Pass vaccinal : Un Comité scientifique à revisiter et des méthodes à revoir – Par Bilal TALIDI

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Quelques dizaines de personnes ont manifesté ce dimanche à Rabat contre le pass vaccinal obligatoire

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Manifestement, c’est beaucoup plus le modus operandi du pass vaccinal que sa finalité qui a le plus créé tant de remous dans le corps social, au point de toucher de larges secteurs et diverses franges d’activité administrative, économique et commerciale.

Cette maladresse, parce que c’en est une, se produit dans un pays comme le Maroc qui a fait de grandes réalisations en matière de vaccination au niveau continental. Mieux, il se positionne à hauteur des pays avancés en nombre de ses vaccinés par rapport au taux de sa population globale. Le pays a réussi cet exploit de manière souple et dans un laps de temps honorable, sans recourir à une quelconque forme de coercition.

Bonnes raisons et mauvaise méthode

Les détracteurs de la nouvelle décision cataloguée de «coercitive» visent en majorité sa formulation et son timing, sans jamais en remettre en cause la pertinence. Normal, dit-on, puisque la majorité des citoyens ont adhéré de plein gré à une opération de vaccination dont ils ne remettent pas en cause l’efficience. Mieux encore, ils s’approprient cette opération comme une condition sine qua non pour réaliser un essor économique escompté à court et moyen termes.

Il doit y avoir, indubitablement, des considérations ayant amené les autorités en charge de la lutte contre l’épidémie à passer de la souplesse à la coercition. On peut avancer l’atermoiement d’une partie de population, au cours des dernières semaines, par rapport aux stocks de vaccins fournis par l’Etat. On peut tout aussi conjecturer que l’Etat s’empresse de revenir à la normale tant les opportunités ouvertes risquent de se renfermer en cas d’une rechute épidémiologique, comme ce fut le cas l’été dernier, au risque d’imposer des mesures restrictives impactant fortement le tissu socioéconomique.

On pourrait présumer aussi des considérations que les autorités publiques rechigneraient à partager. Une chose est pourtant sûre : il ne s’agit ni d’une résistance sociétale à la vaccination, ni d’une massive campagne de suspicion comme c’est le cas en France. La preuve ? La presse nationale, tout au long des trois derniers mois, n’a pas révélé ce genre de résistances ou de suspicions qui justifieraient la logique de coercition.

Tout au plus, une vague impression d’une certaine inutilité du vaccin a fermenté tout au long de l’été dernier qui a vu la plus forte vague du Coivd-19 jamais enregistrée depuis le début de l’épidémie en mars 2020. Le nombre supposé élevé, en l’absence d’information officielle et fiable, des vaccinés atteints par le Covid-19, a renforcé le doute en l’absence d’une communication intelligente, soutenue et documentée sur le rapport entre vaccination et risques de contamination au coronavirus ou de l’un de ses variants, ou encore sur l’intérêt d’une troisième dose contre les formes graves de la maladie, sans oublier la vaccination des 12-17 ans.

Bonnes intentions et mauvaise communication…

La suspicion largement véhiculée à l’échelle planétaire a toujours été là suivant une courbe en dents de scie. Forte au départ, elle s’est réduite au point de devenir marginale, avant de reprendre de plus belle. La déficience communicationnelle est en grande partie responsable de cette situation. L’absence d’un discours adossé à des données scientifiques a permis à cette vague de gagner du terrain et investir l’espace laissé vacant pour faire d’une «supposée» coercition un énième prétexte de surenchère.

La responsabilité de cette situation incombe en premier lieu au ministère de la Santé supposé s’adresser à l’intelligence des gens pour les convaincre. Elle incombe aussi à un Comité scientifique ‘’fantôme’’, dont nul ne connait l’ensemble des membres, ni les dates de leurs réunions. Les médias publics n’ont jamais fourni la moindre image de leurs réunions, ni informé sur ses travaux. Le Comité lui-même n’a livré ni étude, ni avis ni évaluation scientifiques documentés, ou au moins une référence à une étude scientifique étrangère. Curieusement d’ailleurs, il ne dispose même pas d’un site ou d’une page sur Internet permettant à l’opinion publique d’interagir avec lui.

Plus grave, certains membres de ce Comité se sont découvert une fibre d’«opposants» aux décisions des autorités sanitaires auxquelles ils enjoignent de rectifier leur politique, alors qu’ils faisaient, la veille encore, partie intégrante de leur politique communicationnelle.

D’autres membres ont présenté une image franchement négative : Des réponses confuses ou dépassée faute d’une mise à jour, sans compter les sorties médiatiques contradictoires des médecins se présentant comme membres du Comité.

L’imprécision dans la définition des rôles et missions est telle que l’on est en droit de s’interroger sur la fonction du comité : La production d’avis scientifique ou seulement la validation formelle des décisions des autorités en charge de la gestion de la crise sanitaire ?

… Pour le grand bonheur des agitateurs 

Paradoxalement, en termes de communication, les tenants de la suspicion se sont révélés plus efficaces et plus prompts à la mise à jour de leurs connaissances. 

Aussi ont-ils révélé une aptitude à faire douter du discours officiel et une forte capacité à investir les brèches créées par l’imposition sans délai et sans aucune forme d’explication du pass vaccinal, en vue de reconquérir davantage d’espace de déploiement rendant ainsi le nihilisme plus contagieux.

La résultat en est que la tension sociale de jeudi dernier, journée d’entrée en vigueur du pass vaccinal, a permis aux tenants de la suspicion d’élargir leur front, et de transformer l’indignation en remise en cause de l’autorité sanitaire, voire de sa légitimité.

Certains suggèrent un délai pour la mise en œuvre du pass vaccinal, une suggestion louable dès lors qu’elle épargne au pays la perturbation actuelle qui risque d’impacter le fonctionnement normal de son administration, services, activités économiques et commerciales. 

Sauf que la question n’est plus une histoire de délai, mais de la refonte de communication scientifique et médiatique et du processus de prise de décision.

Il ne s’agit donc pas uniquement de suspendre la mise en œuvre coercitive du pass vaccinal, mais de revoir intégralement la composition du Comité scientifique et missions, ainsi que sa manière d’opérer, le but étant de consolider sa crédibilité et de renforcer la confiance des citoyens dans une institution qui devrait revoir ses modus operandi pour convaincre.

Certains estiment que la démarche coercitive a été concluante puisqu’elle a assuré un formidable afflux des candidats à la vaccination. Sans doute, mais à quel prix, sachant qu’une opérationnalisation plus réfléchie et mieux organisée de l’obligation de pass vaccinal aurait été plus efficace et certainement plus efficiente. Elle aurait évité au pays qui a fait jusque-là un quasi sans faute une confusion et une agitation dont il se serait bien passé. C’est dire que les différentes autorités qui cogèrent la lutte contre le Covi-19 sont aujourd’hui tenues à procéder à une réévaluation aussi bien de leur action que de leurs méthodes de travail. 

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