La Commune de Tétouan, espace citoyen ou nid de vipères ? - Par Abdelaziz Tribak

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Premier conseil municipal élu en 1931. Le deuxième à droite du premier rang assis, Abdeslam Bennouna, père de Mehdi. Bennouna. Ssi Abdeslam (1888-1935), même s’il a décédé prématurément, a été présent sur tous les fronts : politique, culturel, économique, social… Il est considéré comme l’un des "Pères du nationalisme marocain"1. Très tôt, il a montré son intérêt  pour la presse, et n’a cessé d’œuvrer pour l’avènement d’une presse natioanle forte et indépendante.

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Comment est-on passé des élites nationalistes ayant la « hantise » de servir leur pays et leurs concitoyens, à certaines élites actuelles dont la seule « préoccupation » est de se servir du pays et de ses citoyens ? Cela mérite des études sociologiques sérieuses… L’exemple de Tétouan qui défraie la chronique (des faits divers) par certains de ses élus est tout simplement révoltant !

Et dire que c’est bien Tétouan qui avait vu naître, suite aux élections libres du 24 septembre 1931, la première municipalité élue de l'histoire du Maroc, avec des candidats marocains, musulmans et juifs, bien encadrés, certes, par des candidats espagnols. N’empêche ! Les Marocains venaient de s'initier aux élections libres sous la République espagnole (tout aussi colonialiste que leur Monarchie soit dit en passant).

Le 3/6/31, une délégation de nationalistes marocains de Tétouan (Appelée "Délégation des Revendications ») partie en Espagne, avait présenté la liste des revendications des nationalistes du Nord du Maroc, au Président de la République espagnole (tout récemment proclamée), Alcalá Zamora. Elle était composée des notables Abdeslam Bennouna, Mohamed Taieb Bouhlal, Ahmed Ghailane , Abdeslam Hajjaj et Abdelkrim Lebbadi. Le Président espagnol leur a promis de donner une suite positive à leurs requêtes.

Trois mois et demi après la remise de ce "Cahier des Revendications" au Président espagnol, le Haut-Commissaire López Ferrer organisait les élections municipales dans les villes de la Zone Nord, conformément au premier point de la liste des revendications des nationalistes marocains.

Le scrutin qui s’est déroulé le 24/9/31, n’a cependant pas respecté le principe de la représentativité proportionnelle des deux communautés. Les Espagnols ont obtenu plus de sièges que les Marocains, malgré la différence numérique en faveur des Marocains.
Le 23/9/1931, le "dahir" désignant le nombre des membres des Conseils avait été promulgué :
Pour le conseil municipal de Tétouan les Marocains seront représentés par 10 conseillers (8 musulmans et 2 juifs) pour une population au nombre de 35992. Alors que 10 conseillers espagnols y siègeraient pour 17312 personnes
La disparité des critères apparaît clairement quand on compare le nombre des deux populations, espagnole et marocaine. Qu’à cela ne tienne ! Les candidats nationalistes marocains l’ont emporté au détriment de leurs compatriotes qui s’étaient présentés en tant que candidats neutres.
Mais, la politique des Autorités du Protectorat était "vicieuse". La plus grande manifestation de cette politique a été la dissolution, par étapes, des Conseils Municipaux auparavant élus. Le processus a commencé le 23/3/32 par la dissolution de celui de Ksar el Kébir, et s’est terminé le 13/10 par celui de Tétouan.
Cette expérience ne durera pas longtemps, donc, et les autorités coloniales reprendront des deux mains ce qu'ils avaient cédé du bout des doigts. Le prétexte était tout trouvé : mauvaise gestion. Peut-être bien que oui, mais au moins ces notabilités-là avaient un double atout en leur faveur, celui de leur impétuosité nationaliste, et celui de leur manque d'expérience (somme toute normal car ils venaient d'un système politique très vertical) …
Le Haut-Commissaire, López Ferrer, a justifié son action contre les Conseils Municipaux par le fait que ces conseils ne tenaient pas de livre de procès- verbaux, et qu’ils dépensaient les fonds des villes à tort et à travers… Mais Mohamed Daoud voyait dans ces élections juste de la poudre aux yeux pour servir l'image de la République.

Notre époque

Depuis, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts du M'hannech (ou Rio Martin).
Se porter candidat communal est devenu à la portée de tout le monde, pas besoin d'être notable ni fils de... Ce qui est une évolution logique et souhaitée, sans préjuger d'une qualité assurée.
Les premiers élus à se faire "remarquer" sont ceux des années 1980. Les élus Usfp poussés par leur vague militante, avec l'appui d'une centrale syndicale, CDT, nouvelle et rageuse, ont amené un brin d'espoir à la ville, au début, pour sanctionner le P. I aux commandes. Mais, ce fut surtout le début d'une période de « miracles » répétés, qui ne se sont plus arrêtés depuis. Des élus qui venaient juste avec les vêtements qu'ils portaient (et en soi, il n'y a aucun mal à cela) se sont retrouvés très riches au bout de mandats, souvent répétés. Un véritable "miracle" qui s'expliquerait, sûrement, par un "héritage" familial en milliards qui coïncidait avec leur passage en tant qu'élus. Personne n'a fait l'objet d'une poursuite ou d'une plainte, donc cela ne pouvait être qu'un héritage fruit d'un miracle. La presse partisane regardait ailleurs, et l'autre presse était forcément la "jaune" du "trottoir" et personne ne la prenait aux maux... 

Et les miracles se succédèrent. Les élections ont changé de signification, et la commune s'est transformée en une sorte de "Zaouiya" où un saint-homme œuvrerait des miracles sous forme d'héritages inattendus qui te transformaient un "fauché" ou un homme criblé de dettes en milliardaire... Et comme pour Skhirate et son Mekki, toute une économie s'est organisée autour : des partis-plate-forme de lancement, des "détenteurs de voix et de voies" électorales, des "alliances" nécessaires avec les "tireurs de ficelles"... On entendait souvent parler, à l’occasion des élections, des "entrepreneurs en voix" (sorte de détenteurs « d'actions électorales » au niveau des quartiers) qui t'assuraient à un candidat les 300 ou 400 voix nécessaires pour être élu à la commune. Et l'on savait que des candidats « investissaient » dans ce domaine (une vraie « Economie » qui n'a rien d'informelle sauf qu'elle ne paie pas d’impôts) pour en recueillir les fruits après élection ... 

Bref une ambiance qui a fait fuir tout candidat potentiel voulant vraiment servir et ne cherchant aucun héritage miraculeux. Les élections se sont transformées en un métier clos, ésotérique, juste déchiffré par les initiés, avec son lot de gardiens du temple et d’héritiers miraculés …

Et que dire des actuels élus de la Commune de Tétouan (Touche pas à mes parlementaires) ? Constater que presque 10% des membres de la commune de Tétouan (qui n'est certes pas la Commune de Paris, mais quand même !) sont en prison, c'est vraiment ahurissant. Certes, pour le moment, personne n'a été pris pour avoir mis la main dans le sac communal, mais une ombre plane sur la moralité des élus, impliqués ou non, qu’on le veuille ou pas… Sans oublier la manne de "l'aide" aux associations de la "société civile" qui fonctionne selon le proverbe consacré à cette situation et qui veut que "charité bien ordonnée commence par soi-même".

La palette des charges est variée, pour ceux qui sont pris, cela va d'un délit de drogue à l'arnaque, en passant par la falsification de documents pour s'approprier le bien d'autrui, et la fraude bancaire (présumée pour le moment l'affaire étant en cours). Et le profil des élus impliqués est tout aussi varié : une infirmière, un homme d'affaires, un professeur universitaire et un directeur de banque. Aucun "besogneux", que des personnes possédant déjà des ressources. Et cela brasse " «la gauche », « la droite », les « girouettes » ...
Apparemment, ceux qui restent encore à leur poste d'élus à la commune de Tétouan regardent ailleurs. Sous d’autres cieux, là où existerait un semblant de dignité politique, ce conseil communal devrait démissionner, ou au moins débattre de ce fléau, car 10% du personnel en taule, c'est énorme. Mais, la commune de Tétouan s'est transformée en grande muette !
Quelqu'un devrait s’y pencher pour arrêter cette mascarade...
Sinon, personne n’empêchera les gens de chanter avec Brel : « Au suivant ! » …