La voix de la poétesse

5437685854_d630fceaff_b-

1
Partager :

Photo-sous-l'arbre

*Ancien ministre, ancien repr?sentant du Maroc ? l?ONU, ex-pr?sident de l?universit? Hassan II-A?n Chok de Casablanca, Aziz Hasbi est enseignant

Elle appela pour m?inviter ? une lecture de son premier recueil de po?sie. Je fus interpell? par sa petite voix, enfantine et suave. Mais j??tais d?cid? ? d?cliner l?invitation. Les raisons ne manquaient pas. Mon mal de dos reste toujours une excuse valable et r?elle. Mais d?autres maux, ceux-l? plus profonds, ?mergent chaque fois que l?on veut me ramener vers une ville avec laquelle j?ai une histoire d?amour d??u. Je m?excusai donc. Mais je sentis au bout du fil une insistance m?l?e ? une pri?re. Ma r?solution faiblit, mais la torpeur dans laquelle j??tais enserr? depuis un certain temps me dicta la volont? de r?sister. De guerre lasse, je dus cependant me r?fugier dans les bras de la fatalit?, avec laquelle j?ai rompu depuis bien longtemps. J?invoquai le miracle pour calmer la voix convaincante et ent?t?e de mon interlocutrice?: ??Ce serait bien difficile d?honorer votre invite si agr?able, ? moins d?un miracle???. Et le miracle fut, aid? un peu par ma femme qui cherchait ? me faire changer d?air.

Lorsque je pris la route, je rappelai la petite voix suave et d?cid?e. ??Je viens??, lui-dis-je. La petite voix prit une ampleur et laissa ?chapper le timbre d?une joie bruyante, celle d?une petite fille ? laquelle on vient d?offrir le jouet de ses r?ves. Je trouvai cette liesse un peu disproportionn?e. Apr?s tout, mon acte ne pouvait aller au-del? d?une pr?sence physique, protocolaire et un peu g?n?e au sein d?un monde que je cherchais ? ?loigner de mon horizon d?homme r?serv?, quelque peu blas? et un tantinet m?fiant ? l??gard d?effusions qui ont toujours in fine charri? pour lui de la d?ception. Mais, au fond, j??tais titill? par mon optimisme naturel qui m?a toujours pouss? ? aller au-devant de l??v?nement, avec l?espoir de d?jouer la malice du doute sur la sinc?rit? des gens et des sentiments. En fait, j?avais l?impression que le miracle cherchait ? jouer son r?le jusqu?au bout.

La petite voix timide, mais qui savait afficher sa reconnaissance pu?rile, se personnifia en jeune femme chez laquelle la gr?ce semble avoir ?lu domicile depuis toujours. Je la vis descendre de sa voiture. Sa coquetterie sans ?ge lui donne le charme qui sied ? toutes les ?poques. J?aurais pu la rencontrer aujourd?hui, comme hier, ou dans un autre si?cle?: elle aurait toujours pour moi un air familier, voire de famille. Je trouvai donc naturel d??tre l? avec elle et son groupe d?intellectuels portant sur leurs ?paules les espoirs, mais surtout les soucis de l?humanit? qu?ils essaient de conjurer par la force du verbe et le martyre de ceux qui, ? travers tous les temps, cherchent ? expier les fautes des hommes.

La femme ?l?gante et quelque peu intimid?e, qui surgit de la petite voix du t?l?phone, me parla. Elle me dit me conna?tre, avoir avec moi des liens de complicit? de contribule, voire de membre de famille? J?eus l?impression que j?entamai avec elle la suite d?une conversation commenc?e depuis des temps imm?moriaux. La sympathie triompha de la r?serve et la gr?ce enveloppa cette rencontre qui puisait dans une intimit? pr?existante et invincible.

??Ainsi parla?? la po?tesse, s?adressant ? son public du moment?:

Quand j?aime, j?ouvre mon jardin secret. Je d?pose sur l?autel de l?amour mon c?ur et la quintessence de mon ?me, telle une offrande. Mais mon sacrifice n?est pas expiatoire d?une quelconque faute. C?est mon hymne ? la beaut? de l?amour.

Mais n?entrez pas avec fracas dans mon jardin secret. M?nagez ses all?es parsem?es de rimes et de lambeaux d?odes inachev?es. Marchez sur mon sol en po?te et non en rimailleur. Ne brusquez pas les p?tales de ma sensibilit? que je laisse voler tels les papillons de l?Eden sur les espaces parfum?s de mon c?ur.

Je suis fragile et je recompose contin?ment la m?lodie de ma faiblesse comme une romance qui attend l?instrument et l?artiste pour livrer la m?lodie de ses rythmes. Je suis narcissique, me dites-vous parfois. Certes. Mais n?avez-vous pas pav? mon chemin de vos lyrismes et de p?tales rouges de vos po?mes?? N?avez-vous pas chant? la beaut? de mes yeux, la graine bergui de ma peau, la fragrance de mes vers?? Je reste la reine et l?enchanteresse ?ternelle et j?exige l?all?geance que vous me devez. Ne rompez pas le pacte?!

Si vous le rompez, ma vengeance sera terrible.

Mais rassurez-vous?: je ne dispose que de la tristesse de ces yeux que vous avez tant glorifi?s et de ce c?ur qui a accueilli vos flammes, vos lamentations et vos cris de d?tresse. Je ne dispose que de cet amour d?mesur? qui vous a tant consol?s. Tel le samoura?, je retourne toujours l?arme de mon courroux contre ma chair. Je laisserai les ombres de la tristesse envahir mes beaux yeux. Je laisserai mourir le sourire sur mes l?vres. Je laisserai d?p?rir ce corps que vous avez tant martyris?.

Mais je forcerai la porte de ma Muse et je r?veillerai mes sens pour ?tre engross?s. J?accoucherai dans la douleur de complaintes. Leurs rimes remplaceront les roses rouges que vous ne daignez plus jeter ? mes pieds, caresseront mes yeux et d?m?leront mes cils. Ils effaceront la tristesse de ces yeux qui ont ensorcel? des g?n?rations. Et je rena?trai de mes cendres, tel le Ph?nix de la mythologie.

La petite voix, personnifi?e en femme, parla donc, d?clinant les strophes de ses po?mes tel le d?luge de perles qui se d?tachaient d?un collier venant des tr?fonds de l?histoire. Leur chute dans mon oreille cr?ait un tumulte peu commun. La petite voix se changeait tour ? tour en souffle doux et caressant et en un tsunami qui faisait d?ferler des vagues terrifiantes. Elle me m?tamorphosait en surfeur ballot? par les vagues et leur reflux. Elle faisait de moi un cavalier chevauchant le puissant destrier de la charge qu?ils lib?raient. Le temps d?un po?me, je renouai avec un moi que je croyais enseveli sous les d?combres des ann?es, du r?alisme qui s??tait install? en moi... L?espace d?un moment, il n?y avait plus en moi de sagesse pouvant r?fr?ner l?enthousiasme du chevalier, jeune et beau, que cette ambiance me donnait la douce illusion d??tre.

La voix enfantine transform?e en femme qui criait sa f?minit?, la profondeur de sa pens?e d?intellectuelle tra?nant les blessures d?un milieu ?minemment misogyne, cherchait une ?me s?ur qui comprenne son message et partage la sublimit? du moment. J?avais la certitude qu?elle s?adressait ? moi tout seul. Elle me disait qu?elle serait mon sauveur, celui qui posera ses l?vres sur ma chair pour y mettre le baume que les autres ont subtilis?, de d?poussi?rer mes ann?es et d?plier mes rides pour les exposer ? son soleil bienfaisant, d??tre mon r?conciliateur avec un monde qui m?a appris la m?fiance et le rejet. La voix me dit que j??tais beau, grand g?n?reux et savant. L?adolescent qu?elle r?veilla en moi se soumit docilement ? ses jugements. L?homme que je suis a peur de ne pas ?tre ? la hauteur de ces attentes.

Ainsi furent exerc?s sur moi le pouvoir et la magie de la voix du t?l?phone transform?e en f?e, le temps d?un po?me. Mais les temps r?els des po?mes sont ?ternels.

R?plique muette ? la voix enfantine faite po?tesse?:

Fais appel ? ta verve. Rends justice au monde boud? par les po?tes et autres beaux prosateurs. Dis ? tous que le r?ve est indissolublement li? ? la vie. Nous r?vons pour continuer ? vivre. Nous r?vons pour venir ? bout des affres de l?existence. Les uns pour caler leur trop plein de fougue, les autres pour stimuler un corps qui ne r?pond plus aussi promptement aux vibrations du c?ur.

Mais le c?ur rec?le en lui une ?nergie in?puisable et une fureur d??tre. Une force irr?ductible qui r?siste ? toutes les prises d?assaut de la routine, du quotidien et des ann?es.

Cette potentialit? sommeille en chacun de nous. Mais elle tend ? s?enfermer formellement dans la pudeur ou la r?serve, lorsque le rythme d?amoncellement des ans s?acc?l?re. Ses porteurs se laissent entra?ner par les murmures des nymphes qui disent ? ceux qui sont ? la recherche d?amour facile qu?elles pr?f?rent les hommes ??m?rs??. Ceux-ci font semblant de croire un moment ? tous les euph?mismes?; et paient en retour leur ran?on aux plaisirs vol?s ? la h?te de l??ge.

Dis-leur tout cela et plus. Dis-leur qu?on peut, ? la mani?re ancienne, ass?ner un douloureux coup de massue sur le pied pour couvrir l?extraction d?une dent. Qu?on peut aussi mordre dans un morceau de bois pour supporter la brutalit? des blessures de la chair. Mais on ne peut rien contre le c?ur. C?est lui qui donne une couleur ? la vie. Une beaut? au corps. La beaut? vient de l?int?rieur, m?a-t-on toujours r?p?t?. J?ai la faiblesse d?y croire.

Dis tout cela po?tesse. Et encore davantage. Tes mots rendent douce la folie attribu?e ? ceux qui affichent une nouvelle naissance, une nouvelle adolescence. A ceux qui d?fient les ?ges. Dis-leur que le c?ur ignore les lois du corps. Dis-leur que l?amour, dans toutes ses expressions, est ?ternel.

lire aussi