Algérie : L’armée se donne les moyens constitutionnels d’intervenir à l’étranger

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La présidence de la république algérienne a entamé ce jeudi 7 mai la remise du projet préliminaire de la révision constitutionnelle aux personnalités nationales et académiques, partis politiques, organisations de la société civile, syndicats et organisations estudiantines, pour débat et enrichissement, indique un communiqué de la présidence, rapporte le site algérien TSA.

La réforme porte sur six principaux axes : les droits et libertés, la séparation des pouvoirs, le pouvoir judiciaire, la cour constitutionnelle, la transparence et la lutte contre la corruption et l’autorité électorale indépendante. La mouture qui a été dévoilée, précise TSA, comporte les propositions la possibilité pour le président de nommer un vice-président et spécifie que nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels « consécutifs » ou « séparés ».

Mais c’est surtout la possibilité pour le président de la république algérienne d’envoyer des unités de l’ANP (armée algérienne) à l’extérieur du pays, une « grande nouveauté » précise TSA, qui retient l’attention des capitales étrangères. Pareille décision nécessitera l’accord du Parlement, de deux tiers selon l’agence française AFP, une formalité dans un système où la hiérarchie militaire a le premier et le dernier mot. 

Une forte zone de turbulences

Cette dernière modification de la loi fondamentale constituerait un changement de doctrine puisque jusqu’à maintenant l’armée, du moins dans le texte, s’interdisait toute intervention en territoire étranger, fut-ce pour des missions de maintien de la paix, pour des troupes qui ont déjà fort à faire pour sécuriser des frontières longues de  plus de 6500 kms avec cinq pays, la Libye, la Tunisie, la Mauritanie, le Maroc, le Mali et le Niger.

Outre le contentieux historique avec le Maroc, le mieux stabilisé en raison de la sécurité et de stabilité du Royaume et de sa politique étrangère pondérée, et, dans une moindre mesure, la Tunisie qui subit périodiquement à ses frontières avec son voisin de l’ouest les contrecoups des guerres civiles régionales qui ne disent pas leur nom, l’Algérie est entourée d’une forte et large zone de turbulences armées qui va de la Libye au Mali en passant par le Niger.

Le syndrome de la révolution des œillets

Hormis cette menace extérieure qui avait culminé en janvier 2013 par la meurtrière attaque du complexe pétrolier de In Amenas, l’armée algérienne a fort à faire pour la stabilisation de son front intérieur, un niveau qui a révélé sa fragilité au grand jour avec le déclenchement du Hirak en février 2019 et qui n’a pas encore dit son dernier mot. Le soulèvement des Algériens contre la prétention d’une partie du clan Bouteflika à un cinquième mandat et sa revendication d’un pouvoir civile a dévoilé au grand jour que la loi sur « la concorde civile » (septembre 1999) et la « charte pour la paix et la réconciliation nationale», entrée en vigueur le 27 février 2006, n’avaient qu’en partie et provisoirement réglé les séquelles de la longue guerre civile (1992 -2002) qui a fait plus de 200 mille morts.

Il est compréhensible qu’une armée pléthorique et suréquipée ne peut continuer indéfiniment à faire la besogne de la police et à terme son cantonnement à ce que ses hommes peuvent considérer comme des besognes subalternes peut constituer un danger pour sa propre hiérarchie travaillé par le « syndrome portugais » quand, en 1974, des officiers subalternes avaient mené contre la dictature militaire au Portugal la « révolution des œillets » pour instaurer un régime démocratique. 

En même temps les menées régionales de l’Egypte, l’entrée en scène sur le théâtre libyen d’une capitale nostalgique aussi lointaine de la région qu’Ankara, voire le jeu surdimensionné des Emirats Arabe Unis ne pouvaient laisser impassible le pouvoir militaire algérien. 

Un changement différemment apprécié 

Selon l’AFP, le comité d'experts chargé de la révision constitutionnelle, a borné les possibilités de l’intervention de l’armée à l'étranger, en les situant "dans le cadre des Nations unies, de l'Union africaine (UA) et de la Ligue arabe, et dans le plein respect de leurs principes et objectifs, participer à des opérations de restauration et de maintien de la paix". Mais ce n’est là que le paravent à la volonté d’Alger, qui a eu à éprouver les limites de son poids dans des conflits à ses frontières aussi bien en Libye qu’au Mali, de se doter des possibilités d’être mieux pris en compte. 

Ce changement de paradigme et différemment apprécié en Algérie. Alliée traditionnelle de la Russie, source principale de son armement, le pays s'est rapproché de l'Otan à partir des années 2000, notamment dans le cadre de la lutte antiterroriste. Mais son armée n'a participé à aucun conflit extérieur depuis la guerre des Six Jours (1967) et celle du Kippour (1973) contre Israël, rappelle l’agence française qui oublie l’affrontement d’Amgala avec l’armée marocaine. "L'envoi de troupes militaires à l'étranger risque d'exposer nos soldats et le pays tout entier au danger", estime Reda Deghbar, professeur à la faculté de droit de Blida (sud d'Alger). Cette initiative "risque d’hypothéquer la souveraineté de l'Algérie car elle va donner l'occasion à des forces étrangères s’immiscer dans les affaires internes du pays", ajoute Smaïl Maaref, expert des questions stratégiques.

Le président du comité d'experts, lui, émet un autre son de cloche : "Ces amendements ne remettent pas en cause les principes fondamentaux autour desquels s'organise la politique étrangère de l’Algérie : souveraineté, non-intervention et non-ingérence", argue-t-il.

Selon lui, la participation de l'armée à d'éventuelles opérations de maintien de la paix ne saurait être assimilée à "une forme d'intervention". "Dans ce genre d'opérations, il n'y a pas d'affrontements, ni d'usage de l'armement lourd". C’est mal connaitre les missions de maintien de la paix, mais il est ainsi, pouvait-il en être autrement, sur la même longueur d’onde que la hiérarchie militaire. Dans un éditorial publié dans sa revue El Djeich ("L'Armée"), elle affirme que la révision constitutionnelle est "pleinement conforme à la politique étrangère" algérienne.

Comme à son habitude, elle critique les détracteurs de la réforme, ceux qui "ont, selon elle, pris l’habitude de frayer en eaux troubles", les accusant d'avoir "tenté de sortir le débat de son contexte réel et choisi délibérément (...) de distiller (...) des idées empoisonnées". 

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