Au commencement….

5437685854_d630fceaff_b-

1
Partager :
couv-lahjomri Beaucoup d??crivains ont quitt? le port et la patrie. Driss Ksikes a fait le choix contraire. Il est courageusement rest? et son r?cit est un essai de r?invention Je croyais qu?au commencement ?tait le Verbe. Avec le r?cit qu?il vient de publier, Driss Ksikes m?apprend qu?au commencement fut le silence. C?est ce que sugg?re le titre choisi pour son nouvel ouvrage ??L?Homme descend du silence??, sorte de ??table philosophique?? (l?expression est semble-t-il de l?auteur) qu?on pourrait aussi bien intituler ??La fin de l?Utopie??, ??Le renoncement??, ??Le scribe d?sabus頻 ou ??Le d?senchantement?? tant tous ces th?mes s?enchev?trent dans une succession de fragments puissants dans leur concision et intenses dans leur simplicit?. Ce titre reste pourtant ?nigmatique, le r?cit pr?sentant plut?t une parole d?une limpidit? r?confortante, coulant de source, et offrant une clart? qui d?voile t?m?rairement nos infirmit?s. ??La langue du po?te est limpide??, ?crit Driss Ksikes. C?est bien ? cause de cette limpidit? et de cette clart? que je me suis demand? pourquoi l?on pr?sente ce r?cit comme un ??texte ? cl?s??. Driss Ksikes est un habile touche ? tout. Il fut un journaliste courageux mais a renonc? ? juste titre ? cette activit? souvent p?rilleuse qui fait souffrir la v?rit? d?instabilit? et de manque d?authenticit?. L?a-t-il quitt?e?? Dans deux fragments de ce r?cit ??Un d?ner providentiel ? et Vies sans mode d?emploi??, le lecteur retrouve avec bonheur le meilleur de son inspiration journalistique. Il est ??homme de th??tre??, imaginatif et talentueux. Sa pi?ce ??Il?? en est un exemple s?duisant. Il est penseur, et chercheur exigeant avec les rencontres d?Ibn Rochd et Economia qui questionnent le monde et nos consciences. Il est po?te et surtout romancier avec ??Ma bo?te noire??, une autobiographie d?apprentissage qu?il a publi?e, il ya quelques ann?es comme si, ? l?instar de ses pr?d?cesseurs il fallait qu?il sacrifi?t absolument, au d?but de son aventure d??crivain, ? ce rite et ? ce rituel oblig?s. L??criture du moi, bien que tenace, n?est fort heureusement pas la raison d??tre de ce r?cit. L?auteur affirme que c?est ??le roman d?une g?n?ration??. C?est plut?t ??Le roman d?un enfant du si?cle??, qui ??face aux inventaires?? se demande s?il faut partir ou rester et inventer l??criture qui redonne vie, reconstituer ??ce livre unique de la vie ou prendre l?habitude de se taire??. Il a refus? l?exil surtout l?exil int?rieur, choisi de rester au pays, de croire ? ??la vague promesse que la fiction pouvait redonner vie ? celui qui l?enfante?? et comme les enfants handicap?s qui l?ont ?mu, a choisi de d?fier le silence par un d?sir ardent de vie, d??couter ??le vieux silence qui nous a berc? avant la parole??, ?un silence virginal??, et a choisi de chanter pour nous la flamboyante virginit? de mots jusque l? inconnus. D?o? vient que malgr? ce choix courageux, cette ?criture soit une ?criture d?sabus?e, d?senchant?e, et qu?une tristesse ind?finie irradie l?ensemble du r?cit?? Il y a dans ce texte trois phrases qui ?clairent le lecteur et justifient ce d?senchantement. La premi?re est ??Mais les mots se sont ?puis?s??, la deuxi?me est ??Mais alors??? quoi cela sert d??crire finalement???? et la troisi?me, cons?quence de cette interrogation?: ??En repartant, r?sonnait dans ma t?te cette ancienne phrase que r?p?tait Ali, des jours o? face ? l?injustice, il s?abstenait d??crire. Je ne l?ai jamais autant comprise??. Ce d?senchantement vient-il de la d?faite de l?intellectuel face aux injustices et face ? l?oppression?? Ou parce que les mots se seraient ?puis?s, ? les d?noncer?? Ou parce que pendant quinze ann?es le ??Je?? du r?cit ??a traqu? les moments de silence?? et ??a agenc? des mots pour remplir ? le vide????. Cet enfant du si?cle, toutefois, juste et pertinent dans son appr?ciation du si?cle reste ??optimiste??, convaincu que le pr?sent de notre si?cle n?est qu?un perp?tuel ?quilibre entre une ??dette?? et un ??horizon??. Une dette qui fait que l?on ne fuit pas la patrie, ??parce que l?on sent que l?on n?a pas encore assez rendu ? cette terre pour la quitter?? et un horizon parce que l?on reste malgr? tout un peu ??optimiste??, quant ??aux petits faits qui pourraient d?vier le parcours incertain de la vie??. Beaucoup d??crivains ont quitt? le port et la patrie, se sont exil?s, et ont cru dans cet exil, au-del? de l?oc?an, faire rena?tre le langage et les mots ?puis?s. Driss Ksikes a fait le choix contraire. Il est courageusement rest? et son r?cit est un essai de r?invention, de la parole litt?raire ici et maintenant quelles que soient les injustices. Ce r?cit est promesse d?une ?criture nouvelle, de nouvelles pages qu?un ??Je??, qui n?est plus th?rapeutique, construit pour cr?er une nouvelle esth?tique. Driss Kiskes admire la concision du po?te portugais Fernando Pessoa dans son ?uvre ??Le livre de l?intranquilit頻. Il vient de r?ussir dans ??L?homme descend du silence?? le renouvellement du discours litt?raire par la mise en ?uvre d?une simplicit? langagi?re remarquablement maitris?e. Rupture avec une expression qui n?en finit pas de devenir st?rile et promesse d?un renouveau fictionnel qui tardait ? surgir pour rafraichir notre horizon cr?ateur, et notre mani?re de vivre la beaut? en ce monde. Driss Ksikes montre aussi avec ??L?homme descend du silence?? aux apprentis ?crivains, de langue fran?aise, et pourquoi pas aussi de langue arabe, comment ?crire leur ??Kitab?? au rythme d?une parole qui transcenderait et vaincrait le d?senchantement inf?cond qui guette nos incertitudes.

lire aussi