Culture
Cinéma, mon amour ! de Driss Chouika: ''YEELEN'' OU LA LUMIERE DE LA RENAISSANCE DU MONDE
…Puis, toujours en soif, je me suis arrangé avec le projectionniste de l’une des salles (j’étais secrétaire général du festival et chargé de la programmation) pour voir YEELEN une 3ème fois, tout seul, tôt le matin ! Là, une lumière jaillit, éclaira mon champs de vision et me révéla l’immensité et la profondeur de ce vrai moment de cinéma créé par Cissé.
Mon parcours cinéphile a bien été marqué par un certain nombre de films dont quelques films africains découverts notamment grâce à mon maître et ami feu N. Sail et le Festival du Cinéma Africain de Khouribga (Rencontres du Cinéma Africain jusqu’à la cinquième édition de 1992). Parmi ces films exceptionnels figure l’un dont j’ai une forte envie de parler, ou plutôt de reparler, aujourd’hui pour accomplir le devoir de mémoire dont je demeure redevable à ce mode d’expression qui m’a fasciné dès ma tendre adolescence. Il s’agit du sublime “Yeelen“ du non moins sublime Souleymane Cissé.
EXERGUE
Au début de son voyage initiatique, le jeune Nianankoro, bambara détenteur d’un savoir et de dons magiques, rencontre une espèce d’«oracle africain» qui lui annonce dans un rire tonitruant :
« Tu atteindras ta destination Nianankoro. Ton avenir est faste. Ta vie sera radieuse et ta fin pleine de lumière».
Et, effectivement, en regardant le film, on est subjugué par la lumière !
EN QUETE D’UNE VERITE LUMINEUSE
Lorsque j’avais vu « Yeelen » pour la 1ère fois en 1988 lors du Festival du Cinéma Africain de Khouribga, j’étais resté sidéré, comme hypnotisé, incapable d’émettre le moindre jugement sur ce film atypique. Etant resté sur ma faim, je suis allé le voir une 2ème fois dans une autre salle. Puis, toujours en soif, je me suis arrangé avec le projectionniste de l’une des salles (j’étais secrétaire général du festival et chargé de la programmation) pour le voir une 3ème fois, tout seul, tôt le matin !
Là, une lumière jaillit, éclaira mon champs de vision et me révéla l’immensité et la profondeur de ce vrai moment de cinéma créé par Cissé.
Ces images prises dans des décors naturels magnifiques, cadrées et éclairées dans le respect d’une esthétique cinématographique clairvoyante et lumineuse, ces comédiens paraissant composer leurs rôles naturellement et spontanément, cette construction dramatique faussement respectueuse des principes de la classique tragédie grecque, ne sont pas aussi simples et dépouillés qu’il n’y paraît. Cette esthétique « lumineuse » qui éblouit le regard, sous-tend aussi et surtout une vision et une interprétation profonde de la mentalité, la pensée et les rapports socio-politiques dominants dans les sociétés africaines. Le mythe et la sorcellerie servent de piliers à la construction formelle de la narration, mais le traitement cinématographique fait ressortir une très forte lecture moderne de la culture et de la société africaines.
La confrontation entre le père, détenteur du savoir divin des bambaras, furieux contre son fils qu’il maudit pour avoir osé pénétrer son jardin secret, et ledit fils qui cherche à comprendre pourquoi son père, au lieu de l’aimer et lui transmettre son savoir, cherche à le tuer, symbolise toutes les contradictions et les conflits qui ont gangréné dans le tissu socio-politique africain, et qui ont fini par donner naissance à tous ces conflits meurtriers, bêtes et méchants qui minent aujourd’hui les sociétés africaines.
S. Cissé est-il un visionnaire ? La question mérite d’être posée.
De la connaissance jaillit la lumière, disaient les penseurs grecs. Dans la continuité, S. Cissé semble vouloir dire que la lumière naît du regard, que le regard est confrontation de forces divergentes, donc source de contradictions et de conflits, lesquels sont la principale source du savoir et de la transformation du Monde, donc de la connaissance. Ainsi, la boucle est bouclée !
ET LA LUMIERE FUT
« L’échauffement donne le feu. Et les deux mondes (le Ciel et la Terre) existent par la lumière » annonce le pré-générique du film.
Mais là où il y a la Lumière les Ténèbres ne sont pas loin. Elles sont tapies partout, au coin de chaque plan du film, à l’ambre des arbres majestueux, des rochers, des cavernes et des sources pures de l’Afrique.
Et, à l’image du corps desséché de la vieille mère qu’elle purifie au lait pour invoquer la déesse des eaux et l’inviter à sauver son fils, du superbe corps de la jeune femme purifié à l’eau de la source sacrée, filmés d’une manière sublime, Cissé prend esthétiquement et définitivement partie pour la beauté contre toute laideur, pour la paix contre toute violence, et surtout pour la clarté (lumière) contre toute noirceur (ténèbres).
Effectivement, en y regardant de près, Cissé cherche à nous convaincre, d’une manière symbolique, subtile et intelligente, que l’échauffement (contradictions et conflits d’intérêts) donne le feu (luttes et guerres) qui finit par produire des étincelles de lumière (espoir d’un nouveau monde/nouvelle société).
Et ce cycle évolutif n’est pas naturel ou fortuit. Il est basé sur le « Komo » (incarnation du savoir divin) – dans la tradition malienne l’enseignement du Komo est basé sur la connaissance des signes, des temps et des mondes. Ainsi, la lumière de la création se transforme en lumière de destruction du monde ancien, des débris duquel naît un nouveau monde.
Le savoir étant la base de tout, la confrontation finale entre l’ancien (le père conservateur) et le nouveau (le fils démocrate et/ou révolutionnaire) aboutit à la grande explosion de lumière qui donne naissance au nouveau monde : la jeune femme du fils et son enfant arpentant une immensité de dunes d’un sable doré. Un monde nouveau, vaste et lumineux.