Santé
Journée mondiale de la Santé mentale, entretien avec le Dr Tyal : schizophrénie, le rétablissement possible
Malgré la persistance des symptômes et les traitements, les personnes atteintes de schizophrénie peuvent reconstruire leur vie et accéder à une existence satisfaisante.
Dr Hachem Tyal
Dr Hachem TYAL, psychiatre – psychanalyste, est président de la Fédération Nationale pour la Santé Mentale FNSM. Il est également le directeur-fondateur de la clinique Villa des Lilas. Casablanca-Maroc. Dans cet entretien réalisé par le Dr Anwar Cherkaoui, il passe un message d’espoir : s’il ne parle pas de guérison, il insiste sur le rétablissement possible qui va au-delà de la simple suppression des symptômes, et valorise l'individu dans sa capacité à se transformer et à reprendre le contrôle de son existence et de sa vie sociale. Entretien
Dr Anwar CHERKAOUI :
La schizophrénie est souvent perçue comme une maladie lourde et incurable. Est-ce vraiment une fatalité ?
Dr Hachem TYAL :
Absolument pas. Bien que la schizophrénie touche des personnes jeunes, il est insupportable de penser qu'elle signifie la fin de leur vie en construction.
En tant que soignants, il est essentiel de continuer à croire profondément en les capacités des personnes atteintes, malgré la gravité de leur état.
L'idée qu'une pathologie mentale lourde comme la schizophrénie soit un destin inévitable doit être exclue de notre réflexion.
Dr A. CHERKAOUI :
Vous parlez de "rétablissement". Pouvez-vous nous expliquer ce concept ?
Dr H. TYAL :
Le concept de rétablissement a émergé dans les années 1990 aux États-Unis, notamment par des groupes d’usagers de la psychiatrie.
Il repose sur l’idée que, malgré la persistance des symptômes et les traitements, les personnes atteintes de schizophrénie peuvent reconstruire leur vie et accéder à une existence satisfaisante.
Ce concept va au-delà de la simple suppression des symptômes, et valorise l'individu dans sa capacité à se transformer et à reprendre le contrôle de son existence.
Dr A. CHERKAOUI :
Ce concept de rétablissement semble s'opposer à une approche strictement médicale. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Dr H. TYAL : En effet, le rétablissement ne se limite pas aux médicaments ou aux thérapies.
Il intègre les ressources personnelles des malades, leur capacité d'adaptation et de transformation identitaire.
On passe ainsi de la notion de "patient qui subit à" celle d'un "usager acteur de ses soins", capable de retrouver espoir, dignité, et autonomie.
Ce changement de paradigme nécessite également une évolution dans la manière dont les soignants et les familles perçoivent la maladie.
Dr A. CHERKAOUI :
Comment ce changement d'attitude peut-il être mis en pratique ?
Dr H. TYAL :
Tout d’abord, il faut accepter l’idée que le rétablissement est possible, même avec un diagnostic aussi lourd que la schizophrénie.
Ensuite, soignants et familles doivent porter l’espoir de manière constante, en voyant les rechutes non pas comme des échecs, mais comme des étapes dans un processus de reconstruction de soi.
Cette approche positive permet aux malades de progresser et de se réapproprier leur vie.
Dr A. CHERKAOUI :
Vous mentionnez l'importance des "pairs-aidants". Qu'est-ce que la pair-aidance et quel rôle joue-t-elle dans ce processus ?
Dr H. TYAL : La pair-aidance consiste en un accompagnement entre une personne ayant déjà traversé des troubles mentaux et une autre qui est en cours de rétablissement.
Ce soutien est précieux car il s’appuie sur le partage d’expériences vécues.
Les pairs-aidants apportent une aide concrète, mais aussi une source d’espoir, tant pour les malades que pour les équipes soignantes.
Leur témoignage de rétablissement renforce la crédibilité de l'approche et aide à changer les regards sur la maladie mentale.
Dr A. CHERKAOUI :
Pour conclure, quel message souhaitez-vous transmettre aux professionnels de santé mentale ?
Dr H. TYAL :
Le meilleur message me semble être que nous devons rester, nous professionnels de la santé mentale, très humbles devant la complexité et l'immensité des expériences psychiques que vivent nos patients présentant des troubles mentaux.
Il est très important également que l'on puisse voir ces patients comme des "personnes", comme des "êtres humains" qui souffrent, et non simplement comme des cerveaux déréglés dans leur chimie au niveau des synapses.
Nous devons croire enfin en le potentiel de nos patients et leur donner l’opportunité de nous surprendre par leurs réussites. En ayant cette confiance, nous leur permettons ainsi de se reconstruire et de redonner du sens à leur existence. N'est-ce pas ce que nous attendons tous de l'aide que nous apportons à nos patients ?