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Violence, barrages, économie en berne: à Huwara, en Cisjordanie, ''on meurt à petit feu'', mais on meurt, et on meurt aussi tués
Une femme palestinienne est assise sur un chariot à côté d'une boîte contenant des rations alimentaires fournies par l'organisation caritative américaine World Central Kitchen sur un marché de rue improvisé à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 14 mars 2024, alors que les combats se poursuivent entre Israël et le groupe militant Hamas. (Photo de MOHAMMED ABED / AFP)
Elle était connue pour ses garagistes, ses restaurants... et ses violences. Située sur la route principale de Cisjordanie et surplombée par des colonies juives, la localité palestinienne d'Huwara paye au prix fort la guerre d’extermination des Palestiniens par Israël.
"Huwara, c'est fini. Il n'y a pas d'avenir pour cette ville". Devant les carcasses sanguinolentes des vaches et moutons pendus par des crochets à l'extérieur de sa boucherie, Nidal Jbour résume un sentiment généralisé: Huwara dépérit, Huwara "meurt à petit feu".
La boucherie de M. Jbour est située sur la route 60, qui traverse la Cisjordanie occupée du nord au sud et coupe en deux cette ville de 7.000 habitants.
Comme les quelque 500 autres commerçants implantés en bordure de cette route, le boucher a dû fermer boutique après le 7 octobre, sur ordre de l'armée israélienne, qui a aussi bloqué les accès de la ville.
Une décision justifiée par l'attaque du Hamas, mais aussi par plusieurs épisodes passés de violences entre habitants de Huwara et colons vivant sur les collines alentour.
"Artère vitale"
Les commerces ont été réautorisés à ouvrir progressivement après trois mois de fermeture. Mais les affaires ne marchent plus. La clientèle de passage --des Palestiniens de Cisjordanie mais aussi des Israéliens-- qui empruntait la route 60 et constituait le cœur de l'économie locale, ne vient plus, empêchée par les checks-points israéliens qui entravent toujours le passage, ou par peur des violences des colons. Une voie de contournement achevée fin 2023 détourne le trafic.
La route 60 "est une artère vitale", explique le maire, Jihad Odeh, en détaillant un plan de la ville accroché dans son bureau. La fermeture des magasins et le blocage de la route a entraîné "une rupture de la vie sociale et économique", poursuit-il, en énumérant les difficultés quotidiennes des habitants.
Un trajet pour Naplouse, la grande ville du nord de la Cisjordanie située à quelques kilomètres, peut prendre des heures. Des cultivateurs ne peuvent plus aller s'occuper de leurs terres. Nombre d'habitants ont perdu leur permis de travail en Israël.
"Huwara, c'est la mort!", lâche Jamila Hamdan, une paysanne de 74 ans en robe traditionnelle qui fait paître ses moutons près de sa maison. "Jour après jour, la situation empire", dit cette mère de 12 enfants, surtout effrayée par les attaques des colons qui "descendent des collines pour nous crier dessus et nous jeter des pierres".
Violences récurrentes
Certaines colonies juives surplombant Huwara -- illégales au regard du droit international--, comme celle d'Yitzhar, comptent parmi les plus radicales de Cisjordanie. Au cours des deux dernières années, les incidents violents se sont multipliés.
En février 2023, des centaines de colons avaient investi Huwara, détruisant des magasins, brûlant des dizaines de voitures et terrorisant la population.
Le garagiste Motaz Qassrawi garde un souvenir acéré de cette soirée. Des voitures complètement calcinées jonchent encore son parking. "Il y en a même qui leur appartiennent, qui attendaient d'être réparées!" s'exclame-t-il. Car les garagistes de Huwara ont, selon lui, la réputation d'être "les meilleurs et les moins chers de la région", et même les colons leur confiaient leurs véhicules.
"La situation est pire à chaque fois que je viens", constate Hakim Odeh, un Palestinien vivant au Canada revenant tous les deux ou trois ans voir sa famille. "Les colonies s'étendent, et grignotent un peu plus de terre à chaque fois".
Bachar Dmeidi, trentenaire revenu s'installer à Huwara il y a un an après huit ans passés à Dubaï, "ne dort plus". "Presque chaque soir, les colons viennent chanter et danser sous nos fenêtres".
Interrogée, la police israélienne indique "ne pas avoir connaissance de plaintes déposée par les habitants de Huwara pour des faits de violence".
L'armée, de son côté, dément les accusations de passivité vis-à-vis des colons. "Les soldats confrontés à des violations de la loi par des Israéliens, particulièrement des actes de violence à l'égard de Palestiniens, sont tenus d'agir pour y mettre un terme", déclare-t-elle.
Depuis le 7 octobre et la guerre d’extermination israélienne lancée dans la bande de Gaza, la situation s'est encore plus tendue en Cisjordanie où au moins 430 Palestiniens ont été tués par des tirs de soldats ou de colons israéliens, selon l'Autorité palestinienne.
Au moins dix-sept soldats ou civils israéliens ont été tués dans des attaques, selon les autorités israéliennes. (Quid avec AFP)