Sénégal: crise ouverte entre l'Assemblée nationale et le gouvernement d'Ousmane Sonko

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Ousmane Sonko, Premier ministre (D) et Bassirou Diomaye Faye, président du Sénégal

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Dakar - La scène politique sénégalaise est en ébullition alors que le Premier ministre, Ousmane Sonko, nommé début avril, se prépare à présenter devant l’Assemblée nationale (parlement) sa Déclaration de politique générale (DPG), un événement très attendu par la population et les observateurs.

De nombreux acteurs politiques dont des députés de l’opposition, exigent du chef du gouvernement qu’il se rende rapidement à l’Assemblée nationale où l’opposition actuelle détient la majorité, pour délivrer aux députés sa DPG, près de trois mois après sa nomination, soit le 5 avril dernier.

Des désaccords entre les différentes factions parlementaires ont toutefois éclaté alimentant un débat et une polémique sur les procédures parlementaires et la constitutionnalité des actions entreprises.

Accusé par l’opposition de "ne pas être prêt" à faire face aux députés craignant de faire l’objet d’une motion de censure, le Premier ministre a fait sortir vendredi un communiqué pour affirmer son «impatience à tenir cet exercice» de présenter la DPG devant l’Assemblée nationale.

Dans une réponse au député Guy Marius Sagna qui l’avait interpellé sur la question, M. Sonko a souligné que si cette «carence» persiste, d’ici le 15 juillet prochain, il s’adonnera à l’exercice, mais, précise-t-il, ce sera «devant une Assemblée constituée du peuple sénégalais souverain, de partenaires du Sénégal et d’un jury composé d’universitaires, d’intellectuels et d’acteurs citoyens apolitiques».

"J’ai bien reçu votre interpellation, à propos de la déclaration de politique générale du Premier ministre, qui appelle de ma part les réponses et des précisions", a écrit Ousmane Sonko dans ce texte réponse au député, en assurant que "sa Déclaration de politique générale est prête".

"Je vous réitère toute mon impatience à tenir cet exercice de présentation des grands axes des politiques publiques et de l’action du Gouvernement suivant les orientations du Président de la République", a encore ajouté le Premier ministre .

Il note toutefois que "l’article 55 de la Constitution oblige le Premier ministre à faire sa DPG devant l’Assemblée nationale sans préciser les délais et la procédure qui relèvent du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale (loi organique n° 2002-20 du 15 mai 2002, modifiée)".

Dans sa réponse, le chef du gouvernement précise que "les dispositions du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui fixaient les délais et la procédure de la DPG, ainsi que toutes références au Premier ministre, ont été abrogées de la loi organique portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale depuis 2019, suite à la suppression du poste de Premier ministre (loi organique n° 2019-14)".

Il ajoute que ce Règlement intérieur en vigueur "ne tient pas compte du Premier ministre puisqu’il n’a pas été actualisé suite à la restauration du poste de Premier ministre par la loi n°2021-41 du 20 décembre 2021 portant révision de la Constitution".

"En conséquence, note-t-il, dans un souci constant de respect de la séparation des pouvoirs et du principe de légalité, Je ne tiendrai ma DPG devant cette Assemblée qu’une fois que la majorité parlementaire se sera amendée en réinscrivant dans le Règlement intérieur l’ensemble des dispositions relatives au Premier ministre".

"En cas de carence de l’Assemblée, d’ici le 15 juillet 2024, je tiendrai ma Déclaration de Politique générale devant une assemblée constituée du peuple sénégalais souverain, de partenaires du Sénégal et d’un jury composé d’universitaires, d’intellectuels et d’acteurs citoyens apolitiques. Ce sera l’occasion d’un débat libre, ouvert et, à coup sûr, de qualité largement supérieure", conclut le Premier ministre sénégalais.

A signaler que la polémique enfle dans le pays autour de cette Déclaration de politique générale de Ousmane Sonko. Ce dernier a reçu le soutien des députés de Yewwi askan wi (Yaw) qui invoquent un «vide» dans le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale pour balayer l’argument selon lequel il y a un délai soumis au Premier ministre pour se prêter à cet exercice.

Dans le cadre de cette confrontation politique, Thierno Alassane Sall, candidat à l’élection présidentielle du 24 mars dernier, a demandé aux nouvelles autorités du pays de "se mettre à la hauteur de l’histoire" en faisant allusion à la nécessité de présentation par M. Sonko de cette DPG. "Invoquer le règlement intérieur de l’Assemblée nationale pour se dérober à une disposition constitutionnelle n’est franchement pas le chemin de la rupture", a dit M. Sall.

Quant à l’ancienne Premier ministre, Aminata Touré, elle estime dans un message posté sur le réseau X que Ousmane Sonko "ne doit pas faire cette DPG devant une Assemblée nationale qui ne reflète plus la volonté populaire depuis l’élection de Bassirou Diomaye Faye".

"Une déclaration de politique générale devant une Assemblée nationale qui ne reflète pas la volonté populaire n’a aucun sens. L’actuelle Assemblée nationale ne reflète en rien la volonté populaire exprimée le 24 mars dernier. Le candidat de la Coalition Benno Bokk Yakaar artificiellement majoritaire à l’Assemblée nationale Amadou Ba a été battu dès le 1er tour en ne récoltant que 35% des suffrages. Pourquoi le Premier ministre devrait présenter une déclaration de politique générale devant une Assemblée nationale qui n’a plus aucune légitimité?", se demande Mme Touré.

Aujourd’hui, les députes de Yewwi askan wi, ex-opposition, "veulent légitimer une forfaiture en convoquant le même Règlement intérieur pour tirer d’affaire un Premier ministre qui, en vérité, n’a pas de projet de gouvernance à défendre", a déclaré, pour sa part, le chef de la coalition "Gueum sa bopp", Bougane Guèye Dany, cité par des médias locaux.

Le groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar (BBY, opposition) a, quant à lui, souligné que le Premier ministre a l’obligation de faire sa Déclaration de politique générale devant les députés conformément à l’article 55 de la Constitution.

Le président du groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar, Abdou Mbow, a accusé les députés de Yaw d’essayer d’"exonérer" le Premier ministre de l’obligation constitutionnelle de faire sa Déclaration de politique générale. Mbow a relevé l’importance du respect de la constitution et du principe de la séparation des pouvoirs, insistant sur le fait que toute tentative de contourner ces principes "constitue une violation grave de la démocratie parlementaire".

Mais des députés du camp politique de Sonko, à travers le groupe parlementaire Yewwi Askan Wi, soutiennent que l’audition du Premier ministre devant la 14e législature "est pour le moment impossible en raison d’une incohérence du règlement intérieur de l’Assemblée nationale".

Selon le groupe YAW, une modification datant de 2019 a abrogé les mentions relatives à la déclaration de politique générale et à la motion de censure du gouvernement. Par conséquent, disent les membres de ce groupe, il serait impossible pour le Premier ministre de faire sa DPG.

En attendant, la population sénégalaise suit l’évolution de cette "polémique", espérant que les décisions prises dans les prochains jours pourraient façonner le paysage politique du pays pour les années à venir.

Les observateurs politiques et les citoyens sénégalais sont maintenant en attente de voir comment ce problème va être réglé et quel impact il pourrait avoir sur la stabilité politique et institutionnelle du pays. (MAP)





 

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