Le miracle marocain – Par Seddik Maaninou

5437685854_d630fceaff_b-

Le phare de Cap Spartel tel que l’a voulu le sultan Mohammed Ben Abd al-Rahman, en harmonie avec le patrimoine marocain.

1
Partager :

Qui d'entre nous a remarqué que Bank Al-Maghrib a émis en 2013 un billet de 200 dirhams portant l'image du phare de Cap Spartel surplombant le détroit de Gibraltar. Ce phare célèbre cette année son 150e anniversaire.

Au milieu du XIXe siècle, avec le développement des activités commerciales et l’essor de la navigation maritime, le détroit de Gibraltar est devenu un passage stratégique entre l'océan Atlantique, que nos ancêtres appelaient Bahr addouloumate (la Mer des Ténèbres), et la mer Méditerranée, la Mère des civilisations. Non sans risque. Les courants marins, les vagues violentes et les difficultés de navigation ont transformé les côtes de Tanger en cimetière pour de nombreux navires qui se heurtaient aux rochers. Le plus grand incident de ce genre s'est produit en 1864, lorsqu'un navire-école brésilien appelé Rona Isabel a percuté les rochers, entraînant la mort de tous ses occupants, plus de 150 étudiants et marins.

Convoitises internationales

L'attention s'est portée sur la région, et l'Amérique a proposé d'envoyer une garnison militaire sur la cote de Tanger (1849) pour aider les navires à passer en toute sécurité. Le consul français est intervenu de son coté, une année après, pour proposer que la France supervise la navigation dans le détroit. Les intentions des États-Unis, de la France, et de bien d'autres, ne se limitaient pas bien entendu à la sécurité de la navigation dans le détroit, mais leur objectif principal était d’avoir un œil permanent sur le détroit, gérer le cas échéant, l'important trafic maritime dans la région.

Décision du sultan

Le sultan Sidi Mohammed Ben Abd al-Rahman a bien saisi les intentions et les risques de la présence de forces cherchant à contrôler le royaume. Il a ordonné en conséquence en 1864 la construction d'un phare à Cap Spartel. Il en a confié la conception à l'ingénieur français Léonce Reynaud , en lui demandant de s'assurer que le design respecte l'harmonie avec le patrimoine marocain. L'ingénieur a fait le tour de plusieurs régions et conçu le phare quadrangulaire, d’une hauteur de 25 mètres, renvoyant à la forme d'un minaret.

Au cours d'un siècle et demi, le phare a suivi les évolutions technologiques que les phares du monde entier ont connues. Au départ, il fonctionnait à l'huile pour fournir la lumière, et utilisait une corne de brume en cas de brouillard dense. Aujourd'hui, le phare est en bon état et vaut le détour en tant que patrimoine culturel marocain.

Cent marches

Mais la visite exige des efforts et de la sueur. Bien que j'aie visité Tanger plusieurs fois, c'était la première fois que je montais au sommet du phare. Avant de contempler le point de rencontre entre l'Atlantique et la Méditerranée, je me suis rappelé le verset du Coran, dans la sourate Ar-Rahman : « Il a donné libre cours aux deux mers qui se rencontrent ; entre elles, il y a une barrière qu'elles ne dépassent pas ». Ici, en effet, l'Atlantique et la Méditerranée se croisent et se fondent, créant des vagues violentes qui ont sculpté de nombreuses grottes sur le littoral, dont la plus célèbre est la Grotte d'Hercule.

En montant les cent marches en colimaçon, on remarque sur les murs des rappels des principales étapes que le phare a connues depuis sa fondation jusqu'à la création du musée de haut niveau qui préserve en sons et images l'histoire de ce monument patrimonial.

Cabane en fer-blanc

Sur les côtes marocaines, il y a près de quarante phares pour aider la marine internationale à se prémunir des zones rocheuses et pour guider les capitaines à la prudence. Parmi cette série continue de phares, seuls le « Phare de Cap Spartel » et le « Phare de Boujdour » se distinguent.

Au milieu de l'année 1977, j'ai visité Boujdour pour la première fois. Les conditions étaient difficiles : pas de routes, pas de sécurité, pas de guide. J'ai donc pris le risque, avec mon équipe télévisée, de filmer la ville de Boujdour. Je pensais que c'était une cité, mais en arrivant, je n'ai trouvé que le phare, et à ses côtés une cabane en fer-blanc habitée par les gardiens du phare.

J'ai été surpris par sa hauteur, qui dépasse cinquante mètres, et j'ai décidé de monter. J'ai commencé, mais je me suis arrêté à cause de l'étroitesse des escaliers en colimaçon. Je n'ai pas pu monter les deux-cent-cinquante marches, et me suis contenté de prendre des photos.

En demandant des informations sur les bâtiments de Boujdour, il s'est avéré qu'il n'y avait rien, pas un seul bâtiment. Lorsque, après la récupération du Sahara, le premier gouverneur marocain de Boujdour a été nommé, une cérémonie a eu lieu sous une tente au milieu des nomades venus assister à la fête et retourner ensuite à leurs paturage.

Aujourd'hui, Boujdour possède des rues, des bâtiments publics et privés, et même des fontaines qui rafraîchissent l'atmosphère et embellissent la ville. Et cela à un nom, au 19e siècle avec Cap Spartel, comme aujourd’hui avec la ville de Boujdour : le miracle marocain.