chroniques
Et si Prague m'était conté à Fès
*Ancien secr?taire g?n?ral de la chambre des Repr?sentant, Rachid Idrissi a ?t? ambassadeur ? Prague
Je n'ai jamais cess? de ressasser l'histoire que m'avais cont? feu Abdelhadi Tazi avant que je n'entreprenne ma mission ? Prague ou j'ai tenu Ambassade du Royaume pendant plus de cinq ann?es. L'int?r?t pour ce grand ?rudit de l'histoire diplomatique du Maroc, n'?tait pas seulement de m'indiquer la pr?sence de Marocains ? Prague en construction, mais de comprendre l'?tendue et le rayonnement de deux cit?s f?d?ratives -par l'art et la culture- ayant figur?s aux confluences des hommes et des ?nergies, de f?conder et de permettre l'?closion in?luctable de tout sentiment patriotique. Il s'agissait de deux aventuriers d'origine berb?re mais de confessions diff?rentes. L'un ?tait musulman l'autre ?tait de confession isra?lite. Ils avaient en partage F?s comme ville de d?part de leur p?riple en passant par S?ville l'Andalouse pour rejoindre la ville sainte d'Al Kodss par le contournement de la M?diterran?e par le nord. Arriv?s ? Prague, ils ont d?crit, ? partir du quartier juif sur l'autre versant de la Vltava, la construction du ch?teau. Un monument qui fait office de lieu o? s'exerce le pouvoir politique et religieux dans cette cit? nation. Ils ont ?galement relev? les us et coutumes des gens et la mani?re avec laquelle ils s'appropriaient les espaces de cr?ation et de vie commune. Le discours de Abdelhadi Tazi m'?tait familier. Je connaissais son attachement ? F?s et je remontais en filigrane sa d?sesp?rance de voir Prague continuer de s'?pancher vers la gloire alors que de l'autre cot? F?s n'en finissait pas de se d?battre dans une longue et p?nible descente aux enfers. Cette id?e me taraudait au d?tour de chaque rue, apr?s la visite de n'importe quel ?difice culturel ou religieux, ou en traversant un jardin public orn? de statuts et autres ?uvres d'art. Les d?bats et longues discussions que j'ai eu le privil?ge d'avoir avec un Vaklav Havel et autres intellectuels ainsi que des personnalit?s de grandes familles et des ch?telains,me donnaient envie de r?ver F?s ? Prague.
De retour au pays et du fait des ?v?nements importants qui se sont succ?d?s pendant et apr?s le 20 f?vrier2011, il est devenu ?vident de relever les aspects qui mettent en ?vidence des trajectoires aussi disparates que contradictoires du devenir de ces deux merveilleuses cit?s-nations avant de s'interroger sur la parfaite int?gration de Prague en Europe et les vell?it?s de plus en plus confirm?es de d?sagr?gation et de d?stabilisation du Maroc au nom de quelques int?grismes. Aujourd'hui, ma motivation premi?re n'est plus dict?e par la comparaison de deux villes historiques m?me si l'exercice est in?vitable. L important est de chercher la corr?lation qui existerait entre la charge historique qui habite les murs de cette ville et les id?aux qui rel?vent de notre appartenance nationale et patriotique. Les principes et les id?aux admis dans la nouvelle constitution marocaine ne sont pas nouveaux par rapport au v?cu de cette ville. Ils ne laissent de place ni au d?chirement ni ? l'obstruction du vouloir vivre en commun et ?videmment ? aucun obscurantisme. Savoir pourquoi une ville comme Prague, ? qui il sied r?ellement de m?riter le vocable de mus?e ? ciel ouvert, se donne les moyens intellectuels de maintenir et d?velopper son potentiel; alors que F?s, son a?n? de deux si?cles,caracole entre gloire perdue et avenir incertain! Cette parole am?re ne peut n?anmoins ?viter de s'interroger comment une ville comme F?s n'est plus capable de se forger un sentiment o? s'exprime une identit? citoyenne ? tr?s forte charge, d'assimilation et d'int?gration, alors que Prague, malgr? le communisme est arriv?e ? impulser une ?nergie positive suffisamment importante pour r?affirmer son r?le historique et son devenir en Europe.
En sanctionnant cette ville rebelle, F?s, la colonisation n'avait pas pour dessein strat?gique uniquement l'isolement du makhzen par le transfert de la capitale ? Rabat, mais tenait ? mutiler les ?lites et cr?er un gouffre entre elles et le pouvoir politique. L'essentiel ?tait d'asphyxier l'attraction d?velopp?e autour de l'universit? de la karaouyenne et du m?tissage inh?rent ? une grande cit? ouverte et d?gag?e des contingences de tous ordres. Personne ne se posait la question de savoir si Mohammed ben Abdelkrim Khattabi ?tait, comme disait Brel, fils de fakir ou fils de rien. Il ?tait patriote avant d'?tre rifain sinon comment aurait-il pu conduire une r?volution anti coloniale s'il n'?tait qu'un simple chef de tribu! Avec Mokhtar Soussi c'est ? qui devait ?choir le privil?ge de recevoir cet ?rudit de classe exceptionnelle. Celui-l? m?me qui alliait le raffinement de la langue et du geste de quoi rappeler que l'origine du savoir vivre est au Maroc avant qu'il ne se d?veloppe en Andalousie. Enfin, d'aucuns parmi les savants de la cit? ne trouvaient d'excuses pour ne pas assister ? la chair de Mohammed ben Larbi El Alaoui comme un show d'une vedette d'aujourd'hui. Il avait l'art de hisser ? la dignit? tous les-laiss?s pour compte et confectionnait de fil blanc des alliances horizontales et verticales inesp?r?es. ?F?s, ? l'?poque, n'?tait pas qu'une cit?; elle repr?sentait une identit? sans distinction d'origines, d'avoirs, ? l'image de Prague qui en recevant et assimilant les Kafka et autres Kinski et Lupkovik en a fait ses signes de gloire et de fiert?.
F?s passait pour ?tre le lieu d'accueil et d'assimilation de familles enti?res quelles que soient leur provenance et leurs origines. Les khsassis, les mernissis, les oukilis ou autres saghrouchnis sont plus fassis que les fassis. Pourtant ils viennent de khsass, de mernissa, de bani oukil et de a?t saghrouchen qui sont des territoires ? dominantes berb?res. F?s, ? l'?poque, n'avait ni banlieues de parcages ni ghettos. Tout le monde se fondait dans la ville pour contribuer ? son rayonnement et se frayait le chemin de son propre d?veloppement. Lorsque Abderahim Bouabid ou M'Hamed Boucetta sont venus faire leurs ?tudes puis travailler ? F?s, personne ne les d?signaient du doigt ou exprimait une quelconque animosit? ? l'?gard de ses premiers de la classe. Bien au contraire, c'est l? qu'ils ont ?t? int?gr?s dans le mouvement national pour en devenir parmi ses grands leaders. Au printemps de Prague, ?galement, ce sont des slovaques qui ont dirig? le soul?vement en 1968. Comment on est-on arriv? ? cr?er un d?pit magistral voire une haine visc?rale contre cette ville alors que toute sa population n'est que la photosynth?se de l'ensemble des r?gions et tribus de ce pays ?Et qui sont les v?ritables b?tisseurs de cette ville si ce n'est les oncles maternels de ce monarque mi arabe mi berb?re: Moulay Idriss al Azhar. Et que dire des gestionnaires de cette ville aujourd'hui, avec les Leancer, Ouzine et autre Azami. En v?rit? F?s est la premi?re ville berb?re d'Afrique du Nord n'en d?plaise ? tous ceux qui n'y voit en elle que le lieu de rayonnement de l'arabisme et de la magnificence andalouse. Il n'est pas inutile de souligner, aussi, que toutes les ?mancipations aussi bien de notre art culinaire et vestimentaire que celui du cadre b?ti sont en partage avec tous les apports de la personnalit? marocaine dans ses diff?rentes variantes. Aujourd'hui, 60 ans apr?s l'ind?pendance, nous n'avons pas su garder ? Fes ce statut de ville-nation dans laquelle se reconna?tront tous les Marocains. Au contraire, aux int?grismes tribaux, ethniques et culturels se sont ajout?s d'autres plus pernicieux parce qu'ils sont moins apparents. Dans ce sens, l'?chec de l'?cole est patent. Elle n'a pas pu f?conder d'un marocain lib?r? des contingences ethniques et tribales. ?Faire de F?s une cible pour assouvir son int?grisme c'est porter atteinte au plus petit d?nominateur commun de la sp?cificit? et de l'originalit? marocaines. S'approprier F?s dans l'exclusion de l'autre; c'est participer ? un hold-up de l?histoire. Mon nom me trahit peut-?tre, mon patriotisme s?rement pas. C'est pourquoi je voudrai vivre ?galement Prague ? F?s.