Si Mohammed ne va pas à Jemâa El Fna, Jamâa El Fna ira à Mohammed

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Des allures d'un lieu délaissé, d’une amante abandonnée, d’un amoureux transi largué. Des temps du nouveau coronavirus y font un Ramadan tristement exceptionnel. Un silence pesant enveloppe les différents recoins de la mythique Place de Jemâa El Fna, cœur battant de Marrakech. Et une aspiration lancinante d’accueillir à bras ouverts, dans un avenir très proche, ses visiteurs et ses artistes. 

D’habitude noir de monde, bruyante et bouillonnante, offrant à longueur de journée et jusqu'à une heure tardive le soir une panoplie de représentations et une kyrielle de spectacles, la place de Jemâa El Fna s'est vidée de ses visiteurs dès l'instauration de l'état d'urgence sanitaire. La vie s'y est arrêtée brusquement ouvrant une parenthèse de vide à sa notoriété universelle. 

Au cœur de la place dans tous les espaces limitrophes, le jardin historique "Arsat Al Bilk" et les différentes ruelles à côté, le silence règne en maitre absolu. A l'entrée de la Place, seul le minaret de la presque millénaire mosquée "Al Koutoubia" se dresse en témoin d'un passé non lointain où cet espace d'ouverture et de convivialité vivait en harmonie et dans une effervescence joyeuse qui font toute sa singularité et son charme. Lui seul encore, de ses appels à la prière, ponctue la vie dans un désert dont l’histoire retiendra comme nom : l’année di Covid-19.

Inédit depuis l’Indépendance du Royaume ; date à laquelle différentes activités artistiques, de tout genre, ont repris après une courte parenthèse de fermeture et de suspension des spectacles sous le Protectorat.

Les conteurs, les musiciens gnawi et ghiwanis, les acrobates agiles, les cracheurs de feu, les tatoueuses au henné, les dresseurs de singes, les charmeurs de serpents, et les diseuses de bonne aventure, mémoires vivantes, qui font la renommée de la place ont déserté les lieux, la mort dans l’âme, les larmes aux yeux, pour se confiner, rêvant être encore là pour des jours meilleurs.

Les propriétaires et employés des restaurants à ciel ouvert, les kiosques de jus de fruits et de fruits secs, les vendeurs d’escargots et autres marchands ambulants, qui contribuent à l'animation de la place, se sont joints à eux et ont mis les clefs sous la porte pour pointer avec les ramedistes et les non –ramedistes aux guichets du Fonds de soutien aux travailleurs victimes de la pandémie.

Le paysage de vide sidéral n’est guère différent du coté des bazars et des autres commerces donnant directement sur la Place de Jemâa El Fna comme dans des différentes venelles marchandes de la Médina qui ont choisi à contrecœur de se conformer aux directives décrétées dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. Survie oblige.

De mémoire d’homme, Al Azalya

Déserte au temps du Covid- 19, la Place de Jemâa El Fna aspire ...

L’une des places les plus célèbres au monde, inscrite comme patrimoine culturel immatériel depuis 2008 et patrimoine mondial depuis 1985 par l'UNESCO, Jemaâ El Fna file ainsi des jours aux rythmes d'un Ramadan pas comme les autres, où les ruptures de jeûne collectives tout comme les prières surérogatoires sur l'esplanade de la Koutoubia réduites au silence par la pandémie planent sur la place comme autant "très beaux souvenirs" rémanents.

Une scène inhabituelle et étrange d’autant plus surprenante celle qui marque cette année, ce lieu mythique chargé d'histoire et d’histoires, une place si agitée d’une effervescence qui, d'habitude, atteint son paroxysme durant le mois sacré du Ramadan.

"C'est une scène de désolation que nous vivons cette année à cause de la pandémie du coronavirus", pleure le célèbre conteur de la Place "Abderrahim Mekkouri, connu auprès du grand public sous le nom "Al Azaliya", traduisez l’intemporel.

"Jamais de ma vie, la place n’a vécu une telle situation et de telles circonstances", laiisse tomber comme une larme cet artiste qui sait devoire sa notoriété qui a franchi les frontières nationales à la célèbre Place historique de Jemâa El Fna.

"Al Azaliya" sollicite sa mémoire et ne se souvient guère que d’une fermeture temporaire de Jemaâ Fna, une ou deux jours, le temps que la cité ocre abrite les négociations et la signature des accords de l'Organisation Mondiale du Commerce (GATT). C’était en 1994. Hassan II était encore parmi nous.

Passé ce bref épisode, la vieavait repris ses droits. Chaque jour que fait Dieu, chaque conteur et chaque artiste retrouvaient leurs fidèles qui ne rataient pour rien au monde les spectacles en continue de la place.

Submergé par l’émotion, Abberahim Mekkouri se souvient. Il se souvient de l'effort fourni et de la persévérance qu’il a déployée pour se faire une place dans les halqas aux côtés d’artistes dont ne subsiste que le renom. Aux noms invraisemblables, "Bakchich", "Mikhi", "Moul bicyclette", "Quel est joli", "Saroukh", "Moul Hmam", "Abdelkader Boxeur", "Moulay Ahmed Meddah", "Docteur Hacharrate" .... 

Aux côtés de ces conteurs mythiques, les halqas des musiciens ghiwanis, des panégyristes et des chanteurs populaires peuplaient de leur virtuosité forgée dans le tas.

A quelque chose etcétéra… A Jamma L’fna rien ne se perd ; tout se transforme. A cette évocation Azaliya a un sourire énigmatique. Il en faut beaucoup plus pour arrêter les artistes en herbe et néanmoins professionnels de la place. L’humain comme la nature où il se déploie a horreur du vide et déjà des conteurs de la Place en ont profité pour achever leurs projets artistiques et les diffuser à une large échelle sur les réseaux sociaux. Qui sait peut-être que ceux-ci, à l’image des webinaires deviendront leur webfna.

Le projet, pionnier, n’est pas mince. Il consiste à traduire des contes populaires en plusieurs langues étrangères, est de tirer profit des avantages qu'offrent les nouvelles technologies de communication notamment, en termes de rapprochement du grand public, de ce genre artistique très populaire au Maroc. Ainsi se vérifie l’adage : Si Mohammed ne peut pas aller à Jamma El Fna, Jamma El Fna ira à Mohammed.

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