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''Les chercheuses'', ces mères en quête des disparus du conflit en Colombie
Nous, les mères des personnes disparues, souffrons d'une douleur éternelle" ont écrit des femmes qui mènent une quête sans fin, dans des messages qu'elles distribuent aux passagers des bus de Cali, ville du sud-ouest de la Colombie.
"Les chercheuses", comme se présentent ces mères brisées et vieillies avant l'âge par la tragédie, brandissent des pancartes dans les stations du transport public, avec les photos de leurs enfants dont la trace s'est perdue dans la guerre fratricide qui déchire ce pays depuis plus d'un demi-siècle.
La question "¿Dónde está?" (Où est-il/elle? - ndlr) surmonte les portraits de chacun de ces civils et soldats, hommes et femmes, la plupart très jeunes.
"C'est comme un cri que nous lançons pour que le monde sache (...) prenne conscience", a expliqué à l'AFP Maria Elena Gallego, qui se reproche presque ne pas réussir à retrouver sa fille disparue depuis huit ans.
Près de 35 femmes tentent d'appeler ainsi l'attention sur la profonde déchirure que provoque la disparition forcée, montent dans les bus, pancarte autour du cou, et distribuent leurs messages.
Ces textes relatent l'histoire de quelques uns des près de 83.000 disparus du conflit, un chiffre presque trois fois plus élevé que le bilan total des dictatures argentine, brésilienne et chilienne du XXe siècle.
"Cher ami (...) J'écris cette lettre parce que je veux que tu saches ce qu'a été ma vie", dit le message que Maria Elena distribue aux passagers.
Thérapie contre une douloureuse absence
Puis, elle raconte le peu qu'elle sait sur qui est arrivé à sa fille, Sandra Viviana Cuellar, ingénieure environnementale: le 17 février 2011, elle est partie pour Palmira, ville située à une trentaine de kilomètres de Cali, et n'est jamais revenue. Elle avait 26 ans.
"Je me suis attelée à la tâche d'enquêter à son sujet. D'aller de ci, de là. De participer à des ateliers pour apprendre comment chercher ma fille parce que ce que je désire le plus, c'est qu'elle réapparaisse", conclut le message.
Pour Maria Elena, raconter son drame dans les bus est une sorte de baume contre l'incertitude.
"Au moins, on sort, on crie, on parle, on pleure. C'est un exutoire (...) c'est une thérapie. Mais la douleur, on l'emmène partout. C'est un tourment qui ne peut se comprendre", dit-elle.
Bien qu'aucune autorité de ne lui ait fourni de piste sur le sort de Sandra Viviana, elle croit que sa fille a disparu à cause de son travail en faveur de l'environnement. Et elle pense qu'elle peut encore la retrouver en vie.
Une campagne intitulée #ReconocemosSuBúsqueda (Reconnaissons leur quête - ndlr) a été lancée cette année pour mettre en lumière le travail de ces femmes qui, en solitaire, enquêtent sur la disparition de leurs proches.
L'initiative est soutenue par l'Unité de recherche des personnes portées disparues et par la Commission de vérité, créées dans le cadre de l'accord de paix de 2016 qui a mis fin à plus de 50 ans de confrontation armée avec la puissante guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc).
Pourquoi tant d'indifférence ?
Les lecteurs des messages, publiés aussi sur le site web de la commission, peuvent écrire aux victimes via les réseaux sociaux. 'une d'elles, Luz Edilia Florez, 57 ans, a payé dans sa chair le fait d'avoir voulu savoir ce qui est arrivé à son fils José Ernesto Moran, enlevé en 2002 par une milice d'extrême droite à Jamundi (sud-ouest) après avoir refusé d'être enrôlé.
Quand ces paramilitaires ont découvert qu'elle enquêtait, ils l'ont séquestrée, violée, torturée, puis l'ont jetée dans un torrent, la laissant pour morte, se souvient-elle.
Aujourd'hui dans les bus de Cali, elle distribue son témoignage, qui dénonce aussi l'"indifférence" de la société envers ces drames.
S"accrochant vaille que vaille à une barre, l'immense photo de son fils pendue à son cou, elle chante sur un rythme de lamentation. "Mon fils pourrait être dans une fosse", admet-elle.
La disparition forcée est judiciairement considérée comme un crime depuis 19 ans en Colombie, où le conflit a, au fil des décennies, impliqué une trentaine de guérillas, des groupes paramilitaires et les forces de l'ordre. Selon le Centre national de mémoire historique, entité publique, au moins 82.998 personnes ont disparu de force entre 1958 et 2017, mais les responsables n'en sont connus que pour 52% des cas.
Pour la Journée internationale des victimes de disparitions forcées, organisée le 30 août de chaque année, Luz Edilia demande seulement qu'"il n'y ait plus de disparus". Et elle continuera à chercher son fils.