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Affaire Ouahbi : Les raisins de la colère - Par Bilal TALIDI
Le ministre de la Justice Abdellatif Ouahbi - Si sa troisième sortie devant les médias est louable, elle a en même temps suscité de sérieuses interrogations sur sa capacité de convaincre et révélé son impuissance à aborder sereinement les questions litigieuses
Il est toujours utile pour un politique de se remettre en cause et de s’imprégner du besoin de présenter des réponses à des protestations qu’il aurait du reste lui-même provoquées par ses gaffes et sa mauvaise gestion. Le marxisme et Allal Fassi adopte pour cette démarche le principe de l’autocritique.
Mais la pertinence et la crédibilité des réponses exigent une certaine saine intelligence à cerner les causes des protestations et contestations et à leur apporter des éclaircissements satisfaisants.
Trois reproches
Ceci étant, qu’importe les raisons qui ont poussé le ministre de la Justice Abdellatif Ouahbi à livrer sa version des faits au sujet du scandale qui a éclaboussé l’examen pour le certificat d’aptitude à la profession d’avocat. Pas très important ici non plus de savoir s’il l’a fait sous la pression du Chef du gouvernement ou de hautes sphères dans l’appareil de l’Etat. De ce marécage, le Chef du gouvernement semble avoir pris ses distances, laissant à M. Ouahbi le soin de mener démêler une situation qu’il a lui-même créée. Sinon on ne comprendrait pas que le porte-parole du Gouvernement esquive laconiquement cette affaire, en assurant que M. Ouahbi allait fournir ultérieurement des explications, dénotant par là-même l’isolement de son confrère.
Celui qui est toujours ministre de la Justice a assumé ses responsabilités et livré sa version au moment où la blogosphère et les médias sociaux se relayaient des informations faisant état de son limogeage et que la décision concernant son départ du gouvernement n’était qu’une question de temps.
Et si sa troisième sortie devant les médias est louable, elle a en même temps suscité de sérieuses interrogations sur sa capacité de convaincre et révélé son impuissance à aborder sereinement les questions litigieuses que l’on reproche avec tant de véhémence au ministère dont il a la charge.
Ces critiques s’articulent autour de trois reproches essentiels. Le premier concerne l’entorse faite au cadre juridique précisant la modalité de l’examen et qui constitue le cadre contractuel entre le ministère de la Justice et les candidats. Le deuxième se rapporte aux soupçons de népotisme et de clientélisme à travers la présence massive dans la liste d’heureux admis de patronymes proches d’avocats, de bâtonniers, de magistrats et de responsables politiques ou de personnalités publiques. Le troisième a trait à l’appui juridique et éthique autorisant le ministre de baisse de son propre chef le seuil de réussite au-dessous de la moyenne requise, en ajoutant à la liste 1200 candidats repêchés aux 800 initialement admis.
Dans sa plaidoirie médiatique, le ministre est apparu plus préoccupé par la question de son maintien ou son départ du gouvernement que par l’élucidation des tenants et des aboutissants de cette affaire. Le pouvait-il ? Il s’est donc rabattu sur les trois centres d’intérêts qui l’intéressent : le premier porte sur l’ampleur de la tempête provoquée et si elle requiert vraiment son limogeage, le deuxième concerne ses rapports avec le Chef du gouvernement et le troisième tient à la bienveillance dont il serait entouré en haut lieu.
‘’Une tempête dans un verre d’eau’’
Dans son argumentaire, M. Ouahbi a estimé en substance que les protestations en lien avec cet examen ne sont qu’une tempête dans un verre d’eau ne justifiant pas à l’en croire son remerciement. Il a également loué son rapport avec le Chef de gouvernement qu’il qualifié d’«ami et de soutien». Il a de même écarté de manière sibylline toute éventuelle démission, invoquant de «respectables sphères ayant un statut, une stature» sans plus d’explications à l’opinion publique sur les raisons qui l’autorisent à insérer dans son argumentaire cette phrase volontairement énigmatique comme s’il voulait suggérer avoir reçu des assurances sur son maintien au gouvernement. A moins qu’il n’ait voulu, en laissant planer le mystère, faire barrage à la torrentielle campagne réclamant son départ, ou encore d’alerter les hautes sphères pour réagir aux critiques et se préparer aux conséquences politiques qui en découleraient.
Ce qu’il faut retenir de ce feu de tout bois c’est un message on ne peut plus clair : Il consiste à renvoyer les contestataires à leurs chères études en leur signifiant que leur ‘’insignifiante’’ tempête n’a réussi ni à le secouer de son fauteuil ou à le délester de son portefeuille, ni à élargir le fossé avec son Chef de gouvernement, ni à le faire tomber dans la disgrâce des hautes sphères.
A part ça, sa réaction, déjà sans consistance, aux protestations, n’a fait qu’aggraver davantage les choses dans une ambiance déjà peu propice à la sérénité.
Il n’a présenté ni explications sur l’infraction au cadre juridique régissant l’examen à cause de la violation du cadre contractuel préalable avec les candidats, ni justifications juridiques sur l’augmentation ultérieure du nombre des admis en violation des règles de l’examen qui stipulent l’obtention de la moyenne comme seuil de réussite. Ce faisant, il a ajouté au discrédit de cet examen et légitimé du même coup les soupçons de népotisme, surtout dans le sillage du recours de nombre de facultés et d’instituts universitaires à cette pratique dévalorisante (la réduction du seuil), non pas pour pourvoir des places disponibles, mais pour favoriser les chances de réussite de certaines castes de privilégiés.
Flagrant 19/20 et hérédité du savoir
La dimension éthique du sujet se pose avec d’autant plus d’acuité que le ministre a critiqué les cursus de formation dans les facultés de droit. Ainsi a-t-il cité des modèles plus avancés à ses yeux (Canada) où l’accès aux études supérieures en droit serait ‘’régi par la rigueur académique’’ avec des moyennes inimaginables, 19/20, arguant que les lauréats seront amenés à exercer des professions sensibles en rapport direct avec les droits des citoyens. Sauf que ces propos ont fait long feu à l’épreuve des faits lorsqu’il a avoué avoir décidé, de manière unilatérale, de réduire lui-même le seuil requis et d’admettre des candidats à l’exercice de la profession d’avocat avec des moyennes en dessous de 10/20.
La plaidoirie de M. Ouahbi, malgré ses efforts, n’a pas, non plus, dissipé les soupçons de népotisme en lien avec la réussite de nombre de fils d’avocats, de magistrats, de politiciens et de hauts responsables, évacuant la question en considérant que tous les candidats ont le droit de passer l’examen et de le réussir s’ils répondent aux conditions académiques requises. Ce qui serait en soi légitime et recevable si l’on se trouvait dans une situation sans tâches, ce qui est loin d’être le cas.
Légitime et recevable si encore il ne s’était pas arrogé le droit outrecuidant d’ergoter sur «le génie» de la progéniture des avocats et des magistrats qui aurait affuté ses armes dans les cabinets des papas. Mieux, ou pire, les membres des commissions des examens oraux, à l’en croire, aurait été souvent si impressionnés par l’intelligence de ces heureux admis qu’ils se renseignaient sur la profession de leurs pères pour découvrir, stupéfaits, ou pas, qu’ils sont des fils d’avocats ou de magistrats !
On est là en présence d’une déclaration doublement dangereuse. D’abord, parce que le ministre, en plus de l’hérédité du savoir qu’ainsi il consacre, prend fait et cause pour une catégorie de candidats alors même qu’il est tenu, par le droit de réserve, d’impartialité et de transparence, d’éviter tout propos préférentiel non conforme à la réalité, du fait que les stages dans les cabinets d’avocats sont accessibles à tous sans être l’apanage d’une caste précise qui aurait l’exclusivité de la compétence scientifique. Ensuite, et c’est probablement le plus grave, parce que le ministre laisse entendre par sa déclaration que les membres de la commission des examens oraux sont autorisés à poser des questions sans rapport avec les épreuves, au mépris des règles juridiques et éthiques qui interdisent aux examinateurs d’interroger les candidats sur leurs relations familiales, sous peine de faire l’objet de suspicion de corruption et de népotisme.
La protection des données personnelles et son contraire
La dramaturgie ainsi installée serait incomplète si on n’y ajoute pas la question des irrégularités entachant cet examen et dont la presse a révélé des spécimens, en l’occurrence l’incompatibilité flagrante entre la liste des noms et des numéros des candidats inscrits et celle des candidats admis.
Pour toute réponse, le ministre a procédé à une «interprétation» sans pour autant en préciser la teneur et la portée, puis des fautes de frappe. Or, devant ce genre d’erreurs, qui ne se produisent pas souvent d’une manière aussi maladroite, le ministre est censé actionner les leviers juridiques pertinents et annoncer une nouvelle liste épurée, comportant les rectifications des erreurs matérielles survenues dans la liste initiale.
La réaction du ministre à la réclamation d’une enquête sur cette affaire était à tout le moins contradictoire. Après avoir dans un premier temps rejeté cette idée, faute de preuves selon lui, il a parlé de l’ouverture d’une «enquête», puis il a changé de vocable pour évoquer une «investigation». Comme pour se tirer de ce cafouillis terminologique, il a invoqué le droit des candidats malheureux de demander, à titre individuel, de consulter les copies de leurs examens, alors que le problème réside précisément dans la révision des copies de ceux-là même dont la réussite est entachée de soupçons de népotisme.
L’exemple le plus frappant du comportement contradictoire pour ne pas dire décousu du ministre tient à son attachement à la loi relative à la protection des données personnelles et sa disposition, s’il en était dispensé, à publier les résultats de chaque candidat. Puis, bizarrement, de ne pas se priver du plaisir de consulter le résultat d’une candidate qui aurait inondé Facebook de critiques à son encontre, sans hésiter à jetant son présumé résultat en pâture : une infraction caractérisée à la loi et un acte passible de poursuite judiciaire. C’est tout dire