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21 ou 13 ? Le casse-tête très marocain – Par Naïm Kamal
Là, au bord de l'infini, il se tient / Les yeux perdus dans l'étendue lointaine / Sous les cieux où dansent les rêves sereins, Il fixe l'horizon, où l'espoir se traîne / Les vagues des années ne l'effraient pas / Car dans ses yeux brillent des promesses claires, le monde est vaste, mais il sait qu'ici-bas, Un jour viendra, où tout ce qu'il veut sera. (Poème de la très poétique Intelligence Artificielle)
Par Naïm Kamal
Chakib Benmoussa, Haut-commissaire au Plan frais émoulu s’est livré lundi dernier à sa première conférence de presse es(nouvelle)qualité. Il n’est coupable de rien mais responsable de tout et particulièrement d’un chiffre dans les stats qu’il a données, défrayant la chronique : le taux de chômage : 21,3% selon le dernier recensement général de la population et de l’habitat (RGPH). Un peu plus de 13% selon les enquêtes trimestrielles du même Haut-commissariat qui a préparé, organisé et supervisé le RGPH.
Entre les deux, bien plus qu’un hiatus, un fossé abyssal de 8 points
Il n’en fallait pas plus pour que les snipers à l’affût se lancent dans le jeu préféré de la politique national, la supputation. L’ancien Haut-commissaire Ahmed Lahlimi aurait. L’habitude de dissimuler les vrais chiffres du chômage. Le téméraire Chakib Benmoussa les a dévoilés. A moins qu’un statisticien de la vénérable maison ne sorte du bois pour apporter la preuve qu’effectivement c’est ce que faisait l’ancien patron du Haut-commissariat, on n’accordera aucun crédit à l’hypothèse.
Le grand public est pour l’instant partagé entre ceux qui croiront toujours que tel était le cas et ceux qui trouvent des explications supposément scientifiques à l’énorme différence entre les données 2023 à partir des enquêtes trimestrielles et celles du RGPH. Et puis les autres, qui diront qu’ainsi va le Maroc, jamais rien sans une bonne polémique.
Les savants de la chose statisticienne, dont mon ami Adnan Benchekroun qui anime intelligemment le site de l’ODJ, ont de leur coté trouvé une raison que notre raison ignore : « la divergence des chiffres du chômage au Maroc, entre les premiers résultats du Recensement Général de la Population et de l'Habitat (RGPH) 2024 (21,3 %) et ceux des enquêtes trimestrielles du Haut-Commissariat au Plan (HCP) (13.6 %), soulève des interrogations sur les méthodologies et définitions utilisées. »
Cela va sans dire, mais va mieux en le disant.
Au cas où quelqu’un ne le saurait pas, le RGPH repose sur un recensement exhaustif de la population, réalisé à intervalle régulier sur l’ensemble du territoire. Les enquêtes trimestrielles, en revanche, s’appuient sur un échantillon représentatif de la population. Vous avez compris ? Parce que sinon il y a un complément d’explication. Elle porte sur la définition du chômage. Il y a celle du Bureau International du Travail (BIT), incluant les personnes activement à la recherche d’un emploi et disponibles pour travailler et celle du RGPH 2024 qui, généreux, peut inclure des définitions élargies, comme les personnes découragées qui ne cherchent plus activement le tarvail, mais souhaitent travailler. Ces écarts de définition pourraient gonfler ou réduire les chiffres du chômage selon la méthodologie employée. Après ça interviennent d’autres facteurs comme la temporalité et les biais contextuels. On s’arrête là ! Parce qu’il pourrait arriver au lecteur ce qui m’arrive en ce moment même, une surchauffe de ces petites cellules qui ont pour fonction de recevoir, conduire, transmettre et traiter l'ensemble des informations qui entrent et sortent du cerveau, les neurones.
Étant depuis toujours fâché avec les chiffres, et n’aimant pas beaucoup les controverses sur le sexe des anges, je m’en remets à mon éternelle bouée de secours, celle qui met tout le monde d’accord : le dictionnaire. Que dit-il ? « Chômage : Situation d'un salarié qui, bien qu’apte au travail, se trouve privé d'emploi », ce qui n’arrange pas mon raisonnement car cela suppose que pour être considéré comme chômeur, il faut avoir été salarié. Une définition qui, si on la retient, ferait tomber le taux du chômage au Maroc au-dessous des 13% trimestriels du HCP. Ça ne mène pas loin et je me rabats en conséquence sur Chômeur qui est pour le dictionnaire : demandeur d'emploi. Ce qui ne convient pas non plus la démonstration, parce que cette définition suppose que si l’on ne travaille pas et que l’on n’est pas demandeur d’emploi, on n’aurait pas le privilège, pas si rare selon les chiffres du RGPH, de figurer ni dans les 21% ni dans les 13% du seul et même HCP selon qu’il est recensement général ou enquête trimestrielle.
Faut-il en déduire que la question du chômage embrouille finalement tout le monde et que même le dictionnaire y perd son latin ?
Prenons le sol et restons sur terre : ou, en âge de travail, on a un travail ou, en âge de travail, on n’a pas de travail. On est alors chômeur. Ou le taux de chômage est de 21% ou de 13%. Cela s’appelle le bon sens. Point à la ligne. Car avec huit points d’écart, encore un peu et on aurait eu le double de chômeurs selon les résultats du RGPH.
En définitive, c’est mon ami Adnan Benchekroun qui a raison. Malgré ses louables efforts pour expliquer ce qui n’est pas à la portée de tous, il conclut : « Cette situation met en lumière la nécessité pour le HCP et les parties prenantes d’expliquer ces écarts afin d’éviter une confusion publique ». Pourquoi ? Parce que la confusion n’est pas encore là ?
PS : d’autres polémiques risquent d’enfler. Elles portent sur le nombre de locuteurs du hassani et des langues amazighes. Comme dit l’adage marocain : Chakib Benmoussa « a les pieds chaud ».