Mohamed Choubi, l’artiste qui a essayé d’être intègre et que le silence a aussi tué – Par Hassan Zakariaa

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Mais Choubi n’était pas seulement un acteur habité. Il était aussi un intellectuel, un artiste qui croyait à la responsabilité du créateur dans la société. Cette liberté de ton, cette honnêteté sans fard, lui auront coûté cher.

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Mohamed Choubi s’est éteint ce 2 mai à Rabat, emporté par une longue maladie. Mais au-delà de l’épreuve physique, l’acteur marocain a vécu, dans les dernières années de sa vie, une autre douleur plus discrète mais tout aussi violente : celle de l’isolement artistique. Parce qu’il avait osé s’exprimer, parce qu’il avait critiqué, il s’était vu mis à l’écart par une partie du monde culturel. Un silence assourdissant pour un homme dont la voix dérangeait.

Un dernier adieu en lot de consolation

Vendredi, le cimetière Chouhada de Rabat a accueilli la dépouille de Mohamed Choubi. Des funérailles empreintes d’émotion et de respect, où amis, proches, figures du théâtre et du cinéma marocain se sont rappelés de son ‘’existence’’ pour rendre hommage à un artiste qui a su ne pas passer inaperçu. Latifa Ahrar, directrice de l’ISADAC, Mohamed Kouyi, Mohamed El Jem… tous étaient là, silencieux.

Né à Marrakech en 1963, diplômé de l’Institut supérieur d’art dramatique et d’animation culturelle (ISADAC), Choubi avait bâti une carrière marquée par la rigueur, l’engagement et la profondeur. Au théâtre, il avait brillé dans des pièces emblématiques telles que Son et Lumière, Kharboucha, La Porte close, et signé plusieurs mises en scène acclamées. À la télévision comme au cinéma, il avait enchaîné des rôles marquants dans Mille mois, Malak, , L’Orchestre des aveugles, Les ailes brisées ou encore Mort à vendre …

Mais Choubi n’était pas seulement un acteur habité. Il était aussi un intellectuel, un artiste qui croyait à la responsabilité du créateur dans la société. Cette liberté de ton, cette honnêteté sans fard, lui auront coûté cher.

Mis à l’écart pour avoir osé parler

Mohamed Choubi ne s’était jamais tu. Il parlait du théâtre avec passion, du cinéma avec exigence, de la politique culturelle avec franchise. Dans un paysage artistique parfois frileux, il dénonçait les faux-semblants, interpellait les institutions, appelait à un véritable renouveau des pratiques et à une reconnaissance du rôle fondamental de l’artiste.

Mais ces prises de position lui ont valu une mise à l’écart progressive. Sa parole franche a dérangé, et au lieu de susciter le débat, elle a provoqué le repli. Certains collègues ont préféré l’ignorer, des portes se sont fermées. Il y a eu moins de rôles, moins de sollicitations, moins de lumière sur celui qui, paradoxalement, avait tant donné à la scène marocaine.

Ce silence, cette indifférence voilée, l’ont blessé. Il le disait, parfois à demi-mots, souvent avec dignité. Dans ses dernières années, Mohamed Choubi n’a pas seulement combattu une maladie hépatique sévère. Il a aussi affronté la solitude d’un artiste en quarantaine, une solitude d’autant plus cruelle qu’elle n’était pas justifiée par son talent ou sa carrière, mais par son audace intellectuelle.

Une voix qui ne doit pas s’éteindre

Lorsque sa santé s’est détériorée, une chaîne de solidarité s’est spontanément organisée. Artistes, amis, anonymes ont relayé les appels pour l’aider à obtenir une greffe vitale. Les réseaux sociaux se sont enflammés, les messages d’amour ont afflué. Ce sursaut a réchauffé un peu ses dernières semaines. Mais il a aussi révélé un paradoxe : pourquoi faut-il attendre la fin pour reconnaître la valeur d’un homme ?

Mohamed Choubi est parti. Mais il laisse une œuvre, une parole, une exigence. Il incarne une génération d’artistes pour qui l’art ne se résume pas à divertir, mais à éveiller, à déranger parfois, à provoquer la pensée. Il était de ceux qui croient que la culture ne doit pas être soumise, que l’artiste ne doit pas se taire, même au prix de son confort personnel.

Son absence laisse un vide. Mais aussi une responsabilité : celle de ne pas oublier ce qu’il a dit, ce qu’il a joué, ce qu’il a osé penser à voix haute. Lui rendre hommage, ce n’est pas seulement saluer l’acteur. C’est aussi faire le choix de défendre une idée de l’art, libre et courageuse.

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