Hausse des indicateurs épidémiologiques : Doit-on sonner le glas ?

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La corniche de Casablanca : Inconscience, bravade, fatalisme ou encore scepticisme de biens de nos concitoyens à l’égard de cette pandémie

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Depuis le début de la pandémie, le Maroc a consenti des sacrifices énormes pour sauver des vies humaines. En outre, il a déployé différents moyens, recouru à différentes stratégies pour expliquer, recommander, mettre en garde ; et ce, pour que le citoyen marocain adopte un comportement responsable qui puisse aider à endiguer le fléau. Jusqu’à la fin du confinement, la gestion de la pandémie s’est avérée efficace. Et le retour à la vie normale était envisageable. 

Hélas, juste après la levée du confinement, quand on a commencé à croire qu’on est sorti de l’auberge, la situation s’est vite détériorée : la pandémie a flambé rendant vains tous les sacrifices consentis et mettant en lambeaux tous les résultats positifs enregistrés jusque-là. Et pour cause ! Il y a eu un relâchement général. Tout en faisant fi des mesures barrières, les gens ont vite renoué avec leurs habitudes dans les lieux publics, au sein des familles... Ils ont repris leurs activités comme si de rien n’était. La fête de l’Aid, avec ses marchés de bétail bondés, les rassemblements familiaux, les voyages, a été la cerise sur le gâteau. Le résultat ne s’est pas fait attendre : des milliers de contaminations, des hôpitaux pris d’assaut, des pertes humaines en augmentation inquiétante. 

Sans vouloir jeter de l’opprobre sur les marocains, on a l’impression qu’il y a une désinvolture qui frise la provocation chez nombre de nos concitoyens.  Ce comportement  pourrait être imputé à l’inconscience, à la bravade, au fatalisme ou encore au scepticisme de biens de nos concitoyens à l’égard de cette pandémie. Certains vont jusqu’à nier son existence ou encore évoquer la théorie du complot pour justifier leur manquement aux consignes de protection. Ainsi, la réticence au port du masque est manifeste. La distanciation physique dans les lieux publics, comme les cafés ou les marchés n’est pas respectée. Pourquoi ce scepticisme à l’égard des discours officiels sur la pandémie, malgré toutes ces campagnes de sensibilisation ? 

D’abord, il conviendrait de noter que la crédibilité des responsables et du gouvernement voire des scientifiques est entamée ; et ce, pour de nombreuses raisons : l’incohérence du discours scientifique, les déclarations contradictoires des politiques, les conflits d’intérêt suspectés chez des scientifiques et politiques,... Le débat sur l’efficacité de la chloroquine,  sur  la nécessité du port du masque, sur la fiabilité du vaccin et les différentes voltefaces qui s’y rapportent ont nourri chez la population marocaine, et celle d’ailleurs, le sentiment de suspicion à l’égard des scientifiques et des politiques. Toutes ces incohérences, ces discours d’instances politiques et scientifiques contradictoires, auraient suscité la méfiance à l’égard de ceux qui sont censés éclairer et protéger le peuple et par conséquent apporté de l’eau au moulin des partisans de la théorie du complot. Nous assistons à une crise de l’autorité. Ajoutons à cela que les enjeux économiques liés à la pandémie, la politique géostratégique des différentes puissances ainsi que les discours médiatiques ont brouillé les pistes. On ne distingue plus les mensonges des vraies informations. L’individu ne sait plus à quel saint se vouer. 

Par ailleurs, le rapport à l’autorité publique est un autre facteur qui pourrait expliquer la désinvolture de certains de nos concitoyens. Pour eux, les agents d’autorité n’incarnent plus ni le modèle qui fait peur et qui détient un pouvoir absolu auquel on était longtemps soumis ni celui qui inspire la confiance et le respect, celui qu’on essaie de promouvoir. En effet, le discours pédagogique auquel on a recours ne porte pas car il est étranger aux moyens d’éducation et de dissuasion utilisés et auxquels ils sont habitués. Leur comportement serait le fruit de deux modèles d’éducation qui se situent aux deux antipodes : l’autoritarisme et le laxisme. 

Le premier prône la menace et la punition. L’adage populaire ‘ la3sa ma tkhelli li ya3sa’ corrobore cette idée. Cette éducation n’est pas basée sur le dialogue, mais sur la peur, sur la menace. On ne discute pas ; on n’explique pas. Que ce soit à la maison ou à l’école, on brandit le spectre d’un bourreau si les directives ne sont pas suivies. Dès les premiers mois, on inculque au bébé la peur, c’est  la peur de bou33ou ( l’ogre)  qui l’oblige à faire ou à ne pas faire. A l’école, c’est la peur du maître qui lui dicte la conduite à adopter. La règle en acier, ou le morceau d’un tuyau sont des instruments pédagogiques qui trônent  encore sur le bureau de bien des enseignants, ceux des petites classes en particulier. D’un autre côté, nous avons l’attitude permissive de certains parents qui ont peur que leurs enfants souffrent de complexes. Ce modèle a donné des individus qui n’acceptent pas d’être contrariés et encore moins de faire des concessions. Ils  ne respectent ni limites ni règles. 

Notons aussi que l’éducation à une liberté responsable, à un débat serein font défaut au sein de la société. Aussi le respect des lois, des consignes  n’est-il assuré que lorsqu’il y a la peur d’une sanction. Le port de la ceinture en voiture, bien que cela soit dans l’intérêt du citoyen et malgré toutes  les campagnes  de sensibilisation,  n’est  adopté que lorsque les amendes ont commencé à être infligées. C’est pourquoi des voix s’élèvent pour demander que des sanctions soient appliquées à ceux qui ne respectent pas les mesures barrières.  

En conséquence à cette incohérence des discours et de ces modèles d’éducation,  nous avons affaire à une catégorie de gens qui choisit ses références et ses arguments. Ce sont souvent les moins contraignants, ceux qui ont peu d’impact sur ses habitudes, sur ses loisirs, ses activités commerciales, ... Quand on est à court d’argument, c’est le modèle occidental qui est évoqué. ‘On n’est pas meilleurs que ces Allemands, ces Américains qui ont manifesté contre le port du masque’, nous rétorque-t-on.  

Ceci dit, il est regrettable de voir des personnes qui  ne sont ni disciplinées, ni responsables, ni solidaires et encore moins altruistes réduire à néant les efforts consentis durant des mois. A ce niveau, il faudrait évoquer une crise de valeurs ; lesquelles valeurs ne constituent pas la priorité des curricula scolaires actuels. C’est pourquoi il est temps que l’éducation aux valeurs de la citoyenneté et aux droits humains bénéficie de la priorité qui lui revient de droit pour bâtir une société solidaire, cohérente  et  responsable.  Certes, ce n’est pas facile car l’école est le reflet de la société sur laquelle elle est appelée à agir et à la faire évoluer. Mais avec de la bonne volonté, on pourrait affirmer que ne n’est pas un vœu pieux.

Mais, comment sortir de cette sphère infernale ? Il  y a urgence de commencer par éteindre le feu car la maison brûle et les chiffres enregistrés ces derniers jours témoignent de l’ampleur de la débâcle. Il faut sauver les vies humaines tout en essayant de maintenir une activité économique minimale même s’il est difficile de ménager le chou et la chèvre.  Le Maroc n’a pas les moyens nécessaires pour prendre en charge les malades de la Covid 19 sans que cela ait un impact négatif sur les autres maladies. Le gouvernement est appelé à faire preuve d’ingéniosité, à anticiper pour mettre sur pied une stratégie cohérente, efficace et efficiente. Un traitement différencié des cas est initié et une nouvelle approche est adoptée. Le dépistage précoce et massif est une stratégie. Mais en a-t-on les moyens ? Dans la sensibilisation, il faudrait viser aussi ces fatalistes, et ils sont nombreux, en adoptant le discours auquel ils sont sensibles. Enfin, un rappel à l’ordre s’impose et des mesures draconiennes comme le reconfinement des villes les plus touchées par le virus, les sanctions sévères contre ceux qui ne respectent pas les mesures de protection  pourraient contribuer à endiguer la déferlante. On ne fait pas d’omelette sans casser les œufs et chacun se doit d’assumer sa responsabilité. 

 

                                                                                              Aicha AIT BERRI

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