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Can Xue: Dialogues en Paradis - Par Samir Belahsen
Can Xue nous plonge dans un imaginaire très atypique, glauque et une réalité complètement irréaliste ; “La véritable réalité est toujours irréaliste” disait Franz Kafka.
« Plusieurs personnes passent en voltigeant devant la fenêtre, plusieurs personnes. Lorsque je tends la main, je peux toucher leur corps ; je leur mords les joues et en éprouve une grande satisfaction. »
Can Xue
« Il n'existe que des contes de fées sanglants. Tout conte de fées est issu des profondeurs du sang et de la peur. »
Franz Kafka
Dans la précédente chronique, j’avais présenté Can Xue comme candidate pressentie pour le Nobel en 2024.
J’avais osé : « Son style surréaliste et ses thèmes chargés d'absurde et de cauchemar, influencés par Kafka, explorent la condition humaine dans un contexte social complexe. Elle l’aurait mérité pour son originalité littéraire, son engagement à travers des récits avant-gardistes et sa capacité à capturer les nuances de l'expérience humaine dans un monde oppressant. »
Elle l’aurait mérité.
Can Xue, née Deng Xiaohua en 1953 à Changsha, est une écrivaine chinoise reconnue pour son style surréaliste et ses thèmes d'absurde. Influencée par Kafka mais aussi par Borges, elle explore la condition humaine à travers ses récits avant-gardistes.
Son enfance marquée par la répression politique et la pauvreté a nourri son écriture, où la réalité se mêle à des visions hallucinées. Ses œuvres, comme « Dialogues en Paradis » publié en1988 et « La Rue de la boue jaune » en 2001, lui ont valu une reconnaissance internationale, y compris la nominations au prix Nobel.
Dialogues en Paradis
« Dialogues en Paradis », son premier recueil, se compose de treize nouvelles qui plongent le lecteur dans un monde complexe où le quotidien se transforme en cauchemar.
Un journal de rêves qui se trouvent être des cauchemars.
Les récits reflètent les traumatismes de l'enfance de Can Xue, évoquant la réalité de la Chine de la deuxième moitié du XXème déformée par l'angoisse et l'absurde.
Can Xue nous plonge dans un imaginaire très atypique et une réalité complètement irréaliste “La véritable réalité est toujours irréaliste” disait Franz Kafka.
Des tranches de vie de personnages dégénérés mâtinées de fantasmagories pour le moins étranges.
Un peu malpropres, plutôt glauques
Can Xue y explore le thème de l'absurde et du cauchemar. On se retrouve dans un monde irrationnel et déformé, où la réalité quotidienne se mêle à des visions hallucinées, angoissantes et absurdes de l'existence.
Les souvenirs d'enfance de l'auteure sont fortement présents, marqués par la répression politique et la famine, les personnages de Can Xue y naviguent entre peurs et solitude.
Ils cherchent à se frayer leur place dans un monde oppressant, souvent en proie à des transformations fantastiques qui symbolisent à la fois leurs luttes intérieures et leurs luttes extérieurs. Ces luttes proposent au fonds les grandes réflexions sur la condition humaine.
La Grande Famine et les personnages
La Grande Famine, qui a sévi en Chine entre 1959 et 1961, a profondément marqué l'œuvre de Can Xue, notamment dans ce recueil.
Les personnages sont souvent hantés par des souvenirs de souffrance et de perte. Can Xue, ayant vécu cette famine, évoque des scènes de désespoir et de lutte pour la survie, influençant la psyché des protagonistes.
La quête désespérée de nourriture symbolise la lutte pour la survie physique mais aussi l'absence d'espoir et d'humanité. Les personnages de Can Xue se débattent dans un monde de rareté des ressources, cette rareté renforce le sentiment d'absurdité.
Plus absurde encore, mais plus courant : La Grande Famine en Chine avait accentué certaines superstitions taoïstes, influençant la perception de la souffrance et de la survie.
Les taoïstes croient que la famine est due à des déséquilibres dans le yin et le yang.
C’est ce qui avait donné lieu à des interprétations mystiques des événements tragiques, où la famine était perçue comme une punition divine ou un désordre cosmique.
Comme ailleurs, face à la souffrance, face à la faiblesse, les Chinois ont souvent recouru à des rituels pour s’apaiser les esprits et tenter de restaurer l'harmonie . Des pratiques taoïstes bien ancrées dans la culture Chinoise. Des rites pour implorer l'équilibre entre l'homme et la nature.
Dans le taoïsme, la nourriture est de l’ordre du sacré. Pendant la famine, la rareté de nourriture a renforcé l'abstinence alimentaire comme vertu et les diètes censés préserver la santé physique et spirituelle.
La Grande Famine avait donc impacté profondément les conditions matérielles de vie mais surtout intensifié les croyances spirituelles et les pratiques rituelles liées au taoïsme.
Dans cet univers littéraire, la famine devient une métaphore des luttes internes et des réalités sociales oppressantes.
L'écrivaine utilise des métaphores puissantes pour décrire un univers où les personnages naviguent entre l’espoir, le désespoir et la recherche de refuge, capturant les nuances de l'expérience humaine dans un tel contexte social.
Par ces temps de guerre et de génocide, l'absurde des situations et la souffrance des gens que Can Xue décrit sont à l'ordre du jour.
L'angoisse humaine face à des situations désespérées peut mener à tout…