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Akhannouch à l’ombre de l’histoire familiale
Coté cours, Aziz Akhannouch s’amuse de la couverture de Telquel de cette semaine qui le représente dans la tourmente, sous la pluie, tenant un parapluie à la main alors que gronde l’orage : « En tant que ministre de l’agriculture, être sous les averses, ce n’est que du bonheur ». Le théâtre en plein air d’Agadir gros de quelque cinq mille jeunes applaudit. N’empêche. Le matin même de ce vendredi 20 septembre, le président du RNI s’interrogeait en présence de quelques journalistes sur les arrières pensées des attaques récurrentes qu’il subit. Il n’a qu’une réponse : « le succès qu’il rencontre à la tête du Rassemblement dérange ». Qui ? Moue et sourire en coin et d’un revers de la main il écarte l’hypothèse de coups qui lui viendraient de l’intérieur du pouvoir. De la même manière il ne veut pas se prononcer sur l’attitude des juges de Driss Jettou (La Cour des Comptes NDLR) qui s’en sont pris à l’ONSSA en charge de la sécurité alimentaire et du plan halieutis, « deux fleurons » dont il revendique la réalisation. Quoi qu’il en soit, le même matin, le Bureau politique du RNI faisait corps autour de son président, dénonçant « l’attaque dont il est l’objet à travers l’exploitation misérable de passages partiels du rapport de la Cour des comptes ».
Coté espoir, c’est un drame familial qu’il met en avant. D’habitude peu disert sur sa vie privée, ce jour-là il se confie. Bien qu’originaire de Tafraout, c’est à Agadir que sa famille résidait. Aziz Akhannouch viendra au monde une année après le séisme qui a frappé le chef-lieu du Souss en février 1960, laissant derrière lui 15 mille morts et une ville en ruine. C’est donc par son père qu’il apprendra le sang et les larmes de cette nuit tragique, qu’il vivra en différé comment sa mère a été libérée des décombres en même temps que les secours dégageaient les corps de ses deux frères, Abdallah et Salheddine qu’il ne connaitra jamais. Trémolo ? On pourrait le croire n’eut été ce bref instant à peine perceptible où sa gorge s’est nouée et n’eut été encore ce message d’espoir qu’il voulait transmettre aux jeunes en racontant comment son père est reparti de rien et comment sa mère orpheline, comme seule une mère peut l’être, de ses deux ainés s’est reconstruite préservant un large sourire jusqu’à ce que, des années plus tard, mort s’ensuive :« vous avez des rêves, des rêves de jeunes, ne désespérez pas, ne renoncez jamais !»
L’ombre du père
Haj Hmad Oulhaj, son père, il en sera encore question dans l’aparté avec la presse. C’est au résistant de la première heure, connu et respecté, pour son combat contre le colonialisme que Aziz Akhannouch fait appel cette fois-ci. Encore une fois pour dire que s’il a la peau tannée, il le doit à ses gènes aussi. Sa foi au combat, son endurance face à la rivalité, sa résistance aux coups, sa ténacité lui viennent de ce père également. Le président du RNI n’est pas seulement de plus en plus habile politiquement, mais aussi de plus en plus crâneur. C’est un peu son coté enfant de la rue quand, dans les terrains vagues de Aïn Sabaa, il devait rendre coup pour coup ou s’effacer. « Ils n’auront pas ma peau ! » Qui ils ? « Eux ». Comprenez les islamistes et pas seulement ceux du PJD, et bien d’autres bien sûr de bien des horizons.
Coïncidence heureuse ? En fin de matinée, tombe une information que l’hebdomadaire français Le Point qualifie de « véritable coup de tonnerre qui risque d’avoir des répercussions très graves. Une enquête encore confidentielle d’un think tank français, écrit l’hebdomadaire, révèle que le boycott lancé en avril 2018 à l’encontre de trois grandes enseignes marocaines était, au fait, inspiré par des groupes islamistes ayant pour objectif de déstabiliser le système politique marocain.» Apparaissent dans cette enquête des noms en relation avec l’international des frères musulmans, mais aussi Aladl wa Al ihsan. Que tant de forces obscures se liguent contre un seul homme, aussi puissant fut-il, résonne presque comme un hommage. Quand on est dans la position du chef de file du RNI, ce ne sont pas les ennemis qui manquent, encore faudrait-il y ajouter : Dieu préserve moi de mes amis. Celui que les cadres de son parti n’appellent plus que le président est dans cet état d’esprit du politique qui sait qu’au fur et à mesure que l’échéance électorale approche, les attaques iront croissant. Il s’y prépare, physiquement et mentalement.
Aziz Akhannouch a les moyens de ses ambitions. Les troupes, il est en train de les rassembler et de les former, la troisième université d’été d’Agadir n’en est qu’une des étapes. Mais il reste prudent : « bien sûr nous aspirons à occuper la première place, sinon à jouer dans la cour des grands. » Pertinemment il sait que ce qui se joue aux législatives de 2021, c’est être ou ne pas être. Avec un brin de psychanalyse de rue, on dira que c’est l’imminence du big figther qui explique la forte présence de sa famille dans ses propos tout au long de ce weekend soussi. Un besoin de ressourcement juste avant d’aller au front. Quand il évoque la question des langues de l’enseignement qui a fait couler tant d’encre et enrouer tant de voix, se sont ses deux fils qui lui viennent à l’esprit. Si lui est l’enfant de l’école publique marocaine, sa descendance est à l’école américaine. Ce qui est, dans sa bouche, une détente à double coup : écarter l’accusation de « parti de la France » que portent les partisans de l’arabisation à leurs adversaires, et dire aux Marocains que ce que je veux pour mes enfants, je le veux pour les votres.
Agadir, septembre 2019. C’était il y a à peine trois ans, presque jour pour jour, mais le congrès de Bouznika d’octobre 2016 qui avait vu Aziz Akhannouch débarquer à la tête de la formation héritée d’Ahmed Osman, avec le handicap du « parachuté », parait bien loin. Le parti chancelant de l’après législatives 2016 a repris des couleurs. Une organisation de sa jeunesse qui voit, signe de vitalité, ses contestataires se manifester, a pris forme. D’autres organisations parallèles ont été mises sur pied. Les travaux de Bureau politique du RNI ont été délocalisés, 12 régions, 12 réunions et rencontres avec leurs adhérents. De cette ville, son fief, qui a abrité la première université d’été pour les jeunes, le RNI vient de lancer son opération à venir : 100 villes 100 rencontres. A la tribune devant plus de 5 mille jeunes, alors que le soleil s’est couché sur la baie d’Agadir depuis un bon moment, Aziz Akhannouch savoure son œuvre, apprécie une légitimité construite à la force du poignet et ne dissimule pas sa satisfaction. Il en rajoute même, un peu.