Impact de la pandémie et relance économique : Revisiter la LDF

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Mohamed Benchaaboune, ministre de l’Economie et des Finances au Parlement.

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Le projet de loi de finances 2021 a été présenté en conseil des ministres du 14 octobre, en conseil du gouvernement du 16 octobre et déposé devant la commission des finances du parlement le 19 octobre comme le stipule les textes régissant le processus budgétaire : la loi organique des finances et la Constitution. Il devrait faire l’objet d’un débat en plénière à la Chambre des Représentants ce jeudi 12 novembre pour être voté le lendemain, dans l’après-midi du vendredi 13 novembre. Il intervient dans un contexte très compliqué et extrêmement difficile marqué par les conséquences sanitaires et socioéconomique consécutives à la pandémie de la Covid19.  

Ainsi , pour l’année 2020 , le taux de croissance serait négatif  et ce pour la première fois depuis plusieurs années , soit -6 ,3% selon la Banque mondiale et - 5,8  % selon Bank Al Maghreb , le taux de chômage est passé d’un plus de 8 %  avant la pandémie à plus de 12 %  actuellement, le déficit budgétaire serait de 7, 5% du PIB, contre 3, 5 % prévu dans la loi de finances initiale de 2020 …Autant d’indicateurs très mauvais qui dénotent des énormes défis que notre économie doit affronter.

Prévisions et orientations prioritaires 

Le PLF reste un ensemble de prévisions de recettes et de dépenses de l’Etat qui sont fondées sur un certain nombre d’hypothèses de base qui influent leur volume et leur structure et déterminent leur équilibre. Trois principales ont été retenues à ce niveau : un taux de croissance de 4,2%, une production céréalière estimée à 70 millions de quintaux et un déficit budgétaire prévu de 6,5%.

Celles-ci nous apparaissent très optimistes et difficilement réalisables en raison surtout de la gravité et de la profondeur sans précédent de la crise suite à la pandémie (et ce depuis la crise de 1929) et de ses conséquences socioéconomiques désastreuses à travers le monde et notamment au Maroc. 

De plus, le taux de croissance pour cette année sera tellement négatif et la relance plutôt lente et progressive que la reprise économique nécessitera beaucoup de temps surtout au niveau de certains secteurs importants comme le tourisme ou le bâtiment. Il faut souligner aussi que l’expérience a démontré que généralement plusieurs mois sont nécessaires pour que toute politique de relance exerce efficacement et durablement ses effets directs et indirects sur l’activité économique.

On peut ajouter aussi que l’absence totale de visibilité à l’échelle internationale et les grandes incertitudes du moment et du futur proche ainsi que la deuxième vague qui est en train de s’installer chez nos principaux partenaires (Espagne, France …) rendent encore plus problématique toute reprise dans les mois à venir et toute prévision réaliste impossible à faire.

Quant à la production céréalière, il faut préciser et admettre désormais qu’avec les changements climatiques, la sécheresse est devenue un phénomène mondial et une donnée structurelle qui doit être prise en considération dans les prévisions de la production céréalière. D’autant plus que, le début de l’année agricole actuelle ne permet pas (pour le moment) un certain optimisme en termes du niveau et de régularité des précipitations à venir.

Les orientations stratégiques du projet sont consécutives aux hautes instructions royales contenues dans les derniers discours de Sa Majesté le Roi. « C’est pourquoi Nous avons lancé un plan ambitieux de relance économique et un grand projet de couverture sociale universelle. Nous avons également souligné l’impératif d’appliquer les règles de bonne gouvernance et la nécessité de réformer les établissements du secteur public » Extrait du Discours de SA MAJESTE LE ROI du 09 octobre 2020, à l'occasion de l’ouverture de la 1ère session de la 5ème année législative de la 10ème législature.

La première orientation est d’ordre économique :la relance économique à travers un certain nombre de mesures et actions qui seraient de nature à remettre notre économie dans un sentier de croissance. Il s’agit notamment du soutien à l’entreprise et l’encouragement de l’investissement, du renforcement de l’investissement public, de la poursuite et de la dynamisation du programme Intilakaa, de la réforme de la charte d’investissement, de l’opérationnalisation du Fonds Mohamed VI stratégique pour l’investissement …

La seconde d’ordre social : lancer la phase une de la généralisation de la couverture sociale et à renforcer les politiques sociales à travers la généralisation de l’AMO, l’extension des autres composantes de la couverture sociale au niveau des allocations familiales, de l’indemnité pour perte de l’emploi … , de la mise en place du registre social unifié , de la mise en œuvre de la 3eme phase de l’INDH …

La troisième d’ordre institutionnel : la réforme du secteur public et de l’Etat par la restructuration des entreprises et établissements publics, la suppression de certains, le regroupement d’autres, de l’accélération de la régionalisation avancée… 

Analyse chiffrée du projet 

Les recettes ordinaires du budget de l’Etat qui s’élèveraient à 228, 4 milliards de dhs connaitront une hausse non négligeable de 7,56% qui est due essentiellement à la forte augmentation des recettes douanières (+ 36.21%) consécutive à la politique de protection de l’industrie nationale. Il faut noter aussi et surtout que les impôts indirects caractérisés par leur injustice et qui frappent la population de manière uniforme sans distinction du niveau de revenu ou de fortune vont enregistrer une hausse de 14,6%. En revanche, le rendement des impôts directs plus justes connaîtra une contraction de 6,1% avec – 10,8 % pour l’IS et leur part dans les recettes ordinaires baissera de 40,48% en 2020 à 35,33% en 2021, ce qui ne fera qu’accentuer l’injustice de notre système fiscal. Le reste des recettes ordinaires sont constituées principalement par les revenus des monopoles, exploitations et participations de l’Etat qui avec plus de 17milliards de dhs vont progresser de 16,14% par rapport à 2020 et des ressources diverses de très faible importance.

A ces ressources, il faudrait ajouter plus de 2,1milliards et plus de 94,3 milliards dhs de recettes respectivement des SEGMA et des comptes spéciaux du Trésor. Il faut souligner que ces derniers sont certes votés par le parlement, mais leurs détails, leurs bénéficiaires … ne sont pas précisés dans la proposition budgétaire du gouvernement tout en drainant des dépenses très importantes.

Les dépenses du budget général vont connaître dans le projet de loi de finances de 2021 une très légère hausse de0, 27% par rapport à 2020en s’établissant à 331,4 milliards dhs.  A ce niveau, les dépenses de fonctionnement qui représentent plus des deux tiers des dépenses totales continueront leur trend ascendant (+ 4,69%) tandis que les dépenses d’investissement et celles relatives aux intérêts de la dette baisseront respectivement de -9,95% et de -2,25%. 

La baisse de l’investissement budgétaire dans un contexte de relance économique apparait difficile à admettre même si l’effort global est sans précédent avec un montant de 230 milliards dhs. Il faut ajouter que le niveau d’exécution de cette catégorie de dépensedemeure relativement faible avec des taux d’émission et de réalisation respectivement de 70% et 63%.

Les dépenses du personnel avec 139, 8 milliards absorberont toujours environ les deux tiers des dépenses de fonctionnement représentant quelque 10,53% du PIB, niveau qui pose beaucoup de problèmes.

Il faut noter également la très forte progression des dépenses imprévues de 72, 92% pour s’établir à 4,1millards de dhs dont une grande partie concernerait les dépenses liées aux prochaines élections. Enfin les dépenses afférentes aux seuls intérêts de la dette publique s’élèveraient à plus de 28,6 milliards de dhs soit une baisse de - 2,25% par rapport à 2020 dont 24,5 milliards concerneront la dette intérieure, soit plus de 85%. 

Le déficit budgétaire attendu au niveau du projet atteindra 43,9milliatds dhs contre 45,9milliards dhs dans la loi de finances rectificative de 2020, baissant ainsi à 6,5% du PIB au lieu de 7,5 %. Il faut rappeler que le niveau de déficit estimé dans le cadre de la loi de finance initiale 2020 n’a été que de 3,5%du PIB. De même, les dépenses ordinaires du budget de l’Etat qui sont estimées à 254,2 milliards de dhs dépasseront les recettes ordinaires évaluées à seulement 228,4milliards, ce qui se traduirait par une épargne négative et un déficit ordinaire de près de 26milliards dhs. De ce fait, une partie des emprunts qui seraient de plus de 107milliards de dhs sera affectée à financer en partie les dépenses ordinaires.

Principales mesures fiscales 

Deux grands axes peuvent être distingués quant aux dispositions fiscales essentielles prévues au niveau du PLF2021 :

1er axe : accentuation de la fiscalité indirecte

Ce volet comporte plusieurs propositions fiscales relatives aux différents impôts et taxes indirects avec en particulier une hausse significative de certains tarifs douaniers au niveau du textile et autres (tissus d’ameublement, toners …) afin de protéger la production et l’industrie nationales dans le cadre d’une politique d’import substitution qui suppose le développement du marché intérieur et l’accroissement du pouvoir d’achat de la population. De même, centaines taxes intérieures de consommation seront créés (sur les pneus, sur les produits du tabac chauffé …) ou augmentées pour les boissons alcooliques, …

2eme axe : introduction d’une fiscalité de solidarité

Dans le cadre de l’élan de solidarité nationale qui s’est manifestée de manière tout à fait claire et large avec la pandémie et pour contribuer au chantier royal de la généralisation de la protection sociale, le gouvernement a proposé une contribution de solidarité nationale uniquement pour l’année 2021 qui devrait rapporter 5 milliards de dhs. Celle-ci sera exigible : 

      - Des personnes physiques sur leurs revenus soumis à l’IR qui dépassent 120.000 dhs par an au taux de 1,5%.

     - Des entreprises au taux de 2,5% et disposant de bénéfice net compris entre 5millions et 40millions de dhs et au taux de 3,5% pour celles dont le bénéfice net dépasse les 40millions de dhs. 

Si dans son principe, cette contribution est souhaitable et nécessaire étant donné le contexte pandémique que nous vivons, celle-ci pose beaucoup de questions et soulève diversesinterrogations. En effet, cette contribution apparait sur le plan social et fiscal doublement injuste : tout d’abord, au niveau des personnes visées puisqu’elle s’agit des seuls contribuables à l’IR et plus particulièrement les salariés qui alimentant ces ressources à hauteur de plus de 70% et des grandes entreprises bien organisées et structurées qui contribuent à quelque 80% de l’IS. Ce qui ne fera qu’accentuer encore davantage la pression fiscale sur cette catégorie surimposée et pose la question fondamentale de l’égalité devant l’impôt. Ces deux catégories de contribuables sont toujours victimes de la retenue à la source et de la transparence.

Ensuite, l’application de taux proportionnels de 1,5% et de 2,5% et 3,5% (flat tax) pose le problème de la justice par l’impôt qui suppose la règle de la progressivité au niveau de l’IR et de l’IS et qui en constitue le fondement principal. L’imposition des revenus et des bénéfices de manière uniforme ne ferait qu’accentuer l’injustice fiscale. La Participation à la Solidarité Nationale (PSN) mise en application au début des années 80 et qui en constitue l’inspiration a eu un caractère progressif selon le niveau de revenu.

On peut ajouter aussi que sur le plan purement économique, la taxation de cette catégorie de revenus et ce type d’entreprises serait de nature à freiner la relance en se traduisant par des effets négatifs sur la consommation et l’investissement atténuant par-là, l’impact de toute politique de relance économique par la dépense. 

Dans le contexte pandémique que nous vivons avec ses effets et ses incertitudes et la volonté de mettre en œuvre les chantiers royaux, l’élaboration et le montage du PLF 2021 s’avère extrêmement compliqué et très difficile. C’est un exercice complètement inédit depuis le Programme d’Ajustement Structurel des années 80. Il débouchera automatiquement sur une double pression dans le sens opposé au niveau des recettes et des dépenses de l’Etat, se traduisant ainsi par des déficits aussi bien ordinaire que du Trésor très importants et difficilement soutenables à terme. Ce qui posera certainement des grosses difficultés en termes de bouclage et de financement nécessitant un recours accru à l’endettement interne et externe qui a déjà atteints des niveaux très élevés. Ainsi, la dette publique de l’Etat a pratiquement été multiplié par deux en 9ans pour atteindre 747,2 milliards de dhs à fin 2019 et le seul taux d’endettent du Trésor s’établira à fin 2020 selon Banque Al Maghbrib à 76,4% du PIB. Ce qui explique en grande partie la dégradation de la notation de notre pays par l’agence américaine Fitch de BBB à BB-, exerçant par là un impact réel sur la prime de risque avec une détérioration du risque souverain qui se répercutera sur le coût de financement public. Par conséquent, la soutenabilité des finances publiques à court et moyen termes doit fondamentalement reposer sur un appui très large et continu sur les ressources fiscales à travers un véritable élargissement de l’assiette de l’impôt en mettant en application les dernières recommandations des assises de la fiscalité. C’est la seule voie de salut pour les finances publiques de notre pays.