Hay Mohammadi : chemins mémoriels

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Hay Mohammadi symbolise le cosmopolitisme à la marocaine permis par les possibilités offertes par l’industrie coloniale naissante et l’offre d’emplois salariés dans une socio-économie qui ne le pratiquait qu’à une échelle pervertie et réduite pour des fonctionnaires attachés au service du Makhzen pour assurer la sécurité et la collecte des impôts. 

Les gens s’y sont rendus de toute part, du Nord comme du Sud, d’Est et de l’Ouest. Hay Mohammadi c’est la naissance du prolétariat marocain à l’orée des années vingt et trente du siècle dernier. En ce sens, c’est aussi la rencontre avec la modernité. Le développement des unités industrielles a provoqué un exode massif vers la ville de Casablanca des campagnes environnantes, Chaouia, Doukkala … et de différentes régions du royaume, donnant lieu à un brassage de population qui sera fécond d’une sorte de multiculturalisme marocain. La fertilisation croisée des différents apports culturels qui s’était opérée, s’est nourrie des fragments d’une riche culture locale dans laquelle ces populations étaient baignées et auxquels elles sont restées attachées. La place publique de la cité devient une sorte d’agora en avance sur son temps où se tient un mini festival du folklore, ‘’ qui regroupait des conteurs, des chanteurs, des danseurs qui performent des arts en provenance de toutes les régions du Maroc, le Gnawi, l’Ahwach et l’Ahidouss, la Aita, ... »

La mythique cité Socica : L’architecture des cités et des immeubles respecte les directives de Lyautey fondées sur la nécessité d’introduire les formes architecturales marocaines dans toute nouvelles constructions

Les femmes, nos mères ; ont parfaitement saisi ce que pouvait apporter la modernité. Elles ont travaillé comme ouvrières, femmes de ménage ou femmes de peine obligeant leurs conjoints à garder l’emploi et à s’extraire progressivement de l’attachement grégaire qui continuait à les lier à leur contrée d’origine. Les perspectives de la scolarisation des enfants ont fini par convaincre les plus récalcitrants d’entre eux. Et encore ce sont les femmes qui ont mené et très souvent gagné cette bataille-là. 

Hay Mohammadi, c’est également la résistance à l’occupation, les luttes ouvrières et syndicales.

La première étincelle qui allumera la résistance contre l’occupant français, en 1953 après l’exil du Roi Mohammed V, jaillira des carrières centrales. C’est un bastion de la révolte contre le protectorat illustré par l’effigie du ‘’Sultan des Carrières’’, Mohamed Ben Youssef, accrochée en haut de la Scalera. C’est le premier quartier casablancais que le Roi visitera après son retour. En hommage au Roi, la mosquée Jamaâ Al Malik (mosquée du Roi) fut érigée à cette occasion. Et ce n’est pas sans raison que les carrières portent le nom du Roi, surnommé non sans mépris par la presse colonialiste le « sultan des Carrières Centrales. Cette histoire a forgé une formidable solidarité entre ses habitants et un attachement viscéral pour ceux qui y ont vécu. 

L’histoire du temps présent retiendra certainement que sans le Hay, Casablanca serait une grande agglomération sans âme. Imagine-t-on Casablanca sans la mythique équipe du TAS, sans Nass El Ghiwan nos Roling Stones, Tagadda, Lemchaheb. On ne soulignera jamais assez le rôle qu’a joué Dar Chabab dans la naissance de cet esprit Hay. Cinéma Saâda est aussi ce haut lieu de culture mais également de conscience politique et de nationalisme.

Hay Mohammadi fut aussi le laboratoire de l’architecture moderne. Les carrières centrales furent l’objet de projet urbanistique d’envergure à la fin des années 1940 et début des années 50. Des cités et des immeubles furent construits pour loger les populations des bidonvilles. L’architecture des cités et des immeubles respecte les directives de Lyautey fondées sur la nécessité d’introduire les formes architecturales marocaines dans toute nouvelles constructions, comme les arcs ou arcades et les installations publiques conforme à la culture et au mode de vie des habitants : four, moulin, épicerie, fontaines … et une place publique pour les loisirs et tout particulièrement pour assister aux représentations artistiques performées par des troupes folkloriques de différentes régions d’appartenance de la population. De nouvelles formes architecturales furent expérimentées et donnèrent aux carrières centrales cette réputation de laboratoire de l’architecture moderne. 

Notre ami Najib Taqui, un enfant du quartier mais à mon avis, son historien attitré, dispose d’un fonds d’archives exceptionnel à cet égard où photos et coupures de journaux saisissantes se mêlent pour retisser cette histoire. Parmi ces photos, il y a celle Feu Hassan II alors Prince héritier et Abdallah Ibrahim président du Conseil, au cinéma Saâda assistant à la cérémonie de remise des prix aux élèves de l’école Ittihad qu’animait le nationaliste Bargach. Mais Hay Mohammadi c’est aussi le geôlier de Derb Moulay Chrif de triste mémoire. 

Des derbs et des figures

C’est aussi l’histoire de l’accès massif des enfants à la scolarisation même si les places offertes ne pouvaient couvrir l’ampleur de la demande. Les parents avaient compris tout le bénéfice de l’école comme facteur de mobilité sociale.

Relater, voire, ressasser tous ses souvenirs, c’est pour chacun de nous relater une vie! Les souvenirs de l’école primaire, du collège, de Dar Chabab, du terrain TAS, du cinéma Saâda ou Cherif, des terrains vagues, des halqas, et bien d’autres demeurent des moments impérissables dans notre éthos individuel et collectif. Ils sont en quelque sorte une empreinte d’identité propre indélébile. Cette empreinte est la marque de fabrique de toute une génération «carianiste» comme l’on appelait alors les enfants du Hay !

Hay Mohammadi c’est aussi l’émergence de personnalités devenues publiques et ils sont nombreux et j’en oublierais certainement en m’excusant pour ceux que je n’aurais pas cités. Moubarak Rabie, le poète et écrivain, Si Bouchaib Foukar, le gouverneur de Hay Hassani et régisseur de la Mosquée Hassan II, Aniba El Hamri l’un des premiers promoteurs de l’association culturelle Rouad Al Qalam ou les pionniers de la plume. Aziz Hasbi, le recteur et ancien ministre et auteur d’une exquise autobiographie portant mieux que je ne l’aurais fait un opuscule de souvenirs fantastiques de Hay Mohammadi. Larbi Batma et Boujmie que Dieu ait leurs âmes. Lahcen Zinoun, un homme, qui est arrivé sur le plan international, au sommet d’un art jusqu’alors inconnu dans notre pays et côtoyant les plus grands au monde de la danse classique. Omar Sayed, Allal Mohamed Miftah, Saadia Sajid, Foulane, Feu Mohamed Kobi, le mythique directeur du collège Al Mostaqbal, Omar Talbani. Je cite également Noumir, Meskini, Bouchaîb et Ghazouani le grand et le petit comme on les appelait jadis. Et vous reconnaissez dans les derniers noms cités certains parmi les grands joueurs qui ont fait le bonheur du TAS et de l’équipe nationale. Mais ne pas citer Larbi Zaouli serait un crime de lèse Hay Mohammadi! Je voudrais également citer des personnages qui ont marqué mon imaginaire et celui de mes congénères, à savoir Fatima Lhbila se pavanant dans des carrosses de fortune, Kira, l’humour philosophe décapant, Miloud Laâraj, un Robin des Bois des temps modernes violent mais solidaire des pauvres, Khlifa des halkas, la dérision absurde, et j’en oublie encore.
Hay Mohammadi est aussi un nombre impressionnant de médecins et professeurs de médecine, d’ingénieurs, d’auteurs à succès et j’en oublie certainement.

Face à la dilution de cette identité l’anti dote réside dans l’espoir du développement de la culture ressuscitée, dans la lutte contre la marginalisation et par l’insertion dans des programmes effectifs de développement dont en particulier l’éducation et la formation, la bonne gouvernance et l’éthique. 

Dans ces moments très difficiles pour la collectivité nationale, il appartient à chacun de nous de contribuer même modestement à donner du sens et partant donner aux gens des perspectives pour remettre l’espérance au cœur de l’action publique.

 Taki : histoire du Hay, Livre II, p. 141.

2 Mohamed Mahdi, ouvrage à paraître…