ON NE DÉRANGE PAS IMPUNÉMENT ''RAÏS EL-MARSA'' DE RABAT PENDANT SA ''N’ZAHA''  - Par Abdelfattah Bouzoubaa

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Les grands commerçants et les agents consulaires disaient que si le port de Rabat rapportait si peu au Trésor, c’était non seulement à cause de la barre qui obligeait les navires à attendre sur rade, mais également à cause du fonctionnement défectueux des services du port.

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Par Abdelfattah Bouzoubaa   

Au 19eme siècle, le port de Rabat occupait une place modeste, mais qui aurait pu être meilleure, parmi les ports de la côte atlantique du Royaume. Sa rade foraine qui n’offre aucun abri contre la houle et le vent n’était pas étrangère à cette situation. Cependant, bon an mal an, Rabat accueillait une centaine de navires qui chargeaient et déchargeaient quelques dizaines de milliers de tonnes de marchandises sur rade ou à l’embouchure de l’Oued Bou Regreg, lorsque les conditions météorologiques le permettaient.

Les grands commerçants et les agents consulaires disaient que si le port de Rabat rapportait si peu au Trésor, c’était non seulement à cause de la barre qui obligeait les navires à attendre sur rade que l’amélioration des conditions météorologiques permette la sortie en mer des barcasses servant au déchargement et au chargement des navires, mais également à cause du fonctionnement défectueux des services du port.

Lien du musée de l’histoire maritime du Maroc créé par. Abdelfattah Bouzoubaa, ancien commandant long cours :  www.museemaritime.ma 

Ils disaient aux représentants du Makhzen que si la qualité des services rendus aux navires était améliorée, cela aurait un impact positif important sur le commerce maritime du pays et augmenterait sensiblement les recettes du Trésor Chérifien.

Les agents des armateurs faisaient part de leurs doléances au Makhzen et sollicitaient son intervention pour améliorer la situation. Le nombre insuffisant de barcasses et leur disponibilité aléatoire disaient-ils, avaient pour conséquence la prolongation de la durée d’escale des navires et par conséquent le renchérissement du coût du transport maritime. 

Ces barcasses en bois construites localement, appartenaient au Makhzen. Elles avaient une capacité de chargement d’une vingtaine de tonnes et faisaient 2 à 4 voyages par jour entre le navire sur rade et le quai, lorsque le temps était maniable. Elles étaient manœuvrées à la rame par un équipage de 16 mariniers placés sous les ordres d’un patron (Rais al Qareb)

Les patrons des barcasses étaient sous les ordre de Rais El-Marsa. Les mariniers étaient rémunérés sur le prix des voyages effectués entre le navire sur rade et le quai.

Le Sultan Hassan 1er avait ordonné que Raïs El-Marsa augmente le nombre de barcasses en service et améliore la cadence des opérations de chargement et de déchargement des navires sur rade. En 1890, des instructions furent même données pour maintenir en permanence huit barcasses en état de prendre la mer.

De nouvelles barcasses ont bien été construites, mais faute d’entretien régulier il n’y en avait jamais que trois ou quatre en état de navigabilité. De plus, de l’avis des agents consulaires, les ordres du Makhzen se heurtaient à l’inertie des fonctionnaires et au peu de zèle des équipages des barcasses. 

Or l’accroissement des échanges commerciaux du Royaume et l’amélioration des recettes du Trésor, nécessitaient non seulement des équipements mais également la diligence des fonctionnaires du port et des équipages des barcasses. Mais force était de constater que les remontrances régulièrement adressées par le Grand Vizir aux fonctionnaires du port de Rabat, n’augmentaient pas leur zèle dans l’accomplissement de leurs tâches. 

Jacques Caillé rapporte dans « La petite histoire de Rabat » que : « …les Oumana des douanes montraient de la bonne volonté, mais ils n’avaient aucun pouvoir sur le Raïs du port et son Khalifa de qui venait tout le mal. Ceux-ci étaient parfois du reste singulièrement choisis. En 1887 on nomme Raïs du port de Rabat un homme qui n’avait jamais navigué et qui (disait-on) exerçait le métier de cordonnier….Ce marin improvisé avait d’ailleurs une façon toute particulière de remplir ses obligations. Un matin de Juin 1891, alors que le vapeur « Moselle » de la Compagnie Paquet était arrivé en rade, il quitta la ville avec tous ses matelots pour une N’zaha (partie de campagne) dans les environs. »  

Après des démarches auprès de l’Amine des Douanes et du Pacha de la ville, le Consul français obtint que Raïs El-Marsa et ses mariniers reviennent au port. « Ceux-ci armèrent une barcasse mais ne firent qu’un seul voyage à la « Moselle », puis furieux d’avoir été dérangés pendant leur N’zaha, ils retournèrent aussitôt à leurs plaisirs, sans tenir compte des protestations du représentant de la Compagnie Paquet… ».

Pouvait-on en vouloir aux mariniers qui  avaient tendance à préférer les N’Zaha sur les rives de l’Oued Bou Regreg à la manœuvre dangereuse des barcasses pour franchir la barre du même Oued ?

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