LÉON XIV, UN PAPE NORD-SUD... PAR MUSTAPHA SEHIMI

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Le pape Léon XIV à cheval dans les montagnes d'Incahuasi, près de Chiclayo, lorsqu'il était évêque de Chiclayo. Le pontife Leo XIV, né aux États-Unis et proche du pape François, a obtenu la nationalité péruvienne en 2015 et a consacré plus de 20 ans en tant que missionnaire dans le pays andin. (Photo par Handout / Chiclayo Diosece / AFP)

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Américain, péruvien aussi, Robert Francis Prevost, 69 ans, est aujourd'hui le 267e souverain pontife de l'Église catholique sous le nom de Léon XIV. Son Si son élection rapide qui reflète un consensus inhabituel parmi les cardinaux électeurs, est à décrypter à travers ses actes futurs, Mustapha Sehimi se demande d’ores et déjà s’il sera dans la continuité du pape François ? Il prône une doctrine sociale et promet un pontificat axé sur la modernité. Mais le monde tel qu'en lui-même met l'Église à rude épreuve : l'unité de l’église, la reconquête du message universel, la paix aussi.

Il n'était pas dans la "short list" des "papabile" qui circulait volontiers ici et là, dans cercles diplomatiques et spécialisés dans les affaires du Saint-Siège. Ainsi, des noms avaient été avancés tels le cardinal Luis Antonio Tagle (Manille) Fernando Chomali (Santiago du Chili), Mgr Parolin (Secrétaire d'État), Mattéo Maria Zuppi (Bologne) Pierrebatista Pizzabella ( Jérusalem) ou encore Jean-Marc Aveline (Marseille). Les uns avançaient un nouveau pape du Sud - comme François (Argentine) - avec quelque 65 électeurs cardinaux d'Afrique, d'Asie, d'Amérique latine, d'Océanie ou du Proche-Orient; d'autres donnaient le nom d'un élu de l'Ouest dont 53 européens avec en priorité un italien. C'est finalement un choix de synthèse qui a prévalu comme pour surmonter les divisions de l'Église aujourd'hui. Il a paru ainsi nécessaire d'opérer la reconquête de l'Église catholique pour conforter son influence.

Souci d’équilibre et d’apaisement

Comme cela a été relevé, Léon XIV s'inscrit sans doute dans le sillage de son prédécesseur mais avec un double souci d'équilibre et d'apaisement. En choisissant pour son règne le nom de Léon XIV- issu comme lui de l'ordre de Saint Augustin- c'est une autre continuité qui prévaut dans le sens d'une doctrine sociale de l'Église. Un pontificat donc tourné vers la modernité, la justice et de la solidarité sociale: les pauvres, les exclus, tous ce monde des marges et des "périphéries", comme disait le pape François. Léon XIV, né à Chicago, est sans doute davantage le pape des Américains plus que des États-Unis. C'est un homme du syncrétisme. Il a résidé quelque trente ans au Pérou; le rassemblement et l'unité donc après un pontificat de François passablement abrupt. Il est reconnu pour ses qualités de pasteur, missionnaire, homme de terrain. Ses premières paroles font déjà sens: la nécessité du "dialogue", de la "rencontre" et des "ponts"; "une Église synodale, une Église en chemin". Voici un an, dans un rare entretien au média Vatican News, il avait déclaré que les ecclésiastiques se préoccupaient "souvent de la doctrine" au risque " d'oublier que leur premier devoir est de communiquer la beauté et la joie de connaître Jésus". Il a lancé de manière explicite le besoin d'unité au sein de l'Église:" Je tiens à remercier tous mes frères cardinaux qui m'ont choisi pour être le successeur de Pierre et de marcher avec vous, en tant qu'Église unie, toujours à la recherche de la paix, de la justice..."

Dans le pays andin, son épiscopat n'a pas été un long fleuve tranquille: tant s'en faut. Un livre avait publié un important scandale sexuel de l'histoire du pays relatif à la communauté Solidacio de Vida Cristiana, proche de l'extrême droite. Robert Frevost prend position et recommande la dissolution de cette association communautaire. Il est aussi intervenu dans la vie politique de son pays d'adoption en demandant à Alberto Fugimori, ancien président grâcié, de demander le pardon à ses victimes. Voici deux ans, durant la répression des manifestations contre la présidente par intérim, Dina Boluarte, il avait fait un éclat:" "Le droit de manifester doit être respecté", "il y a des  secteurs de la population qui se sentent oubliés, ignorés et qui ont des revendications légitimes".

Citoyen du monde

Pour ce qui est de son pays de naissance, il s'invite comme citoyen du monde dans le débat public aux États-Unis. Le président Trump a salué, protocolairement, son élection: "C'est un tel honneur de réaliser qu'il est le premier pape américain. Quelle excitation et quel grand honneur pour notre pays". A n'en pas douter, le nouveau pape ne correspond pas vraiment aux préférences du monde MAGA (Make America Great Again) obsédé par la plus vaste campagne anti migrants de l'histoire de ce pays. C'est que Léon XIV place le Christ avant la nation ; l'Église catholique transcende les nationalités, les barrières et les frontières. La religiosité des 53 millions de chrétiens de la société américaine recule: 62% des personnes interrogées s'identifient comme chrétiennes alors qu'elles étaient 78% en 2007 et 71 % en 2014. Et parmi elles, seulement 19% se disent catholiques, les courants évangéliques regroupant, eux, 23% des croyants. Il vaut de noter, parallèlement, une autre tendance: celle d'un nationalisme chrétien fortement à droite. Ce courant invoque une lecture littérale de la Bible et tient des discours hostiles aux migrants pour préserver une certaine "identité" américaine. Le vice-président J.D. Vance, catholique converti, invoque une hiérarchisation de l'amour de la solidarité et de l'empathie: la famille d'abord, la moral orientant 1'État garant du bien commun et la religion comme socle l'action politique et sociale.

Des dossiers sensibles

Cela dit, des dossiers sensibles pèsent fortement sur l'Église. Comment faire pour que l'Église soit plus inclusive alors que les lieux de culte sont de plus en plus désertés ? Quelle place accorder aux femmes ? D'autres points sont potentiellement des facteurs de division: les questions de liturgie (messe selon l'ancien ou le nouveau rite), de "morale" (bénédiction des couples homosexuels autorisée par François, communion des couples divorcés, violences sexuelles au sein de l'Église), baisse des vocations… Et le dialogue interreligieux avec l'Islam sur la base d'un texte signé en 2019 par le pape François avec le grand imam d'Al-Azhar, sur "Fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune". Qu’en sera-t-il, par ailleurs de la question palestinienne, de la guerre à Gaza, alors que le pape François a parlé de génocide" ? Le Saint- Siège de Léon XIV doit conforter son autorité morale dans un monde en crise, avec un profond désordre. Il a répété pas moins de dix fois le mot "paix"…

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