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Expo’S : Matières à penser, quand le temps, la mémoire et la forme sculptent deux univers féminins à Casablanca – Par Hassania Nia

Entre bas-reliefs, installations et sculptures, Itaf Benjelloun offre une traversée introspective où chaque fragment collecté porte en lui une mémoire, une histoire, un souvenir à révéler
Par Hassania Nia
À Casablanca, deux expositions d’art contemporain signées par les artistes marocaines Itaf Benjelloun et Ahlam Lemseffer Mahla invitent à un voyage sensoriel et méditatif. Entre matière recyclée et bleu transcendé, elles interrogent le temps, l’espace, la mémoire et les luttes invisibles dans des œuvres où lenteur, dépouillement et profondeur dialoguent avec intensité.
Andante, la lenteur comme langage poétique
À la Fondation TGCC de Casablanca, l’exposition "Andante" d’Itaf Benjelloun, est une ode à la matière, au silence et au passage du temps. Sculptrice à l’âme contemplative, formée à l’architecture et à la littérature, l’artiste explore les cicatrices invisibles du monde à travers un geste lent et méditatif.
Entre bas-reliefs, installations et sculptures, Benjelloun offre une traversée introspective où chaque fragment collecté porte en lui une mémoire, une histoire, un souvenir à révéler. "Je ne cherche pas à imposer une forme : je la laisse émerger", confie-t-elle. Cette posture non revendicative, presque passive, devient une forme de résistance douce, une manière d’écouter ce que la matière a à dire.
La présidente de la Fondation TGCC, Meryem Bouzoubaa, souligne que l’exposition transforme la matière en témoin du temps et du mouvement : "Chaque œuvre incarne une lente évolution, où le hasard dialogue avec la volonté de l’artiste." Le tempo musical "andante", titre choisi pour l’exposition, incarne cette marche modérée, cette temporalité apaisée que Benjelloun érige en méthode.
Zina, au-delà du bleu, l’abstraction essentielle d’un combat silencieux
Mahla, figure influente de l’art contemporain marocain depuis les années 1980, dépasse ici le symbolisme du bleu – déjà exploré à Tanger – pour en révéler ce qu’il cache
À quelques kilomètres de là, à la Villa des Arts, Ahlam Lemseffer Mahla propose jusqu’au 8 juin "Zina, au-delà du bleu", une exposition où le dépouillement devient langage, et où l’abstraction picturale ouvre un espace de méditation sur l’invisible, l’incertain, et la lutte intérieure.
Mahla, figure influente de l’art contemporain marocain depuis les années 1980, dépasse ici le symbolisme du bleu – déjà exploré à Tanger – pour en révéler ce qu’il cache, ce qu’il contient de silence et de combat. "Je vais plus loin, vers ce que le bleu signifie au-delà du visible", affirme-t-elle.
Dans ses œuvres sculptées en couches, où formes, installations et couleurs dialoguent, Mahla fait émerger un univers habité de tensions contenues. Les silhouettes féminines qui traversent l’installation sont des figures de lutte, non pas dans une posture de revendication, mais dans une quête universelle d’émancipation et de justice.
Elle insiste sur la cohérence de son travail, né d’un ressenti intime et non d’un message formaté : "L’œuvre d’art, c’est une relation entre l’artiste, le spectateur et l’œuvre elle-même." Et si ces trois éléments communiquent, alors quelque chose de vrai advient.
Deux femmes, deux écritures du monde
Malgré des approches plastiques distinctes, Benjelloun et Mahla partagent une vision exigeante de l’acte artistique : lenteur, écoute, transformation, et dialogue avec le monde dans sa complexité. L’une modèle la matière comme on recueille la mémoire, l’autre sculpte l’essence même de la lumière et des formes pour traduire les silences du réel.
Leurs expositions, qui se répondent sans se ressembler, offrent à Casablanca un moment rare de réflexion artistique sur le rapport que nous entretenons avec le temps, le corps, la mémoire et la matière. Deux écritures sensibles et puissantes, qui affirment que l’art n’est pas toujours là pour parler fort, mais pour faire entendre autrement.