Maroc, Investissements, Climat des affaires : le rapport de la banque mondiale, ‘’un coup de tonnerre dans un ciel bleu’’- par Ahmed Arafa

5437685854_d630fceaff_b-

La ‘’partie évasée de l’entonnoir’’ correspondait au cadre réglementaire et aux normes fixées pour améliorer le climat des affaires et favoriser l’investissement, mais que, dans l‘entonnoir, c’est le ‘’diamètre de l’embout’’ qui détermine ce qui sort concrètement de l’entonnoir.

1
Partager :

Un cadre réglementaire exemplaire… et une mise en œuvre à la traîne. Dans son dernier rapport, la Banque mondiale met en lumière le fossé criant entre l’arsenal juridique prometteur du Maroc en matière d’investissement et la réalité du terrain, où, écrit Ahmed Arafa - ancien Waliet ancien secrétaire général du ministère de l’intérieur - lenteurs administratives, manque de coordination et déficits d’exécution freinent la dynamique entrepreneuriale

 Dans son dernier rapport sur le ‘’climat des affaires au Maroc’’, la Banque Mondiale vient rappeler aux décideurs de notre pays le grand décalage qui existe entre le ‘’cadre réglementaire’’ avec lequel notre pays se place dans le peloton de tête des pays de même niveau et la réalité du terrain à laquelle sont confrontés les investissements et les investisseurs.

Si la partie réservée au cadre réglementaire est décrite en termes onctueux, voire élogieux, ceux utilisés pour traiter la ‘’partie efficacité’’ a de quoi interpeler et tempérer les discours officiels vantant les ‘’grandes avancées’’ enregistrées dans notre pays en faveur de l’investissement.

       Ce ne sont rien de moins que :

  • ’les difficultés persistantes sur le terrain de l’efficacité opérationnelle’’,
  • ‘’une efficacité pourtant essentielle pour avoir un impact sur la dynamique des entreprises’’,
  • ‘’ce n’est pas la norme qui manque, mais sa traduction concrète dans la pratique’’,
  • ‘’ce n’est pas l’intention politique qui manque, mais la capacité d’exécution’’,
  • ‘’réformer ne suffit pas, il faut mettre en œuvre, exécuter, délivrer’’.

Tout est dit dans ces quelques lignes pour signaler aux décideurs que nous sommes loin du compte en matière de création du climat favorable nécessaire à l’investissement et de l’instauration du niveau d’attractivité souhaité par le pays et réclamé par les milieux d’affaires.

 Pourtant, ni la volonté ni l’intention d’améliorer le climat des affaires et d’attirer l’investissement n’ont manqué depuis plus d’une décennie et l’amélioration du classement de notre pays, fin 2015, en matière de ‘’Doing Business’’ est là pour en témoigner. Mais alors, comment et pourquoi le rapport de la Banque Mondiale vient-il signaler tant de défaillances en matière ‘’d’efficacité opérationnelle’’, de ‘’traduction concrète de la norme dans la pratique’’, de ‘’capacité de mise en œuvre et d’exécution’’ ? 

 La réponse réside dans le constat fait par la Banque que ‘’sur le terrain de la réalité, il n’y a pas, dans la pratique, de traduction concrète des normes établies par le cadre réglementaire et de capacité de mise en œuvre et d’exécution de ces normes’’.

 La réponse réside, d’autre part, dans le fait que les normes du cadre réglementaire sont établies par les services centraux du gouvernement alors que leur mise en œuvre dépend du terrain et donc des services extérieurs de l’administration et des collectivités territoriales dont la capacité d’exécution n’est pas toujours à la hauteur des ambitions du gouvernement.

      A ce titre, j’ai eu l’occasion, début 2016, de commettre un article sous le titre ‘’DOING BUSINESS, L’ENTONNOIR DE L’INVESTISSEMENT’’ dans lequel je précisai que la ‘’partie évasée de l’entonnoir’’ correspondait au cadre réglementaire et aux normes fixées pour améliorer le climat des affaires et favoriser l’investissement, mais que, dans l‘entonnoir, c’est le ‘’diamètre de l’embout’’ qui détermine ce qui sort concrètement de l’entonnoir. En l’occurrence, l’embout de l’entonnoir correspond à la capacité des responsables du terrain de faire aboutir les projets d’investissement par leur motivation, leur implication volontariste, leur capacité d’exécution et leur ambition en faveur de l’attractivité de leur territoire.

J’aimerai à cette occasion donner des exemples de ce qui a pu être réalisé sur le terrain grâce à la motivation, l’implication et la capacité d’exécution :

Lire aussi : Doing Business, ‘’l’entonnoir de l’investissement’’

En 1996, au niveau de la Province d’El Jadida et dans le cadre de la mise en application des consignes du Ministère de l’Intérieur en faveur de la promotion de l’investissement, le Service des Liaisons Administratives de de Promotion de l’Investissement (SLAPI) a été créé. Sur simple initiative locale, il a été érigé en ‘’guichet unique’’ pour recevoir les dossiers des investisseurs. Une Commission Provinciale de l’Investissement (CPI) a été créée pour traiter lesdits dossiers avec l’engagement écrit de les faire aboutir dans le délai de deux mois, fixé, à l’époque, par la Lettre Royale au Premier Ministre. Par la suite, pour assurer l’accompagnement nécessaire, une sous-commission a été instaurée pour accompagner l’investisseur jusqu’au démarrage de son projet et même après pour éviter toute éventuelle ‘’mort prématurée’’. 

Cette initiative locale représente, ainsi, une anticipation de près de trente ans en matière de promotion des investissements, d’assistance et d’accompagnement des investisseurs pour faire aboutir leurs projets.

En 2003-2004, au niveau de la Wilaya de Fès, le CRI, après quelques mois de travail d’approche et de coordination, a pu devenir un vrai ‘’guichet unique’’ regroupant, dans le même bâtiment, les principaux services concernés par l’acte d’investir. Le couronnement de ce travail a été atteint en 2005 lorsque les banques de la place ont accepté de désigner un représentant pour siéger et participer à l’instruction des dossiers d’investissement et dont l’avis favorable permettait de faciliter le traitement de la partie financement des projets auprès des banques.

Le CRI ayant fait par ailleurs le constat de la crise profonde que connaissaient les entreprises à Fès, son activité a été réorientée prioritairement en direction du ‘’sauvetage de l’existant’’, plutôt que de ‘’l’aide à la création d’entreprises’’. Un important travail a été entrepris avec la participation et l’implication des principaux membres du CRI avec à leur tête le Directeur Régional de impôts, devenu pour la circonstance ‘’conseiller’’ des entreprises en difficulté. 

Après avoir ainsi ‘’navigué à contre-courant’’, le CRI de Fès a fini par avoir le privilège d’exposer, en 2005, les résultats de son approche particulière auprès de Mr le Premier Ministre Driss Jettou qui a décidé de se préoccuper des difficultés des entreprises dans certains secteurs du tissu économique. Ce qui représente pour le CRI une anticipation de deux ans, décidée localement, pour s’adapter et prendre en compte les réalités du terrain.

Pour revenir au rapport de la Banque Mondiale, cette dernière invite donc instamment les décideurs de notre pays à agir au niveau qui permet d’assurer l’efficacité opérationnelle, la capacité d’exécution et de mise en œuvre qui puissent se traduire par un impact sur la dynamique des entreprises.

A l’heure de l’approfondissement de la décentralisation, de l’instauration de la régionalisation avancée, il est évident que c’est aux institutions de terrain de prendre leur part dans la concrétisation des efforts du gouvernement en faveur de l’investissement. Continuité, coordination, ambition partagée entre services centraux et responsables du terrain représentent le ‘’maillon faible’’ sur lequel doivent se porter les efforts de tous, dans une démarche de mise place effective de la déconcentration et de rupture avec l’idée que la reprise des choses en main aux plus hauts niveaux des services centraux peut représenter une solution aux insuffisances pointées du doigt par la Banque Mondiale.

Mars 2025