PARLEMENT: QUEL CODE DE DÉONTOLOGIE ? - Par Mustapha SEHIMI

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La déontologie se décline en plusieurs aspects. Le premier d'entre eux est la lutte contre la corruption. C'est l'obligation faite au parlement de lutter dans ce domaine dans les institutions publiques, y compris sous son propre toit

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C'est un message Royal qui a ouvert ce dossier de la nécessité d'un cadre juridique relatif aux règles et aux principes d'une déontologie parlementaire. Un projet a été élaboré qui doit être prochainement débattu, mettant fin à une situation délétère pesant sur l'image des députés et se du Parlement.

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C'est à l'occasion du symposium organisé le 17 janvier dernier à l'occasion de la commémoration des soixante ans du Parlement que SM a adressé un message saluant la consolidation se de l'institutionnalisation démocratique et appelant en même temps à la moralisation de la vie parlementaire. Le Souverain a ainsi appelé à" 1'adoption d'un code de déontologie juridiquement contraignant pour les deux Chambres de 1'institution parlementaire".

Défense du Parlement et du parlementaire

Six mois après, un projet a été préparé laborieusement par la Chambre des représentants sous la supervision de son président, Rachid Talbi Alami. Il fallait mettre bon ordre à une situation marquée par une trentaine de parlementaires poursuivis par la justice depuis des années dans des procédures judiciaires diverses. Le tableau était préoccupant : il plombait davantage 1'image du Parlement. Un comité technique s'est attelé à cette tâche pour proposer des mesures. Il s'est encore réuni à la fin juin avant de soumettre cette première mouture à une commission élargie composée du président de la Chambre des représentants, des chefs de groupes parlementaires et des présidents des commissions permanentes. Un consensus doit se dégager avant l'examen en séance plénière. Les nouvelles règles déontologiques seront intégrées dans le règlement intérieur de la Chambre devant être soumis à la Cour constitutionnelle.

Codifier la déontologie et partant assurer la défense du Parlement et du parlementaire, n'est-ce pas une garantie de la démocratie ? En bénéficiant dans la loi suprême de l'inviolabilité comme l'irresponsabilité, ce n'est pas seulement le député qui en profite et qui est protégé, c'est aussi dans l'intérêt du Parlement, de la souveraineté nationale elle-même que le Parlement est censé représenter. Pour autant, cette précision s'impose : elle ne doit jamais devenir un rempart permettant aux parlementaires de vivre en dehors de la loi qu'ils édictent ou de la morale qui fonde le pacte social. Le parlementaire qui use de sa protection comme d'un privilège génère un dysfonctionnement qui, souvent, va au-delà de sa personne. La moralisation de la vie parlementaire et plus globalement de la vie politique s'affirme de plus en plus dans les régimes démocratiques et au Maroc. La déontologie a paru longtemps réservée aux professions réglementées (médecins, avocats, architectes...) Elle paraît de plus en plus s'imposer et elle est considérée comme une condition du renouveau du Parlement. Dans la pratique comparée, cette préoccupation a semblé étrangère à l'institution parlementaire. Au nom de la séparation des pouvoirs, celle-ci a longtemps refusé tout contrôle de ses membres ou même de ses comptes, donnant le sentiment de l'"entre-soi", l'opacité plutôt que la transparence.

Déclinaison des aspects de la déontologie

La déontologie se décline en plusieurs aspects. Le premier d'entre eux est la lutte contre la corruption. C'est l'obligation faite au parlement de lutter dans ce domaine dans les institutions publiques, y compris sous son propre toit, et dans la société dans son ensemble. La corruption est conçue comme tout acte visant à détourner la puissance publique à des fins privées ou susceptible de conduire à un tel détournement. Pour ce qui est du nouveau cadre juridique devant opérer dans ce domaine, le projet de code à l'ordre du jour, applicable donc aux parlementaires, doit contenir des mesures particulières. Elles doivent être destinées à prévenir, déceler et résoudre les problèmes de corruption pouvant se poser au parlement ; le cas échéant, elles doivent amener les parlementaires et le personnel parlementaire à en répondre. Un autre aspect regarde, lui, les conflits d'intérêts. Jusqu'à plus ample informé, le projet de code n’y fait-pas référence ? Il s’agit des intérêts privés qui prévalent sur l'intérêt public - un cas de conflit direct donc avec le mandat que détient le parlementaire. Les règles en la matière et les mesures pour y remédier devraient être inscrites dans le règlement intérieur du parlement. Cet aspect intéresse les conflits d'intérêts en rapport avec les éléments suivants :

  • 1'enregistrement d'un intérêt privé lors des débats parlementaires ; 
  • des restrictions plus marquées sur le cumul des mandats;
  • la mise à jour régulière, annuelle, de la déclaration de patrimoine sur leurs actifs et ceux de leurs proches;
  • L'acceptation de cadeaux et d'invitations et la déclaration den voyages et des séjours qui leur sont offerts;
  • Les activités de conseil.

Incompatibilités, revenus, lobbying…

Se pose ici la question des incompatibilités qui ont pour objet de prévenir les conflits d'intérêts. Le principe est celui du libre exercice d'une activité professionnelle. Mais ce non-cumul ne s'impose pas comme une évidence. Ainsi le Congrès américain l'applique avec rigueur : il considère que le mandat parlementaire nécessite un "plein-temps", sauf rares exceptions, accompagnées d'un plafond de rémunération, par exemple pour un médecin. A 1'inverse, le Bundestag allemand le rejette pour ne pas professionnaliser la vie politique et ne pas placer le parlementaire dans une dépendance vis-à-vis de l'opinion et de son propre parti. Au Maroc, le durcissement des incompatibilités est souhaitable, mais qu'en sera-t-il dans le projet de code ? 

A noter encore qu'il y une autre situation où le parlementaire abandonne son indépendance quand il devient un porteur d'amendement et de proposition de loi ou encore porte-voix d'un tiers intéressé. Au Maroc, les lobbyistes ne sont pas déclarés auprès du Parlement à la différence des États-Unis et d'autres pays. Un vide juridique avec bien des failles cachées ne permettant pas d'identifier la traçabilité des lobbyistes. On pourrait aller plus loin en assurant la surveillance du conflit d'intérêts qui doit se prolonger après l'expiration du mandat, avec par exemple le "pantouflage "récompensant a posteriori un parlementaire qui a apporté une aide discrète et discriminatoire à une entreprise…

Autre aspect encore : les revenus des parlementaires et l'utilisation des ressources du parlement. Il s'agit de l'obligation à laquelle sont soumis ces élus pris individuellement, les groupes parlementaires et certains fonctionnaires de cette institution de déclarer leurs revenus et l'usage qu'ils font des ressources parlementaires ou des fonds qui leur sont alloués dans le cadre du budget du parlement. C'est pourquoi la réglementation du lobbying est nécessaire avec une mise en œuvre concrète et la transparence de ses activités. D'un côté, le lobbying peut être un moyen légitime de défendre les intérêts d'un groupe particulier, mais il peut aussi constituer un mécanisme influant sur les lois et les politiques au détriment de l'intérêt public.

La nécessité d'une déontologie parlementaire a beaucoup tardé au Maroc. Elle se heurtait depuis des lustres à tant de "résistances". Une situation qui a conforté, entre autres, un laxisme et un certain antiparlementarisme aux yeux des citoyens. Il reste à voir comment sera appliqué le nouveau code en voie de finalisation puis de délibération au sein du parlement dans les prochains mois. Une culture déontologique à faire prévaloir : voilà la problématique…