Taux directeur à 1,5%, inflation à la hausse, croissance à la baisse, prévisions ternes de BAM pour 2022

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L'économie nationale connaitrait cette année une forte décélération conjuguée à une exacerbation des pressions inflationnistes

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Rabat - Le Conseil de Bank Al-Maghrib (BAM), réuni mardi à Rabat, a décidé de maintenir inchangé le taux directeur à 1,5%, tout en continuant de suivre de près l'évolution de la conjoncture nationale et internationale.

"La Banque ayant déjà intégré dans ses prévisions l’impact des décisions prises dans le cadre de l'accord social du 30 avril 2022, et tenant compte de la nature des pressions inflationnistes, essentiellement d'origine externe, et du retour prévu de l'inflation à des niveaux modérés en 2023, le Conseil a décidé de maintenir l’orientation accommodante de la politique monétaire et ce, pour continuer de soutenir l'activité économique. Il a décidé en conséquence de garder le taux directeur inchangé à 1,50%, tout en continuant de suivre de près l'évolution de la conjoncture nationale et internationale", indique BAM dans un communiqué publié à l'issue de la deuxième réunion trimestrielle de son Conseil au titre de l'année 2022.

Plusieurs analystes tablaient déjà sur un statu quo. Parallèlement, l'hypothèse d'une hausse du taux directeur reste une carte entre les mains de la Banque centrale, surtout dans un contexte marqué par des tensions inflationnistes.

Dans un pré-papier, la MAP signalait que le conseil de BAM était confronté, encore une fois, au dilemme croissance-inflation: augmenter le taux directeur pour juguler l'inflation ou le maintenir à son niveau actuel pour poursuivre le soutien à l'économie, à la croissance et à la création de l'emploi.

Déployant argument et contre argument du maintien ou non du taux directeur à 1,5%, la MAP expliquait :

Pour le maintien du taux à son niveau actuel

- Eu égard l'origine des tensions inflationnistes, notamment importée et alimentaire frais, cela limite l’effet d’une hausse du taux directeur sur la maîtrise de l’inflation et les conditions de relance post-crise covid19, qui restent fragiles et entourées d’incertitudes, selon CDG Capital Insight.

- Une hausse du taux directeur va accentuer le déficit de la liquidité du secteur bancaire sous l’effet d’une baisse des avoirs officiels de réserve conjuguée à un fort accroissement de la monnaie fiduciaire et le fort dérapage à la hausse de l’inflation et de l’inflation sous-jacente à des niveaux historiquement élevés.

- Maintenir le taux directeur au même niveau pour soutenir la croissance économique, qui va connaitre un ralentissement en 2022 sous l’effet d’une baisse importante prévue du PIB agricole.

- Donner un signal sur la non durabilité de l'inflation et renforcer la thèse du phénomène transitoire.

- Augmenter le taux directeur rendra le crédit plus cher, notamment le crédit à l'équipement et le crédit immobilier, ce qui freinera une relance économique déjà rendue molle par la conjoncture internationale.

- Le renchérissement de la dette sera également constaté par le Trésor qui empruntera immédiatement plus cher à court terme.

- Les agents économiques vont être plus réticents à emprunter et vont alors réduire leur consommation (pour les particuliers) ou leur production (pour les entreprises).

- Hausser le taux directeur risque de décourager l’investissement et de ralentir l’économie.

Contre le maintien du taux directeur au même niveau :

- Pour freiner l'inflation, surtout que les anticipations d’inflation risquent de se renforcer et les tensions sur les prix de se généraliser,

- Augmenter le taux directeur pour réduire l'importante hausse de la circulation fiduciaire qui vient renforcer une tendance déjà forte entamée en 2020 avec la crise sanitaire.

- Mieux rémunérer l'épargne institutionnelle, qui affiche depuis le début de l'année des rendements négatifs à cause de l'inflation.

- Limiter le recours au crédit pour encourager l’épargne et les placements à terme.

- Une hausse des taux directeurs peut ainsi entrainer un resserrement du crédit ou une hausse de son coût, influençant les comportements de consommation, d’épargne et d’investissement des ménages et ceux des entreprises.

Hausse sensible des prix à la consommation

C’est donc le maintien qui a prévalu lors de cette réunion. Dans son communiqué, BAM précise que le Conseil a analysé par la suite l'évolution de la conjoncture internationale qui reste marquée en particulier par l'enlisement de la guerre en Ukraine, la persistance de l'inflation à des niveaux exceptionnellement élevés, le resserrement des politiques monétaires et la détérioration des perspectives économiques. Pâtissant de cet environnement et des conditions climatiques défavorables, l'économie nationale connaitrait cette année une forte décélération conjuguée à une exacerbation des pressions inflationnistes.

Ainsi, BAM fait savoir que les prix à la consommation, tirés principalement par la flambée des prix des produits énergétiques et alimentaires ainsi que par l’accélération de l’inflation chez les principaux partenaires commerciaux, ont connu une hausse sensible au cours des quatre premiers mois de l’année avec une progression moyenne de 4,5% en glissement annuel.

Cette tendance devrait se poursuivre à court terme, l’inflation devant atteindre, selon les projections de la Banque, 5,3% pour l’ensemble de cette année avant de décélérer à 2% en 2023. Sa composante sous-jacente atteindrait 5,2% en 2022 puis reviendrait à 2,5% l’année prochaine

En raison des conditions climatiques défavorables, la production céréalière reculerait en 2022, selon les estimations du Département de l’Agriculture, de 69% à 32 millions de quintaux.

La valeur ajoutée agricole devrait ainsi chuter de 15% cette année avant de s’améliorer de 12,9% en 2023 sous l’hypothèse d’une récolte céréalière moyenne de 75 millions de quintaux, précise la Banque Centrale, ajoutant que la croissance des activités non agricoles devrait se consolider à 3,8%, favorisée par l’assouplissement des restrictions sanitaires, et retrouverait son rythme tendanciel en 2023 avec une progression de 2,8%.

Ainsi, après le rebond remarquable de 7,9% enregistré en 2021, la croissance de l’économie nationale devrait, selon les projections de Bank Al-Maghrib, ralentir à 1% cette année puis s’accélérer à 4% en 2023.

Au plan des comptes extérieurs, les importations s’accroitraient de 24,2% en 2022 en lien essentiellement avec l’alourdissement de la facture énergétique qui atteindrait 122,4 milliards de dirhams (MMDH) et l’augmentation prévue des acquisitions des produits bruts et des demi-produits. En 2023, la hausse se limiterait à 0,3%, sous l’effet en particulier de la baisse attendue des cours des produits énergétiques.

En parallèle, les exportations s’amélioreraient de 22% en 2022 et de 0,8% en 2023, portées principalement par les ventes du phosphate et dérivés et du secteur automobile qui s’établiraient respectivement à 102,7 MMDH et 114,7 MMDH en 2023.

Bénéficiant de la réouverture des frontières et du lancement de l’opération Marhaba, les recettes de voyage connaitraient une reprise graduelle, passant de 34,3 MMDH en 2021 à 54,3 MMDH en 2022 et à 70,9 MMDH en 2023.

Après un niveau record de 93,7 MMDH enregistré en 2021, les transferts des Marocains résidant à l'étranger (MRE) reviendraient progressivement à leur niveau d’avant crise, totalisant 87,3 MMDH en 2022 et 84 MMDH en 2023.

Dans ces conditions, le déficit du compte courant se creuserait à 4,9% du PIB en 2022, après 2,3% en 2021, avant de s’alléger à 3,8% en 2023.

Concernant les investissements directs étrangers (IDE), les recettes avoisineraient l’équivalent de 3% du PIB sur l’horizon de prévision.

Au total, et sous l’hypothèse notamment de la concrétisation des financements extérieurs prévisionnels du Trésor, les avoirs officiels de réserve se situeraient à 342,5 MMDH à fin 2022 et à 346,4 MMDH à fin 2023, assurant ainsi une couverture autour de 6 mois d’importations de biens et services.

Pour ce qui est des conditions monétaires, le taux de change effectif réel se déprécierait de 2,8% en 2022 et de 0,9% en 2023, résultat d’un niveau d’inflation domestique inférieur à celui des partenaires et concurrents commerciaux et d’une dépréciation nominale en 2022 principalement vis-à-vis du dollar.

Quant aux taux débiteurs, ils poursuivent leur tendance baissière, avec une nouvelle diminution au premier trimestre 2022 de 16 points de base à 4,28%.

Le besoin de liquidité des banques se creuse

Le besoin de liquidité des banques devrait se creuser à 78,2 MMDH à fin 2022 puis à 91,9 MMDH à fin 2023, tiré par la progression prévue de la circulation fiduciaire. Concernant le crédit bancaire au secteur non financier, il devrait maintenir un rythme de croissance modéré autour de 4% en 2022 et en 2023.

Sur le volet des finances publiques, l’exécution budgétaire au titre des cinq premiers mois de l’année fait ressortir une amélioration de 25,5% des recettes ordinaires portée par l’augmentation du produit fiscal et des financements spécifiques. En parallèle, les dépenses globales se sont alourdies de 16,6% reflétant en particulier la hausse de la charge de compensation.

Tenant compte notamment de ces réalisations et de la mobilisation exceptionnelle annoncée de ressources à travers les mécanismes de financement spécifiques et les recettes de monopoles, le déficit budgétaire devrait, selon les projections de Bank Al-Maghrib, passer de 5,9% du PIB à 6,3% en 2022 avant de s’atténuer à 5,6% en 2023.

Lors de cette réunion, le Conseil de BAM a examiné et approuvé le rapport annuel sur la situation économique, monétaire et financière du pays ainsi que sur les activités de la Banque au titre de l'exercice 2021.

 

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