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La coalition anti-RN, une option ''baroque'' pour gouverner a minima
Le camp présidentiel a exclu La France insoumise du "champ républicain" susceptible de former ce gouvernement baroque,, et il est de toutes manières peu probable que les troupes de Jean-Luc Mélenchon acceptent de participer à une telle expérience. Alors une vue de l’esprit ? (Photo by Dimitar DILKOFF / AFP)
Par Francesco FONTEMAGGI (AFP)
Le front républicain qui semble se former pour "faire barrage" à l'extrême droite peut-il se transformer en grande coalition entre des partis que tout oppose ? L'expérience, tentée dans d'autres pays, serait inédite sous la Ve République, et pourrait déboucher sur un gouvernement a minima.
De la gauche au camp d'Emmanuel Macron, les appels à empêcher le Rassemblement national (RN) de décrocher une majorité absolue dimanche prochain se sont multipliés.
Mais si ce front réussit à maintenir le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella à l'écart du pouvoir, se posera la question de qui gouverne la France. Sachant que la future Assemblée nationale, qui n'aura donc aucune majorité évidente, ne pourra pas être dissoute avant un an.
La présidente sortante de l'Assemblée, Yaël Braun-Pivet, a évoqué lundi une "grande coalition allant des LR aux écologistes et aux communistes". En attendant l'heure de vérité du second tour, aucun opposant au pouvoir macroniste ne s'aventure à endosser une telle hypothèse.
Des gouvernements réunissant des partis de sensibilités différentes, voire opposées, sont devenus courants chez plusieurs voisins européens.
L'Allemagne a connu les "grandes coalitions" droite-gauche. La Belgique invente régulièrement des attelages hétéroclites après des mois de négociations post-électorales. Quant à l'Italie, elle a déjà dû s'en remettre à des Premiers ministres "techniciens" et apolitiques.
En France, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, socialistes, communistes et démocrates-chrétiens ont gouverné ensemble (1946-47) sous la IVe République. Puis ils ont laissé la place à une alliance nommée la "troisième force", incluant aussi les radicaux et la droite modérée mais excluant les communistes, jusqu'en 1951.
Une telle coalition "serait inédite dans la Ve République, qui a en fait été pensée exactement en opposition à ce type de système", relève la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina, de l'Université de Rouen.
Concrètement, les partis anti-RN devraient arriver à s'entendre.
Tous? Le camp présidentiel a exclu La France insoumise du "champ républicain", et il est de toutes manières peu probable que les troupes de Jean-Luc Mélenchon acceptent de participer à une telle expérience.
A l'autre bout du spectre, le parti Les Républicains ne s'est pas joint au front contre l'extrême droite.
"Hommes gris"
Une coalition risque donc d'avoir un problème arithmétique: sans le RN ni LFI, et a fortiori sans tout ou parti de LR, il s'avérerait quasiment impossible d'aboutir ne serait-ce qu'à une majorité relative conséquente.
"Il y a à la fois un problème numérique et un problème de cohérence programmatique", affirme, dubitatif, le seul député LR élu au premier tour, Philippe Juvin. "Nous par exemple nous pensons qu'il faut limiter l'immigration légale et illégale. Est-ce que vous connaissez beaucoup de socialistes qui sont sur cette ligne?"
Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l'université Paris II, reconnaît qu'il s'agirait de "l'alliance de la carpe et du lapin".
D'autant que pour survivre sans être menacé de censure à tout instant, un tel "gouvernement pour le moins très très baroque" devrait bénéficier "au moins de l'abstention" de la part de LFI, qui s'engagerait "à ne pas le renverser", dit cet expert à l'AFP.
"Il est bien évident que nous, on ne va pas participer à un gouvernement d'union nationale avec les macronistes", répondait, avant le premier tour, un cadre insoumis. Mais il n'excluait pas de "le laisser travailler" pour gérer "les affaires courantes", tout en veillant à empêcher toute "remise en cause des droits des travailleurs".
Encore faudrait-il trouver un Premier ministre susceptible de diriger une équipe allant potentiellement d'Olivier Faure et Marine Tondelier à Edouard Philippe ou Laurent Wauquiez.
Une version édulcorée qui permettrait aux politiques de moins s'exposer serait le gouvernement technique composé de hauts fonctionnaires ou experts sans étiquette partisane. En Italie, l'ex-président de la Banque centrale européenne Mario Draghi a pu gouverner en période de crise politique avec le soutien des principaux partis.
"On n'a pas de Mario Draghi" en France, balaie Philippe Juvin.
Or, pour Benjamin Morel, l'idée c'est justement d'avoir "des hommes gris" qui "ne fassent pas d'ombre aux politiques".
Dans tous les cas, une coalition aussi composite "gouvernerait à minima", sans grande ambition réformatrice, selon Anne-Charlène Bezzina.
Mais ça permettrait au moins d'adopter le budget pour rassurer les marchés, et éviter l'option encore moins glorieuse de reconduire par ordonnances les dépenses et recettes de l'année précédente.
Avec un risque: faire monter encore plus le RN, s'il se réfugie dans l'opposition.
"C'est démocratiquement une catastrophe", reconnaît Benjamin Morel. "Les gens ont voté pour du changement et vous leurs donnez des technocrates."