3 le chiffre magique et la formule magique dans la gestion des crises des partis – Par Bilal Talidi

5437685854_d630fceaff_b-

Fatima Zahra Mansouri, le tête d’une direction tricéphale du PAM qui est probablement en passe de déteindre de différentes manières sur les autres partis en crise.

1
Partager :

C’est un truisme : le cœur et le nerf de la démocratie sont les partis politiques. De leur capacité à exercer le pouvoir politique en alternance, ainsi que des confrontations entre majorité et opposition se créent la prise de conscience de l'importance de la politique et de sa dynamique pour provoquer les avancées qualitatives dans tous les domaines économiques, politiques, sociaux, culturels, artistiques et sportifs.

Au Maroc, l'équation est relativement complexe, car le pouvoir y est une subtile alchimie entre ce qui peut apparaitre comme un pléonasme, mais qui ne l’est pas chez nous : le pouvoir et le gouvernement, le chef de l'État et la présidence du gouvernement. En d’autres termes, une combinaison de légitimité pérenne qui fonde le consensus politique et garantit son équilibre et le bon fonctionnement de ses institutions, et la variable, soumise aux règles de l'alternance politique.

Cette situation duale, qui garantit dans des environnements politiques évolués une grande efficacité, se transforme dans le cas marocain en un écran de fumée invoqué à chaque fois pour couvrir une crise profonde touchant les partis, leur composition, leur ligne et la relation entre leur direction et leur base, ainsi que les contradictions entre leurs positions concrètes et leurs professions de foi idéologiques et doctrinales.

L'explication courante, à laquelle on a recours pour justifier la crise des élites, est l'ingérence du pouvoir dans la production des dirigeants des partis, dans l'adaptation de leurs positions, les éloignant de leurs convictions et de leurs choix, alors que le vrai défi pour les partis devrait être leur capacité à préserver leur indépendance et renforcer leur immunité interne contre toute ingérence du pouvoir dans leurs affaires internes.

N’est-il pas consternant que rien que l’année politique en cours on a été témoins de crises organisationnelles et politiques profondes touchant la structure de quatre partis centraux sur la scène politique, à savoir Authenticité et Modernité, l'Istiqlal, Union Socialiste des forces populaires et Justice et le Développement.

Le premier est allé à son échéance organisationnelle, le congrès en l’occurrence, sans document conceptuel, sans enjeu idéologique ou politique. Si bien qu’il est apparu à différents observateurs que le point principal à l'ordre du jour était le renversement de l'ancien secrétaire général, Abdellatif Ouahbi. Beaucoup ont été surpris de voir comment aussi bien M. Ouahbi que ses rivaux ou n'ont pas osé, avant le congrès, annoncer leur candidature au secrétariat général du parti, et aucun document n'a été diffusé définissant les options organisationnelles qui permettrait au parti de passe de la période Ouahbi à la post-Ouahbi. L'idée d'un leadership tripartite est ainsi apparue comme une "inspiration" ou une "révélation" de dernière minute, bien que la nature de ces échéances organisationnelles suppose que le comité préparatoire ait préparé, en coordination avec les commissions internes du parti, en particulier le commission organisationnelle, les options à présenter au congrès pour approbation, avant de les adopter comme mécanisme de production d'un nouveau leadership.

Un cran au-dessous, le deuxième parti à subir pareille dilemme, est l’Istiqlal. l'« Indépendance ». Dans une moindre mesure en effet, le doyen des partis politiques vit au rythme de la poursuite du conflit précédent entre ce qu'on appelle les « élites du Sahara » et les élites traditionnelles du parti (notamment celles de Fès). Certains militants radicaux de ce parti ne sont pas satisfaits de cette description, considérant que la véritable lutte oppose les militants istiqlaliens (les enfants du parti) et les arrivistes issus des notabilités locales, qui n'ont pas d'histoire dans le parti ni de parcours de lutte en son sein. 

Mais ces qualificatifs importent peu aujourd’hui. Ce qui compte en revanche, c'est le changement survenu dans la manière de formuler les accords entre sensibilités au sein de ce parti, et comment le parti a vécu des moments très difficiles pour élire son secrétaire général, Nizar Baraka, sachant que la tradition pour un parti de la majorité, représenté par son secrétaire général au gouvernement, penche toujours pour une reconduction à un second mandat, afin de ne pas envoyer un message politique négatif du congrès, qui pourrait pousser le chef du gouvernement à douter des capacités représentatives de son allié. 

La carte habile que peut-être le secrétaire général de l’Istiqlal a jouée pour remporter une victoire partielle et personnelle - la première manche d’une bataille qui s’annonce difficile -, est le report de l'élection du comité exécutif, dans la perspective de négocier de nouveaux arrangements concernant la représentation de ce que l’on pourrait appeler abusivement les tendances au sein de cette direction du parti. L

Le congrès a été contraint de sortir de l'impasse pour adopter la recette en vogue, le tricéphalisme, à cette importante différence dans le cas de l’Istiqlal est que la recette a été appliquée au niveau de la direction du congrès et non de la direction du parti avec le risque fort probable qu’on la retrouvera dans la composition du comité exécutif.

L'USFP semble être, elle, dans une situation plus délicate. Les accusations graves portées contre le premier secrétaire Idriss Lachgar, à la suite du scandale de l’attribution de la rente destinée à financer les études, financées par les deniers publics, à ses proches familialement et politiquement, a entamé sa crédibilité et remis en cause sa légitimité. Même la motion de censure du gouvernement dont il a été l’initiateur pour sortir de l’ornière et refonder sa légitimité, a été sapée par ses alliés supposés ne laissant à ses adversaires au sein du parti qu’à porter l’estocade, non seulement au premier secrétaire, mais surtout au parti déjà en lambeaux. 

Il n’est donc pas interdit de peser qu’il a perdu toutes ses cartes, sachant que l'organisation interne recèle de nombreuses surprises qui rendent difficile de prédire ce qui se passera au niveau de la direction du parti. Mais probablement que là aussi à l’émergence d'une direction tricéphale, ou d'un comité de préparation du congrès composé de trois têtes, ou même à l’avènement déclaré de trois » courants représentés au bureau politique, avec une rotation à la tête, tant le chiffre 3 est devenu magique dans la gestion des crises des partis comme l’est le chiffre 7 dans les différentes mythologies.

Reste le Parti Justice et Développement (PJD), toujours dans une crise ouverte à toutes les possibilités. L'actuel secrétaire général, Abdalilah Benkirane, après avoir échoué à engrangé un seul siège pour le parti aux législatives partielles, se rabat sur l’interprétation politique abusive des résultats. Aux forceps il a voulu y voir un indicateur d bonne santé du parti et d'amélioration de son classement politique, affirmant que cela prédit des jours plus heureux aux prochaines échéances. 

Le PJD a fixé 2025 pour la tenue de son congrès. L'actuel secrétaire général n'a plus les moyens de tenir sa promesse précédente en vertu de laquelle il resterait en mandat exceptionnel pour une durée indéterminée afin de garantir l'unité du parti et de faire du prochain congrès une fête de mariage couronnant la fin de la crise interne du parti. Toujours là et toujours ouverte entre les deux principaux courants du parti, la crise pourrait déboucher sur l’émergence d’un troisième clan qui donnerait au chiffre 3 toute sa puissance dans la résolution momentanée des crises et querelles internes. L'apparition d'une "troisième" option entre les deux déjà en place, mettant fin à l’ère du leadership historique et aux problèmes qu’il engendre. C’est une voie possible pour un parti qui sera ainsi libéré des crises du passé et des leaderships historiques qui les ont provoquées.

C’est dire que la manière dont les partis gèrent aujourd’hui leurs crises internes révèle deux conclusions principales. Premièrement, une attitude d'attentisme mortelle, qui signifie une incapacité totale à répondre aux questions qu’exige l’étape actuelle, que ce soit en adaptant les dogmes, en modifiant la vision politique ou/et en créant de nouvelles options organisationnelles. C'est cette incapacité qui encourage et incite à la confiscation de l'indépendance des partis qui, immunitairement affaiblis, deviennent poreux face aux réponses dictées de leur extérieur. Une situation que conforte allègrement, la confusion entre l'avenir du chef et l'avenir politique du parti, devenus insécables, rendant extrêmement compliqué toute correction du parcours en raison de la soumission du parti et de son avenir aux aspirations des dirigeants et à leur désir d’éternité.