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L’Algérie dans le miroir des BRICS – Par Talaa Saoud Atlassi
Comment un président de la République peut-il solliciter publiquement, l’adhésion aux BRICS, demander devant la presse mondiale l’appui des dirigeants de la Russie et de la Chine, lors de ses visites officielles dans ces deux pays, sans s’être assuré auparavant de la recevabilité de sa candidature ?
Gageons, sans préjugé, que la direction algérienne fera preuve du sérieux nécessaire à toute direction politique qui se respecte, pour se rendre à l’évidence que le rejet de sa demande d’adhésion aux BRICS est une décision souveraine de ce groupe. Et qu’elle n’y verrait pas, une fois encore, pas une énième manœuvre marocaine ourdie par la monarchie marocaine et mise en œuvre par des Nasser Bourita ou des Fouzi Lakjâa.
Ce serait déjà un progrès de perdre la mauvaise l’habitude d’imputer systématiquement ses échecs et revers politiques au Makhzen.
Ce rejet et ses enseignements méritent une analyse plus profonde que les réactions superficielles auxquels sont abonnés le président Abdelmadjid Tebboune et une bonne partie de la presse algérienne. La direction de ce pays est à un tournant historique, un de ces moments de l’Histoire propices aux réajustements, car sont seuls responsables de cette situation, ceux qui ont conduit l’Algérie droit dans ce mur.
Par une approche, essentiellement articulée autour de l’hostilité envers le Maroc dont le pouvoir algérien fait sa préoccupation première au mépris des réalités de l’Histoire et de la Géographie, les élites algériennes se sont enferrées dans une surenchère pathologique qui les a privées d’un élément fondamental de la praxis politique : le réalisme. Après s’être forgée l’idée de l’anecdotique et obsessionnelle « force de frappe », la direction algérienne a fini par y croire, sans jamais se rendre compte qu’elle ne convainc personne, sinon elle-même.
Et voilà que les BRICS, réunis en Afrique du Sud, pays allié, lui administrent, malgré les manœuvres de Pretoria, la preuve qu’elle n’est ni une puissance, ni une force de frappe, mais une victime de ses propres illusions. Une fois remis de leur stupeur pour s’être longtemps perdue dans le fantasmagorique, les détenteurs du pouvoir en Algérie, toutes tendances confondues, ont intérêt à atterrir pour revoir leurs politiques et sonder les ressorts profonds de la politique extérieure qu’ils ont imposée au pays, notamment à l’égard du Maroc. Seulement alors ils seront en mesure de saisir la chance historique qui leur est ainsi offerte, fut-ce malgré eux, de se débarrasser du songe et d’amorcer l’éveil à une nouvelle ère.
Bien avant le sommet, dans un article publié par le journal « Al-Arab » du 15 - 07 - 2023, j’ai relevé que les BRICS avaient rejeté, lors d’une réunion préliminaire technique en Afrique du Sud, la candidature de l’Algérie qui ne remplissait pas les conditions d’adhésion. D’autres ont écrit sur le même sujet aussi. Et il était clair, dès le départ, que la direction algérienne ne faisait que se mentir et versait allègrement dans la survente des aptitudes et capacités de son pays, alors même que le groupe des BRICS, notamment deux de ses mastodontes, Moscou et Pékin, n’avait pas besoin d’études spécialisées en sciences politiques et économiques pour écarter la candidature de l’Algérie. Ils connaissent si bien le pays et ses insuffisances pour qu’une quelconque prétention puisse les tromper. Aux autres, il suffisait de jeter un regard sur les rapports de presse relatifs aux pénuries et sur l’intervention des autorités pour réguler la distribution du lait et du sucre sur les régions et les wilayas. Ce vécu quotidien, à lui seul, renseignait largement sur l’énorme défaillance économique, sociale et politique, sans rapport avec le chant de « la force de frappe » et ses relents belliqueux.
Ce parcours nuisible à l’image de l’Algérie a mis à nu le hiatus béant entre la direction du pays et sa réalité, révélant au passage que les propos soufflés au président Tebboune pour ses entretiens avec les dirigeants des pays influents, manquent affreusement de sérieux et le réduisent, peut-être à dessein, en amuseur de la galerie. Sinon comment un président de la République solliciterait-il, publiquement, l’adhésion aux BRICS, demanderait devant la presse mondiale l’appui des dirigeants de la Russie et de la Chine, lors de ses visites officielles dans ces deux pays, sans s’être assuré auparavant de la recevabilité de sa candidature ? On se rappelle comment les deux chefs d’Etat, n’en pensant pas moins, ont poliment hoché la tête à l’adresse de M. Tebboune qui vient de subir tout aussi publiquement une cinglante fin de non-recevoir.
C’est un scandale retentissant qui renseigne sur le statut du président dans la hiérarchie algérienne. Si bien que l’on serait tenté de croire que certains s’emploient délibérément à montrer que le président est nu comme "Le roi " dans le conte "Les habits neufs de l'empereur" de Hans Christian Andersen. C’est ce qui expliquerait, peut-être, sa propension au bavardage et aux sorties fantasques et excentriques, puisque la vraie direction ne lui fournit pas, comme l’exige le sérieux politique, des données profondes et utiles pour formuler des propos raisonnables et réfléchis. A fortiori lorsque l’on sait que l’homme ne dispose pas, déjà à la base, de compétences politiques propres ou de lucidité innée pour la présidence de l’Etat.
À Johannesburg, seule la Realpolitik a prévalu, ni les prétentions du pouvoir algérien, ni les manœuvres de son allié sud-africain n’ont une brèche pour laisser passer l’eau dans une organisation en phase de croissance, soucieuse d’abord de sa crédibilité et de l’image qu’elle entend renvoyer d’elle-même. Elle ne pouvait que conclure que l’Algérie, contrairement à six autres nations invitées à rejoindre les BRICS, n’est pas éligible à l’adhésion.
Outre l’insuffisance des structures économiques qui ont handicapé sa candidature, la direction algérienne ne manquera pas de déchiffrer le message géopolitique adressé par le groupe via ce rejet. Les BRICS, conscients des ressorts de la candidature algérienne, ne pouvaient privilégier l’Algérie aux dépens du Maroc, quand bien même le Maroc n’a ni manœuvré ni œuvré dans ce sens. Le Royaume, pays qui pèse dans les équations de la Chine, de la Russie et de l’Inde, est un acteur prometteur dans l’ordre mondial en gestation aux plans économique et politique. Le Maroc n’a pas demandé l’adhésion aux BRICS et il l’a annoncé publiquement pour confondre les manœuvres dérisoires de l’Afrique du Sud qui désirait associer le Maroc au rejet de l’Algérie pour mettre les deux pays sur un pied d’égalité et offrir à son allié un lot de consolation. Rabat l’a clairement expliqué à l’Inde, en particulier, sachant que cette question est claire aussi bien pour la Russie que pour la Chine. Tenant compte du statut du Royaume, le groupe s’est distancé de toute velléité d’exploiter l’appartenance aux BRICS en vue de porter atteinte aux relations avec Rabat.
C’est la realpolitik qui apprécie à juste valeur, sans plus ni moins, la place du Maroc, ce même réalisme politique qui structure l’approche du Royaume dans ses relations étrangères avec les puissances et les rivalités du monde. Fidèle au même réalisme avec lequel Sa Majesté le Roi mène la performance diplomatique marocaine, le Souverain n’a cessé de multiplier les invitations au dialogue et les appels à la fraternité avec la direction algérienne, le dernier pas plus tard que discours du Trône du 30 juillet 2023.
Dans des pays de la stature de l’Algérie ou du Maroc, le réalisme est un préalable pour mener à bien une politique extérieure. C’est ce réalisme qui fait défaut à l’Algérie, appauvrit et affaiblit ses capacités d’action au plan géostratégique, car sans ce préalable elle ne pourrait intervenir positivement ni dans l’ordre mondial, ni dans son environnement immédiat en particulier.
La fin de non-recevoir infligée par les BRICS à l’Algérie est incontestablement un miroir offert au pouvoir algérien pour qu’il s’y regarde et se réveille de ses illusions. Une opportunité pour lui, s’il sait la saisir, de se livrer à une introspection pour mieux redéfinir son identité et ses politiques et réorienter ses relations, à commencer par le Maroc. Après un demi-siècle de confrontation, Alger devrait un jour se rendre enfin compte qu’il a tout à perdre dans son hostilité envers le Royaume, et tout à gagner ensemble, avec lui, si, par inadvertance, il a l’humilité de s’inspirer de ses aspirations et de son pragmatisme.
*Quid d’après Al-arab