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Maroc-Espagne : la duplicité madrilène sans fards - Par Bilal TALIDI
Le roi Felipe VI a pour sa part mis l’accent dans son discours sur la nécessité de bâtir des relations sur des «bases plus fortes, plus solides», sans pour autant se dégager de la position traditionnelle de son pays lorsqu’il a déclaré l’attachement de son pays au soutien du dialogue onusien entre le Maroc et le Polisario. Pas plus d’ailleurs que le Premier ministre Pedro Sanchez qui, lors d’une visite aux Emirats Arabes Unis, ne s’est pas départi de cette approche.
Les rapports maroco-espagnols imposent l’observation d’un curieux comportement : chaque fois que Rabat prend une position souveraine en réaction à Madrid, les responsables ibériques tendent à magnifier des relations bilatérales «positives» et à souligner le besoin de régler les différends et de bâtir le partenariat sur des bases solides.
Et sans surprise, c’est dans cette trajectoire que s’inscrivent les premières déclarations de José Manuel Albares, alors tout nouveau ministre espagnol des Affaires étrangères.
Des paroles sans suite
Immédiatement après sa nomination, il a affirmé que le Maroc était un partenaire fort, que les relations bilatérales étaient marquées du sceau du dynamisme, que le règlement des différends avait besoin d’un peu de temps et de beaucoup de sérénité. Ces déclarations faisaient naturellement écho à la crise provoquée par l’infiltration par l’Espagne sur son sol du dirigeant des séparatistes Brahim Ghali avec un faux passeport et une identité falsifiée.
La réaction du Maroc n’a pas tardé. Se fondant sur ces déclarations rassurantes, le discours adressé par le Roi à la Nation à l’occasion de la Révolution du Roi et du peuple a laissé entendre une reprise de relations fortes entre les deux parties. Dans la suite de ce discours, des signaux ont commencé à émaner du Maroc où l’ambassade d’Espagne était à nouveau conviée à assister à des activités où elle n’avait pas place au plus fort de la crise.
Mais l’Espagne n’a pas montré ni sérieux, ni intention réelle de traduire les déclarations en actes tangibles. Si elle a actionné les mécanismes d’enquête sur les circonstances de l’entrée clandestine de «Benbattouche» sur son territoire, elle est restée néanmoins prisonnière de la logique de «l’ennemi suspicieux», attendant du Maroc qu’il mette un frein à sa dynamique à tous les étages (stratégique, politique, économique et militaire). Madrid souhaitait ainsi voir Rabat revenir à la situation antérieure pour le seul plaisir de rassurer les élites sécuritaires et militaires du pays ibérique sur la pertinence des démarches de José Manuel Albares envers le voisin du Sud.
La clarté de Rabat
Depuis le début, Rabat a été on ne peut plus clair, faisant valoir que le Maroc d’aujourd’hui n’est plus le Maroc d’hier, et que la reprise des relations avec l’Espagne ne peut se faire que sur la base de la clarté et de la rupture avec la duplicité. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre le maintien de sa dynamique consistants à renforcer ses alliances avec le club des grands (dimension stratégique), pris des décisions souveraines perçues par l’Espagne comme visant «ses frontières» à Sebta et Melillia, mis à profit la reconnaissance par les Etats-Unis de la souveraineté pleine et entière du Maroc sur son Sahara et œuvré pour l’élargissement du soutien à l’initiative d’autonomie dans les provinces du Sud (dimension politique). C’est dans ce sens aussi que Rabat apoursuivi au plan économique et social sa politique en direction des deux présides occupés par la création d’un environnement attractif pour l’investissement dans les zones jouxtant Sebta et Melillia. C’est dans ce sens encore qu’il a opté pour le développement de ses capacités militaires, en misant sur des produits technologiques avancés capables de trancher les guerres du 21ème siècle, et qui façonnent désormais le concept de la souveraineté en termes d’établissement des bases militaires.
Cette politique claire a annihilé l’aptitude espagnole à se livrer à son jeu favori fondé sur la duplicité et le double langage, provoquant par conséquence des fissures au sein des élites au pouvoir à Madrid. De telle manière que sa diplomatie s’est retrouvée dans l’obligation de composer comme elle peut avec la pression des milieux sécuritaires et militaires.
Un contenant sans contenu
Cette situation s’illustre dans la production, par le chef de la diplomatie Albares, d’un nouveau concept émaillant ses déclarations rassurantes en évoquant la construction des «relations du 21ème siècle», sans jamais en préciser ni la teneur, ni la partie concernée par ce vocable, avant d’introduire des mises à jour de son discours dans la foulée de l’adoption de la nouvelle Stratégie nationale de sécurité. Si bien qu’on s’est retrouvé en présence d’un contenant sans contenu.
Le roi Felipe VI a pour sa part mis l’accent dans son discours sur la nécessité de bâtir des relations sur des «bases plus fortes, plus solides», sans pour autant se dégager de la position traditionnelle de son pays lorsqu’il a déclaré l’attachement de son pays au soutien du dialogue onusien entre le Maroc et le Polisario. Pas plus d’ailleurs que le Premier ministre Pedro Sanchez qui, lors d’une visite aux Emirats Arabes Unis, ne s’est pas départi de cette approche, considérant que les relations de son pays avec le Maroc étaient positives, exprimant pour l’occasion son aspiration à la poursuite de la coopération entre les deux pays.
Mais ce qu’il faut retenir de toute cette agitation verbale c’est surtout le lexique de la nouvelle Stratégie de sécurité espagnole porteur d’une tonalité complètement différente. Il dicline une logique qui entend dicter au Maroc une position de «collaborateur loyal» respectueux de la souveraineté de l’Espagne dans «ses frontières», en l’occurrence les villes occupés de Sebta et Melillia. On l’aura compris, cette phraséologie traduit la position consubstantielle des élites sécuritaires et militaires à l’égard du Maroc et renseigne sur leur conception des bases étriquées devant présider à la refondation des relations avec le Maroc.
Le ministre espagnol des AE est probablement porteur d’une approche différente. Peut-être a-t-il tenté de convaincre en interne que l’attachement de l’Espagne à ses paradigmes traditionnels dans sa relation Maroc a un prix couteux pour Madrid, surtout que la conjoncture régionale et internationale a beaucoup changé, et que le positionnement du Maroc aux plans stratégique et politique a évolué en conséquence. D’où sans doute l’appel de M. Albares à refonder la relation avec le voisin du Sud sur des bases du 21ème siècle, et ses interrogations récurrentes sur les raisons ayant facilité la reprise rapide des relations entre Rabat et Berlin, alors que les rapports avec Madrid peinent à trouver leur voie.
Nul doute que ce discours est essentiellement à usage interne à l’adresse particulièrement des élites militaires et sécuritaires madrilènes. Il consiste à faire comprendre que l’Allemagne, première puissance de l’Union européenne, a mieux réalisé la contre-productivité pour ses intérêts stratégique dans la région d’une position désuète et pris une position qui a permis aux relations avec Rabat de reprendre facilement leur cours normal. En filigrane, il souligne ainsi que les démarches espagnoles telles qu’elles s’opèrent resteront stérile pour la simple raison que le Maroc n’est plus disposé à accepter l’équilibrisme et le double jeu de Madrid.
Une approche qui a bien des limites
Il est regrettable toutefois de constater que l’aptitude du chef de la diplomatie espagnole à la résistance aux pressions s’est révélée limitée. Alors qu’on l’attendait sur le terrain de l’entente cordiale et de la concertation qu’il prône, il s’est cru fondé de protester, en agitant la carte de la migration, contre deux décisions souveraines du Maroc, en l’occurrence l’installation de fermes piscicoles au large des eaux marocaines, et le communiqué du ministère de la Santé relatif aux non-respect par l’Espagne des protocoles sanitaires pour l’accès au Maroc de voyageurs portant le Covid-19.
Dans ce contexte, nombre d’observateurs ont perçu la décision marocaine de mettre fin à la mission du Chargé d’affaires de son ambassade à Madrid et de deux hauts responsables de la chancellerie, comme une riposte aux troubles thymiques de la diplomatie espagnole. En réduisant son niveau de représentativité, Rabat confronte les responsables espagnols à leurs propres déclarations au sujet de ces rapports dits «positifs». Cette mesure révèle au grand jour que les choses sont bien trop compliquées qu’il n’y parait et que la réparation des relations bilatérales doit emprunter nécessairement par un passage obligé : la rupture de l’Espagne avec les paradigmes traditionnels de sa politique marocaine et l’adhésion par les paroles et les actes à la construction de «bases plus fortes et plus solides».