Un califat à 14 Km de l’Europe ?

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Un article paru sur le blog de MEDIAPART que nous trouvons pertinent, et doté d’une fine connaissance de l’Islam, du Maroc et de son actualité. C’est à peine croyable qu’il eut été rédigé par un français

Le Maroc, notre voisin le plus proche, est à la veille d’élections législatives cruciales. Le 7 octobre, les Marocains devront élire un nouveau gouvernement. Les islamistes du PJD (parti de la Justice et du développement), qui gouvernent actuellement dans une alliance avec 3 autres partis, dont un communiste (sic !) font tout pour rester au pouvoir.

A l’issue de 5 années de gestion publique, les Marocains ont découvert le véritable visage des islamistes du parti Justice et développement.

Le chef du PJD vient de mettre en ligne sur le site officiel du parti, une vidéo dans laquelle il parle de mort, de menaces, de  martyre, se référant à un des imams musulmans les plus intégristes. Ibn Taymiyya, (né en 1263 en Turquie actuelle, mort en 1328 à Damas), est le théologien musulman le plus radical et le plus suivi par les salafistes dont on connaît l’ascendance sur les terroristes et sur l’organisation de l’Etat islamique Daech et Al Qaïda notamment. C’est ce même imam qui nourrit les esprit des terroristes qui endeuillent l’Europe, la France et la Belgique notamment.

Que dit le chef du gouvernement  marocain ? Qu’il a reçu des menaces de morts, mais qu’il ne déviera pas de sa trajectoire, même s’il devait en mourir. Il a dit aussi qu’il était étonné de ne pas être déjà mort pour la gloire de dieu. Sa référence à Ibn Taymyya traduit son désir d’aller jusqu’au bout de l’islamisme, effaçant d’un coup l’image d’un dirigeant musulman moderne ouvert sur toutes les cultures et les religions.

En attendant, il n’apporte évidemment pas la ou les preuves des menaces, étant convaincu que personne ne lui demandera de compte.

Les Marocains dont l’islam modéré suit le rite malékite rejettent les idées de Ibn Taymyya et de tous les théologiens radicaux. Voir ce dernier prendre une place et non des moindres dans un discours et une campagne politique ne manque pas de poser de sérieuses questions sur les objectifs des islamistes du PJD.

Jeter ainsi, dans la bataille électorale, des idées extrémistes inquiète, certes, mais correspond parfaitement à la tactique du chef du gouvernement. Il a déclaré auparavant qu’il y avait deux gouvernements au Maroc, le sien en fait, qu’il dit dirigé par le Roi Mohammed VI et l’autre que personne ne connaît et qui agit dans l’ombre. Là, il a touché directement à l’institution monarchique, suggérant que le Roi ne serait pas au fait de tout ce qui se passe dans son royaume. Cette insistance à impliquer le roi dans le débat politique est-elle innocente ?

On peut penser que non. Le chef des islamistes sait à quel point les Marocains tiennent à la monarchie et au roi Mohammed VI. C’est pourquoi, il suggère et parfois le dit clairement, les islamistes sont les seuls vrais soutiens du roi. Une approche que le roi lui-même rejette. Dans son discours du 10 juillet dernier, il a clairement indiqué qu’il était hors du jeu politique et que son parti c’est le Maroc. Autrement dit, il dit franchement aux partis politiques de s’occuper plutôt de leurs programmes et de ne pas toucher à l’institution royale.

Il semble que ce discours n’ait pas atteint les oreilles des islamistes puisque leur leader a continué sur sa lancée. Il avait déclaré que le parti Authenticité et modernité (PAM), qui avait été mis en orbite par un proche du roi et qui s’en est éloigné depuis, essaie de contrôler le Maroc et étendre son hégémonie sur toute la décision politique et économique.

Un de ses alliés au gouvernement, le parti du Progrès et du socialisme, dirigé par Hadj Nabil Benabdellah, également ministre de l’Habitat, vient de poursuivre en accusant le conseiller royal Fouad Ali Al Himma, de pervertir le jeu démocratique en favorisant un parti, le PAM. Le cabinet a réagi de manière ferme. Ainsi, la déclaration de Nabil Benabdellah, qui “intervient après d’autres déclarations tout aussi irresponsables, n’est qu’un outil de diversion politique en période électorale”, a dit le cabinet royal qui invite les partis à « s’abstenir d’utiliser des concepts qui portent atteinte à la réputation de la patrie et à l’intégrité et la crédibilité des institutions ». le cabinet royal a par ailleurs signalé que de telles déclarations sont  “en contradiction avec les dispositions de la Constitution et les lois qui encadrent la relation entre l’Institution monarchique et toutes les institutions ». Une remise en place très sévère ont estimé les observateurs de la politique marocaine, L’onde de choc a touché le parrain du PPS et de Nabil Benabdellah qui s’est maintenu dans la coalition malgré la grogne de plusieurs membres de son parti, pour qui un parti communiste et progressiste n’a rien à faire avec un parti islamiste rétrograde.Nabil Benabdellah était passé outre, allant même jusqu’à s’afficher en djellaba, chapelet en main pour montrer qu’il est un bon musulman. Il était sans doute parvenu à la conclusion que la religion n’est plus l’opium des peuples.

La démarche du chef des communistes n’est pas fortuite. Le PJD essaie de jeter le discrédit sur tous les acteurs politiques afin de se montrer comme le seul capable de sauver le pays. De quoi ? Il ne l’a jamais précisé se contentant de parler de ceux qui ne veulent pas de ses réformes.

Il a créé un fantôme contre lequel il veut lancer tous ses partisans dans une guerre sainte. Une guerre contre les impies, parce que, disent les islamistes, si le Maroc va mal, c’est parce qu’il s’est éloigné de dieu.

Les élections ne sont plus une lutte entre des courants politiques divers mais entre les bons musulmans et les impies. C’est sur ce terrain que le PJD entraîne ses électeurs qui se retrouvent en plus grand nombre dans les couches sociales les plus défavorisées et les moins instruites. On se demande si c’est également l’objectif des communistes de la coalition.

Le dirigeant islamiste qui ne peut présenter un bilan de fin de mandat satisfaisant, éloigne le débat des préoccupations matérielles des Marocains. Le paradis de l’au-delà est plus important que le bonheur d’ici bas. C’est cette idée, il faut le noter qui encourage les kamikazes à se faire sauter.

Il doit néanmoins être plus persuasif cette fois-ci. Son mandat a fait souffrir le consommateur marocain. L‘énergie (carburant, électricté) et l’alimentation sont  plus chers alors que les revenus des Marocains n’ont pas évolué. Par ailleurs, la réforme de la retraite qui a été adoptée récemment implique plus d’années de travail, des cotisations plus élevées avec une pension réduite. (Un salarié avec 10.000 DH ayant cotisé pendant 35 ans recevrait 7.000 DH au lieu de 8750, soit une perte de 1.750DH). Cette réforme est passée de force et les syndicats sont encore sous le choc.

Sur un autre plan, le système éducatif n’a bénéficié d’aucune mesure de mise à niveau pendant les 5 années du mandat de Abdelilah Benkirane.  L’école publique s’est davantage enfoncée dans sa crise, alors que sa réforme était une des priorités dans la campagne du PJD pour les législatives de 2011.

Les Marocains qui se sont réfugiés dans l’enseignement privé en subissent le dictat sans pouvoir réagir. Est-ce parce que le chef du gouvernement est lui-même un grand entrepreneur de l’enseignement privé que le secteur échappe à tout contrôle ? On peut se permettre de le penser.

Toujours est-il que pour le moment, le Maroc est en train de faire l’expérience des islamistes auxquels le processus démocratique a donné le pouvoir. Une démocratie qu’ils ne reconnaissent pas. Forcément puisqu’ils  se réfèrent aux théologiens qui ne la reconnaissent pas et qui tiennent au califat d’essence divine.

Pourtant, les pratiques du PJD n’ont rien à voir avec celle d’un calife gratifié de la lumière céleste. Les médias marocains dénoncent régulièrement les pratiques d’un parti qui n’hésite pas à utiliser les moyens de l’Etat pour recruter des candidats ayant de fortes chances de remporter les élections comme il l’a fait avec un élu du parti de l’Union constitutionnelle auquel le ministre de l’énergie a enfin accordé l’autorisation d’ouvrir une station service, alors qu’elle lui avait été refusée. Il utilise les moyens de l’Etat également en envoyant les inspecteurs du fisc, ou de la sécurité sociale, fouiller dans les comptes de certaines publications qu’il considère comme ennemies.

Les Marocains se retrouvent devant la volonté manifeste de tout contrôler, à la, manière de tous les pouvoirs islamiques. Elle passe par la neutralisation des autres partis afin d’être la seule vraie force politique du pays et ainsi s’imposer face à l’institution monarchique, ce qui est le but ultime des islamistes et, nous le savons désormais du parti communiste de Nabil Benabdellah.

Et c’est là où réside le véritable danger. Selon la loi fondamentale marocaine, le roi est le garant de la constitution dont la version de 2011 garantit des droits que les islamistes ne tolèrent pas. C’est le cas de tout ce qui est en relation avec l’égalité des sexes et la liberté de conscience, notamment, droits pour lesquels les progressistes marocains se sont battus depuis longtemps. Le PPS aussi y a contribué. La contradiction est totale.

On prend ainsi conscience que les islamistes ne se battent pas pour un mandat qui va durer cinq ans, mais pour un projet encore plus profond et durable, le califat. Un califat caché peut être sous une couche de vernis démocratique, mais un califat quand même.  C’est pourquoi l’Europe et plus particulièrement l’Espagne et la France doivent être vigilants. Que sera le Maroc dans 10 ou 20 ans ? De cette question dépend leur sécurité.

Source : MEDIAPART – LE BLOG DE ERIC HERIOT 

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