Errance de classe: Un mal sans remède d’Antonio Caballero – Par Samir Belahsen

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Un mal sans remède" (titre original : "Sin remedio") est un roman d'Antonio Caballero, publié en 1984. Ce premier roman de l'auteur colombien est une satire sociale qui critique l'oligarchie et la société colombienne à travers le personnage principal, Ignacio Escobar.

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« …On reste seul, entouré par l'odeur du peuple, une odeur d'oignon et de bouillon à la ciboulette, acculé contre un piano. Et un intellectuel qui s'écrie dans cette extase insensée : "Tu ne les trouves pas divins, ces révolutionnaires ?" 

Si. Non. Je ne sais pas. C'est une question de point de vue. »

Antonio Caballero

“Ce qu'il faut à l'écrivain, comme au peintre, au musicien, c'est l'infini de la vie et l'errance...”

Fernand Ouellette 

Antonio Caballero, auteur de Un Mal sans remède, est un journaliste et écrivain Colombien, de gauche, est né à Bogotá reconnu pour ses dessins satiriques et ses chroniques qui l’ont amené en Espagne, en France, en Angleterre et en Italie, puis l’ont fait revenir à Bogota. 

L’histoire

Nous sommes dans le Bogota de la fin des années 70. Igniacio Escobar est un riche fils à maman. Il se dit et il se veut poète, mais il a du mal à écrire. Il « tue » toutes ses journées à boire, fumer et enchaîner les liaisons sentimentales. Paresseux et narcissique, alcoolique et  mondain. Son amour, Fina, l'a quitté. Il contemple des amis bobos accrochés aux utopies marxistes puis s’attarde sur sa famille de bourgeois tarés bavardant dans le vide pendant les dîners lents et longs. Une bourgeoisie, raciste et dédaigneuse.

Quant aux élites révolutionnaires et communistes, elles sont incapables de s’engager, elles ignorent jusqu'au nom des partis d'opposition.

Lui, poète, il erre dans ce monde fondamentalement apoétique : Une errance consciente et lucide.

Ignacio Escobar, le poète raté, l’amoureux éconduit, finira par accoucher dans la douleur d'un long poème.

Dans une Colombie tiraillée entre une oligarchie stérile fossilisée dans ses privilèges et une jeunesse impuissante et désorientée, le poète est partagé entre le luxe et l'oisiveté que lui offre sa classe sociale et sa propre évolution politique.

Avec un sens aigu de la vie et de la mort, avec une esthétique démesurée, une caricature pointue et omniprésente, Caballero fait preuve d’un humour fin et inspiré.

L’errance

Le thème de l'intellectuel de gauche en proie au malaise et à « l'errance » est un sujet récurrent dans la littérature latino-américaine, surtout pendant les périodes de troubles politiques et sociaux que la région a endurés. Plusieurs écrivains de la région ont exploré les tensions morales auxquelles sont confrontés les intellectuels engagés, critiquant à la fois les pouvoirs en place et les mouvements politiques auxquels ils appartiennent. C’est une partie non négligeable de l’histoire tumultueuse des mouvements de gauche en Amérique Latine. En voici quelques exemples : 

Julio Cortazar (1914-1984 )

L'écrivain argentin Julio Cortazar, célèbre pour son œuvre "Rayuela" (Marelle), explore les dilemmes des intellectuels de gauche dans un contexte de révolte et d'utopie. Son œuvre est empreinte d'une sensibilité politique et sociale aiguë. Il militait contre la dictature militaire en Argentine de l’époque qui aurait fait plus de 30 000 disparus et de 15 000 fusillés. Lui, il avait choisi l’errance de l’exil…

Mario Vargas Llosa 

 Le Nobel péruvien (2010) Mario Vargas Llosa a approché à plusieurs reprises les conflits et les désillusions des intellectuels de gauche en Amérique latine. Des romans comme "La ville et les chiens" ou "La fête au bouc" explorent les complexités de l'engagement politique.

Son errance l’a emmené du communisme au libéralisme, puis au soutien de l'extrême droite chilienne et brésilienne. En 1990 il était le candidat malheureux de la coalition de centre droit aux élections présidentielles remportées par le populiste de droite Alberto Fujimori. Aujourd’hui, il vit son errance loin de Lima… à Paris.

Gabriel García Márquez (1927-2014)

L'écrivain colombien Gabriel García Márquez, connu pour son réalisme magique, a également traité de la question de l'engagement politique et des dilemmes moraux des intellectuels notamment dans "Cent ans de solitude" et "L'automne du patriarche".

Si son errance l’a amené physiquement en Europe, son errance intellectuelle lui a fait aborder les thèmes plus universels comme la solitude, le pouvoir, la décadence, la violence et la mort.

Ce sujet est aussi une préoccupation de nombreux écrivains maghrébins qui ont exploré les questionnements des intellectuels face à la société et à la politique de la région. Des auteurs comme Kateb Yacine, Abdelkebir Khatibi ou encore Assia Djebar ont abordé, chacun à sa manière,  de telles thématiques dans leurs œuvres. Ces récits reflètent les luttes idéologiques, les dilemmes moraux, les crises existentielles auxquels sont confrontés les personnages intellectuels de gauche dans le Maghreb et l’errance des uns et des autres.