société
Soudain, submergés par la certitude de notre finitude
Cet être nanoscopique qui ébranle notre monde...
A l’heure qu’il est, nous vivons en instantané, perchés dans nos balcons virtuels, un moment historique à tout point de vue.
Quoiqu’il en soit et quelle qu’en soient les raisons : pandémie toute naturelle ou virus fabriqué de toutes pièces dans quelque lugubre laboratoire, saccageant des poumons à l’aveuglette à travers le monde. Ou encore virus vorace, outil de guerre téléguidé par l’une des puissances qui contrôlent le monde d’aujourd’hui : autant d’hypothèses dont la vraisemblance restera à établir devant le tribunal de l’histoire…
En attendant, et quels que soient le vrai et le faux dans les déclarations des gouvernants ça et là à propos de la gravité de la pandémie et surtout de la nécessité de nous attendre au pire, c'est-à-dire au départ prématuré d’êtres chers…
Et quelques soient les mobiles des médias lâchés face à la multitude comme subjuguée par un écran géant couvrant de bout en bout tout l’horizon humain du moment, avec pour lugubre manchette le mot: CORONA,…
Ce que nous vivons aujourd’hui, aura sans conteste des conséquences déterminantes sur le monde de demain…
Les manuels et les cartes géographiques se bousculent pêle-mêle dans nos têtes s’incrustant soudainement partout et se projetant sur tous les écrans.
Soudain, les choses deviennent identiques pour des millions et des millions de personnes à travers le monde, notre destin devient un et indivisible.
Les rois, les présidents, les ministres, les chauffeurs de taxis, les maitres d’école, et d’autres éboueurs, se retrouvent soudains égaux devant une mort qui rode frappant sans crier gare, à tout moment…
Nous prenons conscience au même moment de la condition qui est la nôtre : celle de simples voyageurs à bord de la même embarcation, envahis par la conscience soudaine et irréversible quant à la vulnérabilité de la vie que chacun porte en lui-même, nous retrouvant plus proches face à nos questionnements et nos destinées.
La terre se rétrécit soudain. Même les assiégés du roman d’Albert Camus pouvaient caresser le rêve de s’échapper et retrouver la quiétude ailleurs que dans leur ville cernée par la mort,
Nous balbutions individuellement, à deux ou ensemble, nous demandant s’il y encore une chance de salut.
Soudain revient à nous la silhouette de l’être rêvé, de l’être chéri qui a déserté notre vie depuis si longtemps et dont nous avons perdu la trace au détour d’une errance, ou d’un fils qui boucle ses études dans une contrée devenue lointaine ou d’une fille que l’amour a retenu dans l’exil que seul l’amour peut adoucir.
Nous nous surprenons à nous enquérir de notre repas de demain,
Et l’étranger n’est plus l’étranger, ici n’est plus ici et plus rien ne les différencie.
Soudain, je fixe le visage du voyageur silencieux face à moi dans le compartiment froid, me demandant qui de nous deux toussera le premier,
Les noms, prénoms, situations, fonctions, titres et protocoles perdent toute consistance de différentiation.
Fatigués, nous nous allongeons dans nos lits pensant à ce que demain sera pour chacun.
Désormais, couleurs, langues, fonctions, postes, distinctions, convictions, religions… rien ne nous est d’aucun secours,
Nous redécouvrons, presque surpris, que nous sommes strictement égaux face au néant et à l’irréversible séparation, et soudain jaillissent de toutes parts en nous nos plus belles espérances, celles que le quotidien à mis depuis longtemps au placard de nos capitulations.
Soudain, nous tous, sur l’immensité de nos contrées, sommes submergés par la certitude – presque insupportable – de notre finitude, et découvrons la claire et ahurissante conviction que nous ne sommes que des maillons – presqu’accidentels – de la vie qui se déploie à travers nous, nous laissant vivre avec l’illusion qu’elle est au service de la notre…
Soudain, nous ne sommes plus que nous-mêmes et nous découvrons que notre refuge espéré pour survivre est justement le lieu de notre mort programmée. Nous nous retrouvons face à nous-mêmes, scrutant les uns à travers les autres nos craintes dissimulées et nos rêves constamment remis à plus tard.
Soudain un souhait unique nous prend à la gorge : étreindre l’être aimé et poser notre tête accablée sur sa poitrine, dans l’espoir de retrouver la sérénité et la paix, face à un ennemi dont nous articulons à peine le nom : Corona virus…
Soudain nous découvrons la magie du toucher, du baiser, celle d’abandonner notre main entres celles de l’être aimé, le baiser furtif ou appuyé sur les joues, le front ou à même la bouche…
Soudain nous nous réduisons à l’expression de notre stricte personne et cessons de mimer la risible posture du dindon au jabot outrancièrement boursouflé.
Soudain ne nous sommes qu’une même destinée, un même pouls au-delà des géographies, des frontières, des destins, des races, des titres et des situations,
Soudain nos différences ne sont plus un problème à résoudre mais une solution à vivre.
Les maillons d’une seule et même chaine humaine à travers les âges et les contrées.
Cette chaine faites d’humains soucieux les uns et les autres de la préservation de ce bien ô combien fragile et précieux qu’est la vie.
Ce ne sont là guère des questions autour desquelles on peut badiner, c’est notre sort à tous qui se joue…
Tendons nos mains à travers toutes ces frontières. Une seule et même famille : voilà ce que nous sommes et nous vaincrons la pandémie.
Je vous aime tous, humains que vous êtes, sans exception aucune. Et je remets à plus tard toutes mes réserves – si d’aventure il y en a – à un autre jour peut-être. Le jour où nous retournerons à nos occupations de tous les jours.
Reviendrons-nous ?
Assurément.
Sans doute aucun, nous reviendrons.
Salah El-Ouadie – 13 mars 2020.( Traduit de l'arabe)