Lisez ??La nuit des disgraci?s??. Vous y admirerez comment M. Loakira y est devenu autre et est aussi rest? lui-m?me, po?te
C?est, bien s?r, la tentation du roman. Voil? un immense po?te, discret mais indispensable ? notre paysage litt?raire et culturel, qui, fascin? par le genre roman, a fini par succomber et offrir ? un public fid?le mais d?contenanc? une passionnante trilogie ??L?Esplanade des saints et Cie, A corps perdu, et l?Inavouable?? et qui r?cidive maintenant en publiant un autre roman intitul? ??La nuit des disgraci?s?? aussi passionnant mais tout aussi d?concertant.
Quand, par amiti?, il m?annon?a un jour que cela y ?tait et qu?il avait franchi le Rubicon, je m??tais demand? ce qu?il ?tait all? faire dans les limbes ?prouvantes de la cr?ation romanesque, lui, qui a su conqu?rir, ? force de labeur, de patience, d?abn?gation et de sueur les territoires encore plus p?rilleux de la cr?ation po?tique. Il est po?te, et ses vers sont comme l?ornement dont a besoin notre univers litt?raire ind?cis, instable et brouillon. Pourquoi donc tenter une aventure pleine d?emb?ches, d?impr?vus et d?incertitudes. Il est ??le voyant??, qui voit mais ne d?voile pas, qui laisse flotter les sens qui se cachent au-del? des mots. Qu?est-il all? chercher dans un monde o? il faut tout d?crire, tout expliquer, et tout raconter, tout d?voiler?? Il est ??faiseur de paroles??. Qu?est-il all? trouver dans la grammaire des r?cits qu?il n?ait d?j? connu dans ??les combles de l??criture?? et ??les limites du dire???? Prenons un exemple, le mot choisi comme titre d?un de ses recueils. ??N??tre??. Invention d?une richesse inou?e. Entendu et non vu, ?nonc? et ?cout? puisque la po?sie s??nonce et s??coute, il ?voquerait la naissance, la vie, le devenir, l?esp?rance, les bonheurs possibles. Vu, et lu apr?s vu dans cette calligraphie il ?voque la mort, la finitude, la disparition, le n?ant, les malheurs, la disparition, la n?gation. C?est cela l?art du po?te M. Loakira?: sugg?rer dans le m?me mot la vie et la mort, l??tre et le n?ant, l?heur et la d?sesp?rance. Une ?criture qui dit le Tout et le Rien dans le m?me mot, la m?me expression, la m?me image. Son art y est, dans cette ?criture, en danger de flottement, d?irr?alit?, de suicide. C?est loin d??tre le cas du roman quelque soit la dext?rit? du romancier. Le mot s?y installe dans la clart? narrative, la transparence descriptive, l?itin?raire de l?intrigue. Qu?est-il donc all? chercher dans cette ?criture pr?visible du r?cit, lui qui a su et sait nous guider dans le monde des mots, des sensations, des images impr?visibles, inattendus, lui qui nous y plonge pour trouver du nouveau, comme le voulait Baudelaire?? Certes M. Loakira est plus rimbaldien que baudelairien mais il est ??faiseur de nouveau???? Il reste d?couvreur de mots. Il l?est rest? aussi dans ce roman ??La nuit des disgraci?s??. M. Loakira avait dans son amicale compr?hension pardonn? ma s?v?rit? ? propos de ??L?Esplanades des Saints et Cie??. Puis, je me suis r?joui qu?il ait ?t? distingu? pour le Prix Grand Atlas. Ce nouveau roman est s?rement le fruit d?une lutte int?rieure qui aurait oppos? M. Loakira po?te ? M. Loakira romancier. Et cette lutte qui a certainement ?t? harassante a fini par accoucher d?une ?uvre qui s?duit l?amateur de roman, sans irriter l?admirateur du po?te. Ce fut pour le critique une r?confortante surprise. L?auteur, s?empare du r?el, du pr?sent de notre soci?t?, des forces qui la traversent et qui la minent, de la famille qui ?clate, des couples qui se d?chirent, des enfants en perdition, des croyances qui s?affrontent, des valeurs qui s?effritent, des craintes qui nous habitent, des angoisses qui nous accablent, de la mort qui guette partout dans la ruelle, le quartier, la ville, le pays, des menaces qui se r?pandent dans la cit?, du pass? dont on fait table rase, des jours ? venir qui n?offriront plus jamais le charme v?n?neux d?un pr?sent d?licieusement ?picurien. Ce corps ? corps avec le r?el l?auteur l?a r?ussi, et sans c?der ? la dictature de l?intrigue, a su ?voquer une soci?t? en dispersion, biens et ?mes. Les personnages sont attachants dans leur mis?re mat?rielle pour les uns, morales pour les autres. Et la c?r?monie nocturne, ?picentre de tous les d?sirs, de toutes les esp?rances et de toutes les attentes, esp?r?e, pr?par?e n?aura jamais lieu. Ce suspens, ma?tris? par le romancier, est dans ce r?cit une planche de salut pour le po?te. Ainsi lib?r? de l?obligation narrative, il laissa l?invention po?tique reprendre ses droits et resta tout au long du r?cit fid?le ? lui-m?me. Cette fois, l?auteur est arriv? ? me convaincre que ??l?identit? g?n?rique d?une production n?est pas primordiale pour son appr?hension??. L?essentiel ?tant le plaisir de lire. Pour lui d??crire dans ??le d?sir d??tre autre sans cesser d??tre soi-m?me??.
Lisez ??La nuit des disgraci?s??. Vous y admirerez comment M. Loakira y est devenu
autre en c?dant ? la tentation du roman et est aussi
rest? lui-m?me, po?te, en se jouant de nos mots et de nos pr?f?rences.