réduction des inégalités sociales, le renforcement de la classe moyenne.’’ Discours du Trône- 2019.

Les parents des élèves des écoles privées avaient encore quelque espoir que le ministre de l’Education Nationale arbitre leur litige sur le payement de la troisième tranche d’un enseignement qui n’a été assuré que partiellement ou pas du tout. Ils sont maintenant édifiés. Devant la commission de l’enseignement de la Chambre des représentants, Saïd Amzazi n’a pu faire que constater les lacunes de la loi régissant l’enseignement, qui paralysent toute possibilité de contraindre les écoles privées à un quelconque compromis avec les parents. 

On connait comment ces lois et par qui elles ont été confectionnées sur mesure pour transformer « le gestion déléguée d’un service public » en seulement, la plupart du temps, une vache à traire. Ce qu’il faut retenir des propos du ministre c’est que l’Etat qui a montré ces quatre derniers mois sans trembler, pour notre grande bonheur, sa puissance et sa forte capacité de mobilisation et de déploiement pour faire face, peut-être à la plus grave crise que le Maroc indépendant a eu à affronter, serait incapable d’amener moins de six mille patrons d’écoles à un compromis avec les parents d’élèves. 

Tout ce que ce grand et tentaculaire département a pu faire c’est tenter de rapprocher les positions. Sans résultat probant.  

Ce n’est sans doute qu’un détail dans les péripéties de l’éducation nationale qui n’est pas à une défaillance près, mais c’est dans le détail que niche le diable. Car derrière les propos du ministre, c’est l’Etat supposé impartial, en tout cas régulateur et à l’occasion arbitre qui disparait. 

L’arbre qui cache la forêt

Devant des députés peu empressés à trop l’interpeler, le ministre n’a pas manqué de louer l’apport de l’enseignement privé. Comment pouvait-il en être autrement si ce dernier déleste le gouvernement d’une lourde charge constitutionnellement dévolue à l’Etat. Dans sa lancée, le ministre a affirmé, maigre consolation, qu’un « grand nombre » d’établissements a réagi positivement à ses sollicitations, mais il était dans l’incapacité de fournir un chiffre. Il n’a pas dans ses prérogatives, a-t-il précisé, le contrôle de 5828 écoles comptant plus d’un million d’inscrits.  

 Soit ! Il est cependant de ses compétences de contrôler si la continuité pédagogique de l’école a été assurée rigoureusement par l’ensemble des établissements et livrer des évaluations académiques rigoureuses de manière à ce que les écoles privées où les parents qui les contestent puissent s’en prévaloir le cas échéant devant les cours de justice à laquelle veulent recourir certaines associations. Mais à quoi bon au fond, personne ne se fait d’illusion sur pareilles évaluations, sinon le gouvernement lui-même n’aurait pas décidé en amont que les examens porteraient uniquement sur les programmes dispensés en présentiel. 

Devant la même commission parlementaire, le ministre de l’Education nationale s’est dit étonné que les parents d’élèves fonctionnaires, qui n’ont donc pas souffert de la pandémie dans leurs salaires, refusent de verser leur « dû » aux écoles privées. Dans l’absolu, Saïd Amzazi a raison. Dans la réalité les choses se présentent différemment. 

On ne fera pas l’insulte au ministre, enfant du pays et de son école publique, de méconnaitre son Maroc. Mais cette histoire c’est celle de l’arbre qui cache la forêt. Le ministre sait pertinemment qu’une famille nucléaire de fonctionnaires, même « hors échelle », avec 2,1 d’enfants en moyenne, se saigne les quatre veines pour subvenir aux besoins de sa progéniture, sachant que par ailleurs elle constitue un maillon essentiel des solidarités familiales, quand ce n’est pas au-delà. A se demander, in fine, comment toutes ces familles arrivent à joindre les deux bouts ? La réponse se déroule pourtant au quotidien, sous nos yeux qui regardent ailleurs. Elles font marcher à plein temps le système ‘’D’’ : seconds boulots, commerce parallèle et informel en tous genres quand ce n’est pas carrément des « indélicatesses » et autres « joyeuseries » du même style qu’il n’est pas nécessaire de nommer.  Avec la pandémie, ce système aussi est tombé en panne. Comment ne pas le voir ? Comment ne pas le comprendre ?

Polarisation Vs moyennisation

Sans entrer dans le labyrinthe de l’enseignement privé – entrée de gamme, moyen de gamme ou haut de gamme – on est- là au cœur du problème. Ce que la fronde de ces parents, qui constituent une fragile couche tampon, rappelle à la barre, c’est l’un des trois segments, avec le transport et la santé, de la polarisation sociale qu’un économiste, aujourd’hui membre de la commission Benmoussa, a remis au goût du jour à l’occasion d’un débat ouvert. Concept aux origines marxistes, mais pas pour autant inopérant, la polarisation sociale, à l’opposé de la moyennisation, fait qu’il y a au Maroc « deux humanités » qui vivent l’une à coté de l’autre faussement indifférente l’une à l’autre, tant « l’humanité inférieure » vit dans l’envie de « l’humanité supérieure » et cultive à son égard beaucoup de rancune, cependant que celle-ci compose tant bien que mal avec la peur  que la première, un jour, explose.

Ce qui sépare ces « deux humanités », ce sont essentiellement les inégalités criantes face à l’école, à la santé et au transport. Ce hiatus, à la fois social et culturel, entre deux classes sociales, est en grande partie responsable au Maroc, expliquait Youssef Saadani, c’est son nom, de l’incapacité de la croissance à décoller. C’est aussi ce qui rend la corruption, les passe-droits, la rente et autres « bak sahbi » phénomènes endémiques transformant la dynamique vertueuse d’une saine économie en une inertie licencieuse. Mais au fond il n’est pas nécessaire de s’embarrasser de toutes ces considérations épistémologiques, il suffit de revenir au discours du Roi depuis 2017 pour comprendre ce dont il retourne. Les temps étaient déjà durs sans la pandémie, ceux qui viennent le seront encore plus. Malheureusement, tout le monde ne semble pas en avoir pris, de façon égale, la mesure. 

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