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Rabat « Esprit des lieux » : VII – Un étrange destin
*Professeur universitaire, secr?taire perp?tuel de l?Acad?mie du Royaume
Camille Mauclair ?crit?: ??Sans elle la ville de Rabat ne serait plus ce qu?elle?est?. Il s?agit bien s?r plus de la Tour Hassan, de sa mosqu?e, et de ses quatre cents piliers. Ce minaret inachev? est le symbole de la grandeur et de la puissance. Mais d?une grandeur meurtrie, bless?e, fractur?e. Un vers de S. Mallarm? s?est impos? ? cet auteur devant tant d??l?gance fissur?e.
??Calme bloc ici-bas chu d?un d?sastre obscur??. Elle aurait pu ?tre avec la mosqu?e de Samarra l?une des plus grandes mosqu?es de l?Occident musulman. Mais ne le fut pas. Trois tours (la Koutoubia ? Marrakech, la Giralda ? S?ville et Hassan ? Rabat) balisent selon les auteurs de ??itin?raire culturel des Almoravides et des Almohades??? tels des phares la route almohade et t?moignent du m?me souffle artistique qui animait les deux rives du d?troit de Gibraltar. Mais quel d?sastre a condamn? la Tour Hassan ? n??tre qu?un phare tronqu?, et pourquoi ? aucun moment de son histoire plus personne n?avait pens? ? lui offrir un parach?vement digne de sa grandeur?? Yacoub Al Mansour aurait dit que cette terre ?tait une terre vou?e au d?peuplement, mais cette parole d?amertume et de regret apparait ? beaucoup d?historiens inauthentiques. Louis Ch?nier, le p?re d?Andr? Ch?nier a affirm? que les captifs qui ont contribu? ? son ?rection avaient ?uvr? avec peu d?enthousiasme et corrompu les mat?riaux utilis?s pour justement qu?elle s?effondre ? la moindre secousse. Par vengeance, explication peu cr?dible. Ce d?sastre est tout simplement la mort de son fondateur et le fait que depuis ce d?c?s, Rabat avec le d?clin de la puissance Almohade, l??radication des Kharidjites, le d?sint?r?t des dynasties suivantes ne soit plus rest?e utile aux exp?ditions guerri?res vers l?Andalousie, n?ait plus ?t? la capitale incontournable qu?elle fut. C?est toute la ville qui subira une lente et inexorable d?sertion, et la mosqu?e une incompr?hensible profanation, durant trois si?cles. Quand L?on l?Africain y passera voil? ce qu?il y verra?: ??Depuis la mort de Mansour, cette ville a commenc? ? p?ricliter au point qu?il n?en est rest? que la dixi?me partie. Le bel aqueduc a ?t? coup? et d?moli lors des guerres des rois m?rinides contre la famille Mansour. Aujourd?hui Rabat est dans un pire ?tat que jamais?; Je crois qu?on y trouverait ? grand peine quatre cents maisons habit?es pr?s de la citadelle, avec quelques petites boutiques?
Mais A. Benabdellah, un des historiens les mieux document?s de Rabat nous dit qu?Ibn Khaldoun pense qu?elle fut achev?e, mais ne mentionne pas sa source et nous laisse r?veurs et circonspects. Ce symbole de Rabat reste toutefois une ?nigme. Son nom d?abord?: c?est quoi ou qui Hassan?? Le nom du lieu o? celui du concepteur. On ne le saura probablement jamais. Mais la l?gende ne pouvait pas ne pas s?emparer d?une telle ?nigme. Elle est en ?uvre dans une note de Auguste Baumier, traducteur de Rawd Al-Qirt?s de Ibn Abi Zar? qui affirme que ??La tour Hassan, la tour de Maroc (Marrakech) et la Giralda ont toutes la m?me forme? selon toutes les traditions, elles ont ?t? construites par le m?me architecte ??musulman?? n? ? S?ville, nomm? Guever d?apr?s Don Antonio Ponz. Qui serait donc ce Guever de S?ville?? Dont le nom est si peu ??musulman???? L?imagination populaire est tellement riche que certains affirment que ce lieu fut au commencement d?abord un march? couvert, d?autres que c??tait un palais romain avec une fosse aux lions. Les plus r?alistes avancent que cette immense esplanade servait ? la pri?re pour les trois cent mille combattants de la foi. Quand les Morisques au d?but du XVII si?cle construiront les remparts qui s?appelleront depuis remparts andalous, la mosqu?e inachev?e et la tour bless?e resteront hors de l?enceinte qui ceinture la cit?, proies aux pillages, victimes d?intemp?ries multiples et successives, livr?es aux saccages des animaux errants. Abandonn?es et inhospitali?res. Elles ne cesseront de subir, incendies, destructions. Et dit-on subiront surtout, le contre coup du tremblement de terre de Lisbonne (1er novembre 1755) qui acheva d??branler l?imposant ?difice. Toutefois, ?uvre grandiose. Si ses piliers pli?rent, la tour resta fi?re d??l?gance originelle et demeura le double symbole, de la force et du raffinement. Quelques uns de ces m?me morisques ont eu beau la d?pouiller de ses poutres de bois, pour construire un grand bateau, ainsi qu?un sultan almohade oublieux de la geste de ses pr?d?cesseurs faire la m?me chose et fabriquer un navire que le feu d?truira, le minaret allait continuer ? se dresser comme si les deux ?p?es entrelac?e sculpt?es sur une de ses faces, le prot?g?rent et continueront ? le prot?ger contre vents et cataclysmes naturels et humains. Quand on pouvait encore y acc?der et admirer une des plus belles vues de la cit?, avant qu?un r?bati, malheureux, ne se jette tragiquement, du haut de la tour et interdise ainsi par ce geste inou?, d?finitivement toute escalade ? ses concitoyens effar?s et aux touristes incr?dules, on ?tait surpris de d?couvrir qu?il fallait emprunter une rampe non des escaliers et que cette rampe ?tait aussi accessible aux chevaux. Le protectorat s?int?ressera peu ? cette dimension essentielle du patrimoine architectural de la ville. Quelques urbanistes plus curieux que vraiment scientifiques d?blayeront les lieux et les environs, leur feront ?viter d?autres outrages et, d?autre d?gradations, et c?est tout. Une initiative peu respectueuse de la sacralit? des lieux b?tira ? proximit? un terrain de tennis pour des sportifs inconscients, vite gomm? du paysage. Des ?crivains connus c?l?breront malgr? tout ce vestige d?empire, ce t?moignage de force et de grandeur la majest? de l?ouvrage, sa magnificence.