Santé
Chroniques des rescapés de la folie - (1er épisode) - Par Dr Anwar CHERKAOUI
Dépression, troubles liés aux addictions (drogues ou/et alcool), anxiété, phobies graves, schizophrénie ou bipolarité sont autant de titres d’une souffrance souvent imperceptible de l‘extérieur.
Seul Dieu est témoin de ce qui se passe dans la tête d’une personne souffrant de troubles psychiatriques profonds. Dépression, troubles liés aux addictions (drogues ou/et alcool), anxiété, phobies graves, schizophrénie ou bipolarité sont autant de titres d’une souffrance souvent imperceptible de l‘extérieur.
Certains de ces patients peuvent verbaliser et se confier à une amitié intime.
D’autres, effet blouse blanche ?, se lâchent mieux devant leur médecin traitant.
Dans le flot de confidences, des signaux et des alertes peuvent révéler des tendances suicidaires ou l’expression d’une paranoïa qui fait voir au patient des complots partout fomentés par des personnes étrangères et plus dramatiquement encore par les êtres les plus proches.
Les récits de patients souffrant de différents troubles psychiatriques peuvent choquer, interloquer, amuser, inquiéter, faire peur. Le pire dans ces situations est la stigmatisation de l’affection et de l’affecté qui peut pousser au renfermement sur soi ou aux délires les plus dangereux. Dans ces chroniques qui s’inscrivent dans la lutte contre la stigmatisation des troubles mentaux, des vies et des histoires qui peuvent aider les entourages à mieux comprendre les personnes atteintes et à déceler les signes d’une souffrance intériure.
Les complots
Appelons-le M. Angoissé à la limite de la peur panique, il ne peut pas ne pas tendre l’oreille. Pas très loin de lui, sa femme et sa copine chuchotent plus qu’elles ne parlent. De quoi peuvent-elles bien parler ? M y voit une complicité qui le perturbe alors même que leurs chuchotements peuvent ne signifier rien d’autre qu’un échange de « petits secrets de femmes ».
Et si c’était pour lui nuire. Ces derniers temps, il a de plus en plus l’intime conviction que plusieurs personnes fomentent des complots contre lui. Il en perd le sommeil lui déjà qui a de la peine à s’endormir. Une situation aggravante.
L’autre jour, au garage, il a trouvé deux roues de sa voiture dégonflées. S’il ne s'agissait que d’une... Mais les deux à la fois...
La veille de la nuit précédente, il a failli avaler de travers. Quelqu’un a mis exprès de gros morceaux de viande dans le tagine, difficiles à mâcher et donc susceptibles de glisser subrepticement dans les voies aériennes pour l’asphyxier. Ça fait rire ? Lui ça le taraude.
Alors qu’il était en pleine discussion animée, son épouse lui tend un verre de thé. Absorbé qu’il était à tendre l’oreille pour saisir ce qui se tramait, il avale d’un trait une bonne gorgée. C’était tellement chaud que cela se dit-il était destiné à lui brûler l’œsophage. Sans doute encore un coup monté des forces ténébreuses qui lui veulent du mal.
Faisant semblant de suivre le match de foot à la télé, il se concentre davantage sur les murmures de sa femme et de sa forcément complice. Il doit déjouer leurs desseins machiavéliques. Mais rien de compréhensible. Ne lui parvient qu’un vague brouhaha. Des voix qui lui semblent venir de son for intérieur. Elles ont encore baissé d’un cran leur voix. Certainement qu’elles ont perçu l’intérêt qu’il porte à leur discussion et ont peur d’être découvertes...
Soudain, elles partent dans un éclat de rire qui le fait sursauter. Sûrement l’expression d’une entente. Seraient-elles parvenues à la meilleure façon de l’éliminer. Sa femme se lève, se dirige vers la cuisine. Il entend l’eau bouillir. Elle revient avec un grand plateau en cuivre avec verres et théière. Elle s'assoit auprès de sa copine, échangent un regard entendu. Du moins lui semble-t-il. Elle remplit un verre et le lui tend. Lui, prétextant un besoin urgent, se dirige vers les toilettes. Il s’éternise histoire de chasser les sombres visions qui s’emparent de son esprit. Rien n’y fait.
A son retour, sa femme propose d’échanger son verre par un autre encore chaud. Lui est convaincu qu'elles ont manipulé les verres. Il propose à sa femme de faire un échange de verres. Surprise, son épouse ne comprenant pas le but de la manœuvre, lance un regard interrogatif à sa copine et obtempère.
L’amie se lève, salue d’un sourire gêné et quitte les lieux. Dans ses oreilles, résonnent les cris de l’épouse, reprochant à son mari cette sensation de persécution qui ne le quitte plus.
Partir
Oui, il y a pensé. Partir. Passer à l’acte pour chasser définitivement les démons qui font de sa vie un enfer. Jusqu’à ces derniers temps, la tentation y était. Mais point de tentative.
Il prend sa voiture, se dirige vers la côte rocheuse. Stationne pas loin d’une falaise scrutant la mer. Il marche presque en équilibre périlleux sur la bordure rocailleuse. Il plonge son regard dans le ressac des vagues qui se cassent sur les rochers pointus.
Il a peur de rater son coup. D’être la risée de badauds et de ses proches. Il craint que la mer l'engloutisse et qu’on ne récupère jamais son corps. Il a mal pour sa famille. Elle ne fera jamais le deuil. Ce sentiment d’affection pour les siens le retient. Il remballe ses idées noires et se dirige vers le café le plus proche.
Un autre jour, à son épicier un peu étonné, il commande un rasoir classique. Ces anciens modèles, plats, sans manches, aiguisés des deux côtés. D’habitude, pour se raser, il achète ceux qui « rasent plus près et plus frais », avec une manche et trois lames d’un seul côté, enrobées dans du bleu ou du rose
Malgré sa surprise, l’épicier est loin d’imaginer le dessein sombre qui transperce d’un bout à l’autre l’esprit de son client. C’est presque une règle, on ne se rend compte de ce qui se passe qu’une fois qu’il est trop tard.
La perspective que les siens, le voient les veines ouvertes, le ramène à une certaine réalité de le vie qui est belle quoi qu’il advienne.
Dans l’un de ces moments où il est au fond du trou, Il avait même pensé à un endroit où il pouvait commettre l’irréversible, loin des regards voyeurs.
Dans l’intimité d’un petit local dans le jardin d’une maison perchée là-haut sur une colline. Le pire a toujours composé avec le meilleur. Ce romantisme lugubre le séduit. Mais l’idée de rester là pendant des jours avant que l’on ne découvre son corps en décomposition avancée le répugne et le pousse à sonder d’autres voies.
Le gaz. Fermer hermétiquement les fenêtres. Ce serait mieux s’il déplaçait la bonbonne de gaz dans une chambre. Mais de peur qu’une éventuelle explosion provoque des dégâts collatéraux, il renonce à cette technique de par trop dangereuse pour les siens. Les siens, c’est encore et toujours ce qui le sépare de l’irréparable.
Monter sur le toit et se jeter dans l’air. L’idée de voler un laps de temps libre comme un oiseau l’amuse un instant, lui semble comme une délivrance qui lui ferait survoler les démons qui le travaillent. Mais renoue avec ses idées noires.
Et si jamais il ne mourait pas. Qu’il se fracasse seulement les jambes ou la colonne vertébrale. Qu’il en garde des séquelles. Qu’il devienne un fardeau pour les siens. Il sait qu’il ne se le pardonnera jamais pas plus que ses proches ne le lui pardonneront.
Il contemple les boîtes de médicaments. Et si le mélange de pilules et des comprimés ingurgités, au lieu de provoquer un arrêt cardiaque, induiraient des complications non mortelles mais très handicapantes.
Un long calvaire. Son instinct de conservation et son amour pour sa famille ont réussi jusque-là à lui faire repousser l’heure fatale. Pour combien de temps encore ? Sa souffrance, indicible sans aide, impalpable sans compréhension de son affection, presque invisible au regard des autres, est là.
Partir ! Un jour il en a parlé à un être très cher. Comme une bouteille jetée à la mer, un SOS écrit aux galets sur le sable d’une plage, un appel au secours… Sera-t-il entendu, ses cris réduit à des pantomimes de détresse seront-ils audibles ? (A Suivre)