Un Jour idéal pour mourir de Samir Kacimi -Par Samir Belahsen

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Quand on rate jusqu’à son suicide

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“La résignation est un suicide quotidien.”

Honoré de Balzac / Illusions perdues

“Une détresse trop grande peut conduire au suicide, même si le suicide n'est au fond réellement qu'un appel au secours, entendu trop tard...”

Bruno Samson / L'amer noir

Dans la chronique précédente sur Le triomphe des imbéciles de Samir Kacimi, on était dans une détresse collective, dans celle-ci on est devant le comble de la détresse individuelle. 

En 2020 le journaliste et romancier algérien arabophone nous proposait Un jour idéal pour mourir,  une fiction traduite par Lotfi Nia. 

C’est dire que derrière toute détresse collective, il y a des millions de « destins » individuels inachevés, pénibles, angoissants…, des vies hachées.

Derrière les statistiques des victimes déclarées, les événements historiques et les mouvements sociaux, se cachent des vies individuelles brisées, des rêves cassés et des espoirs volés. Cette perspective  nous mène à réfléchir sur l'impact réel des événements sur les êtres humains et à ne jamais oublier la dimension humaine de la tragédie. 

L’histoire

Halim Bensadek, surnommé « El jornaliste » est depuis longtemps au chômage, il décide à quarante ans de se suicider en se jetant du haut d'un immeuble de quinze étages, dans la banlieue d'Alger. 

Avant d’oser, le journaliste justifie son choix dans une lettre qu'il se poste et qui est censée  arriver après l'annonce de sa mort. La presse parlerait ainsi de lui au moins deux fois: le jour où il mourra, et le jour où l'on découvrira la lettre. Il accéderait enfin à une notoriété que sa petite vie médiocre ne lui a pas accordée. Halim, désargenté, quarantenaire bedonnant et plutôt mal vêtu, cherche à accéder au sol sur ses pieds pour ne pas être défiguré.  Son profond désir de rompre le fil de la fatalité en déterminant lui-même l’instant de sa mort ne l’empêche point de réfléchir à l’après journalistique …

Le long de sa chute dans un temps étiré, un saut de 10 secondes qui durera une vie, le roman nous fait revivre à rebours le film de la vie de Halim en une succession de scènes. 

On y découvre notamment celle de son ami Omar Tounba.

Omar est un autre "mauvais garçon" ravagé et rongé comme les autres par l'alcool, la drogue et le chômage. Omar, c’est l’ami proche de Halim est un voyou brutal qui est redouté par la faune nocturne de la banlieue d’Alger…

Il était follement amoureux d'une jeune femme Nissa débauchée que son père avait fréquentée. 

Nissa est une jeune blonde maigrelette aux seins énormes avec laquelle Omar entretient une relation passionnée et violente.

Le père d’Omar avait dû, sur son lit de mort, tout avouer à la mère et le rêve de mariage d’Omar s’est envolé. 

Halim qui a fréquenté l’université, lu ses classiques, ne manifeste aucun mépris, aucun dédain à son égard, aucun jugement…

Par contre pour son patron véreux qui oublie de rémunérer ses articles, il le méprise.

A l’égard de Nabila Mihanik, opportuniste fiancée qui le trompe avec son cousin alors que lui cavalait pour préparer le mariage, il est plutôt sidéré mais pas méprisant.

Deux autres personnages décrits par Kacimi, en bas de l’immeuble, le fou crasseux surnommé “Six-quinze” qui a tout perdu jusqu’au souvenir de son vrai nom et l’homme au « qamis» immaculé qui trébuche sur la jambe du premier assis sur le trottoir et qui se retrouve sali.

A la fin du roman, les turpitudes du destin ont fait qu’Omar s’est refait et que Halim a reçu son ultime lettre mais il a raté sa sortie. Kacimi a forcé ce ratage. Décidément, même l’auteur ne l’a pas aimé.  

Les personnages de Kacimi sont des visages extrêmes d’un même pays, d’une Algérie postcoloniale amnésique d’un passé douloureux, une Algérie en proie à un islam radical sali, une Algérie paumée ou chacun a sa formule de fuite : drogue, alcool, sexe, suicide, folie, résignation…

Un tableau noir des travers d'une population marginalisée qui frôle le misérabilisme que l’auteur réussi à  éviter grâce à l’humour.

Ces destins hachés servent de miroir à la situation politique et sociale de l'Algérie, soulignant les inégalités et les contradictions qui marquent ce pays comme beaucoup d’autres.

En Algérie, comme ailleurs, les destins individuels ne peuvent échapper au destin collectif.

C’est aussi ça le Mektoub.