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Un regard sur la collection, ce que nous disent les cartes
Deuxi?me partie ? Un regard sur la collection, ce que disent les cartes, fait partie d?un ouvrage collectif,?AU MAROC, LES METIERS ? Cartographie d?une m?moire vive, ? para?tre prochainement aux ?ditions Marsam. Ecrit par Jean-Fran?ois Cl?ment, Farid Zahi et Abdejlil Lahjomri, il replonge dans le Maroc d?autre fois tel que l?ont immortalis? les cartes postales de l??poque. Pour ceux qui ont connu une partie de cette ?poque ou v?cu ses derniers soubresauts, le regard ne peut ?tre que nostalgique, attendrissant, souvent amusant. Mais il ne faut pas s?y tromper. Le secr?taire perp?tuel de l?Acad?mie du Royaume replace avec son talent habituel d?entr?e de jeu cette balade r?trospective dans son ambiance coloniale. ??La carte postale comme moyen de communication profitant de l??ge d?or de l?occupation coloniale, ?crit-il, exploitera ce spectacle singulier et se fera un destin color?. Elle magnifiera bien s?r les monuments, les paysages, mais s?int?ressera beaucoup plus ? un exotisme humain qu?elle voudrait distrayant pour exhiber l?Autre dans sa marginalit?, qui rassure et amuse. C??tait l?air du temps, le temps du m?pris, et de l?arrogance??. Une lecture pour le plaisir des yeux et de l?esprit.
Les cartes nous disent l?avenir selon la croyance populaire, et pr?disent beaucoup d?espoir pour des jours meilleurs et peu d?appr?hension quant aux ?v?nements incertains. Mais ces cartes qui s?offrent aujourd?hui ? vous dans cet album, lecteur clairvoyant, ne sont pas instruments de voyance. Elles disent le pass? dans ce qu?il fut, et portent en elles les pr?mices d?un avenir qui, devait immanquablement, se faire, se r?aliser. Cette int?ressante collection flatte sans aucun doute la curieuse nostalgie qui s?empare depuis quelques temps de ceux qui ont connu cet univers disparu et ont entraper?u celui qui naissait devant eux dans l?irruption d?une modernit? qui bouleverse les traditions, bouscule les fondements, d?truit les valeurs, condamne ? dispara?tre des pans entiers d?une soci?t? inqui?te et perturb?e jusque dans le secret de son intimit? d?voil?e. Nostalgie qui s?empare aussi de ceux qui n?ont rien connu, ni rien su de cette ?poque r?volue.
La passion du collectionneur qui a ?lu ces cartes illustrant des sc?nes, des types, et des m?tiers si fragiles et les a captur?s dans un temps suspendu, ignorait sans aucun doute qu?elles allaient dire l?entre deux mondes, le basculement, la fracture, la confrontation, la d?rision. ? Le preneur de vue ?, ignorait s?rement quant ? lui qu?elles r?v?leront la cohabitation ambig?e de deux univers, l?un regardant l?autre, le donnant ? voir par une captation maladroite d?images surprenantes, re?ues, comment?es dans des contr?es lointaines par des destinataires ?bahis, au plus lointain d?elles-m?mes. Il ignorait enfin que son regard assur? de sa sup?riorit? d?poss?dait inexorablement l?Autre, soumis et d?j? condamn?, de ce qui faisait son originalit? et sa diff?rence.
La carte postale comme moyen de communication, profitant de l??ge d?or de l?occupation coloniale, exploitera ce spectacle singulier et se fera un destin color?. Elle magnifiera bien s?r les monuments, les paysages, mais s?int?ressera beaucoup plus ? un exotisme humain qu?elle voudrait distrayant pour exhiber l?Autre dans sa marginalit?, qui rassure et amuse. C??tait l?air du temps, le temps du m?pris, et de l?arrogance.
Mais finalement qui voit qui ? Le ? preneur de vue ?, d?abord qui n?est pas ? artiste ? mais ? marchand ?. Il pointera son objectif sur les visages les plus expressifs, les situations de la vie quotidienne les plus mis?rabilistes, et la carte se muera alors en une bulle comique. Il fera de cet univers qu?il s?approprie, un fond de commerce in?puisable. ? L?imag?? ensuite, qui souvent ignore l?objectif, ne s?en soucie gu?re ne portant aucune attention ? ceux qui ? volent sa vie ?, pour la ? vendre ?, la ? commercialiser ?. ? L?imag? ? est indiff?rent ? cette captation scandaleuse et impudique de ses gestes, captation qui conte une histoire que le ? marchand ? croit ?tre celle de l?imag?, qui en fait ne l?est pas, et que l?objectif va restituer ? contre courant aux ? voyeurs ?, persuad?s que la r?alit? invent?e par le preneur de vue est la vie m?me de ? l?imag? ?.
Ce photographe ne saisissait en fin de compte que les fragments d?une repr?sentation mythique d?un monde qu?il portait en lui, avant m?me de le voir, l?, en face de son appareil, humili?, avili ; assujetti et r?ifi?. Il n?en percevait ni l?essence, ni la quintessence, ni l?esp?rance.
Et puis il y a le regard de ceux ? qui la carte est destin?e, leur ?tonnement. Pris de court, captiv?s, m?dus?s, ils regardent d?filer devant eux un monde inconnu qu?une imagination pare des couleurs d?un ailleurs inqui?tant, d?une ?tranget? angoissante, d?une quotidiennet? impr?vue, qu?ils n?h?siteront pas ? faire ? tourner en boucle ? devant un entourage comme eux curieux, ahuri et effar?, pendant les soir?es familiales.
Le troubadour
Regrettera-t-il ce troubadour en haillons ? qui ? le preneur de vue ? a donn? quelques sous pour s?exposer dans une rue presque d?serte, amaigri, un sourire contraint, qui h?site maladroitement ? esquisser quelques notes, quelques m?lo - dies, r?vant aux places anim?es des villages qu?il parcourt et o? ses chants racontent, ? un public bien - veillant les ?pop?es des temps anciens. L?ambition de l?? imageant ? est de faire croire ? son correspondant que ? l?imag? ? qu?il voit sur la carte sera un jour fa?onn?, ? sa propre image pour en faire une ? nouvelle France ?.
Les conteurs
Mais il n?aura pas ? regretter ces conteurs qui eux ?chapperont aux coups infatigables du progr?s, parce qu?ils continuent jusqu?? maintenant encore dans les places c?l?bres des villes touristiques ? conter les m?mes l?gendes ? un public friand des m?mes h?ros, devant les cam?ras des touristes en mal de d?paysement.
Les curieuses roues
Il regrettera s?rement ces ? curieuses roues ? de bois dont un m?canisme rudimentaire fait tourner les cages qu?empruntent les amateurs enturbann?s d?un vertige facile, structures d?risoires dans un souk devenu foire d?risoire. Il regrettera ces ? cages ?, tout simplement parce que dans aucun mus?e d?aucune ville, on ne retrouve ces structures divertissantes, offertes ? une population incr?dule. Nos mus?es n?ont rien sauvegard? de nos m?moires.
Le boulanger
Il n?aura s?rement pas ? regretter le boulanger qu?il retrouvera encore aujourd?hui dans les quartiers p?riph?riques et surpeupl?s des cit?s en expansion, ou dans les ruelles oubli?es des villages abandonn?s, s?il s?y hasardait un jour d?intense nostalgie. Il verra encore le feu incandescent, le ma?tre des lieux sto?que, et son aide sortir des pains de la fournaise et les r?partir par une op?ration myst?rieuse avant que les m?nag?res ne viennent les r?cup?rer. Op?ration myst?rieuse qui subjuguait les enfants que nous ?tions, qui ne pouvaient deviner comment op?rait l?aide du boulanger pour diff?rencier les pains d?une famille d?une autre famille, les ? kessra ? se ressemblant toutes.?
Ce four ? pain campagnard est r?alis? en pierres et pis? sans aucune brique r?fractaire. Il poss?de une porte en m?tal. On ne voit pas de chemin?e ni la sole situ?e ? l?int?rieur du four sur laquelle il y aura la cuisson du bois entass? ? droite puis du pain dont on voit une miche sur le sommet du four.
On ne voit pas comment sont enlev?es les cendres qui pourraient servir ensuite pour les lessives. Le paysan tient dans la main l?outil d?enfournement des pains ou autres plats.
Les vendeuses de pain
Plus loin, au d?tour d?une ruelle ? c?t? d?un ?picier, sur une place marchande, des vendeuses, s??loigneront pour proposer aux passants des pains qu?un boulanger plus entreprenant que les autres leur aura confi?s, pour une vente plus r?mun?ratrice. Ces boulangers sont toujours l?, n?cessaires et indispensables aux petites gens, des petites ruelles, ? tous ceux que l?exode chasse des campagnes ass?ch?es vers des bidonvilles ? l?inqui?tante effervescence.
Cette carte a ?t? ?dit?e par l?Arm?nien Avedis Tchakerian. Devant des boutiques casablancaises faites avec des planches de r?cup?ration, il y a trois vendeuses de pain, dont deux tournent la t?te, peut-?tre en raison de la pr?sence du photographe. La troisi?me, une femme noire, si on en juge par les mains, regarde le photographe. Mais son visage a disparu, ce qui pourrait montrer l?inutilit? de tout voile.
Le potier
Le potier aussi survivra, non parce que cette population aura besoin de ses plats, de ses verres, ou de ses pots (elle sera plut?t s?duite par tout ce que la modernit? d?versera de bibelots dans les souks) mais parce que le regard du touriste, nouveau ? preneur de vue ? percevra dans ces gestes nobles le contraire de ce que la carte disait. Il percevra la magie qui transforme en un objet d?art la glaise, l?argile, objet qui ira orner les salons de Normandie, de Bretagne ou d?Alsace, et dont on se servira comme d?un d?cor flamboyant dans les demeures aseptis?es des villes modernes. Les tours sont toujours les m?mes, la gestuelle est toujours ?tonnante de pr?cision, sles fours d?une rusticit? ancestrale. Ce n?est plus le potier que la ? prise de vue ? c?l?brera, mais le vase, le plat ou le pot colori?s, saisissant dans leur diff?rence et leur alt?rit?.
A bient?t pour la troisi?me et derni?re partie d? ??Un regard sur la collection??.