Amir DZ, le scandale qui rappelle au monde les méthodes d’un régime – Par Naïm Kamal

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L’affaire Amir DZ ne relève pas de la bavure. Elle est le produit d’un système qui, depuis toujours, préfère le bâillon à la parole, la peur à l’argument, l’exécution à la discussion.

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Il aura fallu qu’un agent consulaire algérien finisse en détention provisoire en France pour que remonte à la surface un parfum d’affaires anciennes. En cause : l’enlèvement et la tentative d’assassinat sur le sol français d’un youtubeur ‘’trop bavard’’. Trop, pour Alger. Naïm Kamal veut bien plaider la présomption d’innocence, mais l’historique généreusement fourni du régime algérien l’en empêche. 

Par Naïm Kamal

C’est une histoire qui commence comme un fait divers mais qui remonte très vite au rang d’affaire d’État. Trois Algériens, dont un agent consulaire en poste, se retrouvent mis en examen à Paris, soupçonnés d’avoir orchestré l’enlèvement du très critique influenceur Amir Boukhors, alias Amir DZ. L’homme, réfugié politique, cible régulière du régime algérien, aurait été kidnappé, séquestré, et — selon les chefs d’inculpation — voué à une fin silencieuse. Mais voilà, l’affaire a éclaté. Et avec elle, un vieux dossier s’est rouvert : celui des méthodes de la maison. Dès lors, difficile de plaider la présomption d’innocence et d’utiliser le conditionnel et autres ‘’présumé coupable’’.

Alger, fidèle à elle-même, a protesté sans aucune élégance. Vivement. Trop, même au point d’en devenir ridicule. Le ministère des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur de France, crié au sabotage des relations bilatérales, juré qu’on ne laisserait pas l’affaire sans conséquences. On exige même la libération immédiate de l’agent consulaire emprisonné, comme s’il s’agissait d’un malentendu administratif. Ce qu’on feint d’oublier, c’est que ce diplomate ne trafiquait pas de simples visas. Il est soupçonné d’avoir participé à un complot contre un citoyen protégé par l’asile français. C’est autre chose.

Chassez le naturel…

Ce n’est pas la première fois que les tentacules des sombres services d’Alger traversent la Méditerranée. L’histoire de l’Algérie post-indépendance est jalonnée d’assassinats ciblés, menés avec le soin plus ou moins discret des barbouzes formés à la liquidation physique des voix discordantes. Mohamed Khider en 1967 à Madrid, Krim Belkacem en 1970 à Francfort, Ali Mecili en 1987 à Paris. Tous opposants. Tous éliminés. Tous dans l’indifférence de capitales qui savaient.

Il y eut aussi les tentatives : Mohamed Samraoui, ancien colonel du DRS, passé à l’opposition, traqué en Allemagne. Ou les menaces plus insidieuses, comme ces rumeurs d’empoisonnement qui flottent dans les milieux de la diaspora, à défaut de preuves. 

Dans les basses œuvres des services algériens, on peut côtoyer le panache crâneur, dans ce cas ce panache peut parfois avoir de dystopique, comme ce fut le cas dans l’exécution publique de Mohamed Boudiaf, et tomber dans la farce et l’improvisation telles qu’on les a vues dans a tentative d’enlèvement en Espagne, d’un autre opposant, un enfant de la maison, Hicham Aboud.

Si bien que cette affaire apparait comme une récidive antérieure à celle de Aboud. Mais si dans ce dernier cas la trace directe des services algériens n’est pas trop visible, dans celle d’Amir Dz, on croise à un agent consulaire, en ‘’bon et du passeport’’ de service. Mais l’agent consulaire ne peut être qu’un rouage. Reste à savoir de qui. Le DSS ? L’ambassade ? Le Palais d’El Mouradia ? Il y a chez tout ce beau monde qui donne ces ordres la même logique depuis les années Boumediene, commanditaire de l’assassinant de Abane Ramdane au cœur de la guerre de libération : quand un adversaire gêne, on l’efface. Et si possible, à l’étranger - Ramdane c’était au Maroc - là où la trace se dilue. Une tare congénitale.  Au mieux, une culture d’Etat.

La continuité d’un système

Côté français, l’affaire tombe mal. Elle survient alors qu’un timide dégel diplomatique s’était amorcé. Macron et Tebboune s’étaient parlé, une fois de plus. On avait remis le couvert sur la mémoire, les visas, la coopération. Et voilà qu’un opposant menacé de mort en plein territoire français met les pieds dans le plat.

Les magistrats, cette fois, ont frappé fort : parquet national antiterroriste, détention immédiate, mise en examen lourde. Paris ne veut pas revivre l’humiliation de l’affaire Mecili. Reste à voir combien de temps tiendra la fermeté. Car l’Algérie, partenaire instable mais incontournable, sait jouer de la pression diplomatique. Avec, toujours, cette constante : l’impunité.

L’affaire Amir DZ ne relève pas de la bavure. Elle est le produit d’un système qui, depuis toujours, préfère le bâillon à la parole, la peur à l’argument, l’exécution à la discussion. Ce système n’a pas disparu avec la fin du FLN historique, ni avec les promesses du Hirak. Il s’adapte, se digitalise, mais conserve ses réflexes.

Amir DZ a échappé à ses ravisseurs. Pour cette fois. Mais combien d’autres vivent dans la peur ? Combien doivent peser chaque mot posté, chaque vidéo publiée ? Vérifier à travers le judas chaque fois qu’on frappe à la porte, et dans la rue regarder sans cesse par-dessus l’épaule ?  Et surtout : combien de démocraties continueront de fermer les yeux tant que les contrats gaziers sont respectés et les frontières sécurisées ?

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