chroniques
Un Jour à Madagh – Par Seddik Maâninou
Seddik Maanoinou avec le cheikh de la Tariqa, Jamal ad-Din al-Qadiri al-Boutchichi,
Lorsque je suis arrivé à Madagh dans l’oriental marocain, je me suis senti miraculeusement soulagé d’une fatigue intense due à un long voyage sous des pluies torrentielles. Tout au long du trajet, j'ai récité avec mes compagnons de route "la Prière du voyage" alors que nous dévalions les kilomètres en direction de la capitale de la Qadiriyya Boutchichiyya que je visitais pour la première fois. Et je fus étonné par la grandeur du lieu et l’apparence imposante des bâtiments. J'en ai ressenti une rare paix intérieure.
Soufisme et mobilisation
Le soufisme au Maroc est ancien et profondément enraciné, marquant la vie religieuse et sociale fondée sur un accord consensuel autour de valeurs morales qui sont le fondement de l'identité nationale. Le soufisme a contribué à la mobilisation populaire pour la défense de la "maison de l'Islam", la libération des présides ou encore l’expulsion de la colonisation, faisant émerger à la tête du soufisme marocain des hommes et des guides dont la renommée et l'impact se sont étendus aux confins du monde.
Les origines
Les origines de la tariqa Qadiriyya Boutchichiyya remontent au cheikh Abdelkader Jilani, né probablement dans la province de Gilan dans l’actuel Iran vers 1077-1078 et décédé à Bagdad en Irak, où il est enterré, en 1166, tandis que la Boutchichiyya remonte à un des cheikhs de la Voie, qui distribuait aux pauvres la soupe de "tchicha" (une soupe de blé concassé) pendant les périodes de famine.
Cette Voie a connu une large diffusion, notamment dans la seconde moitié du vingtième siècle. Des milliers de disciples du Maroc et de différents continents y ont adhéré, appelés « Al Fouqara’ » (les pauvres), sachant que cette appellation, si elle trouve son étymologie dans la désignation des nécessiteux secourus par le cheikh fondateur, puise son sens surtout de la sourate Fater, signe 15, (ayouha annass antoum alfouqara’e ila allah) qui interpelle ainsi les musulmans : « Ô gens, c’est vous qui avez besoin d’Allah […] Allah est le Riche […] » .
Les rendez-vous
Parmi les plus célèbres des rendez-vous de la tariqa, il y a la grande célébration du Mawlid Nabawi, à laquelle assiste un grand nombre de disciples. Pendant ce grand meeting spirituel de quelques jours, des rencontres ont lieu dans le cadre du forum et comprennent des cours et des conférences. Il y a aussi "la Fondation du Forum Mondial du Soufisme" qui organise de rencontres scientifiques sur plusieurs jours. La dernière édition (Septembre 2023) avait pour thème "Le Soufisme et les valeurs religieuses et nationales pour l'établissement d'une citoyenneté globale" avec la participation de nombreux universitaires et professeurs d'universités du Maroc et de l'étranger.
Le mois d'août est marqué par une retraite collective consacrée à des séminaires et des rencontres intellectuelles autour de la Sunna prophétique et des questions connexes.
Le Mausolée
Pour soutenir ces activités, un certain nombre de "pauvres" se sont portés volontaires et ont souscrit, puis ils ont construit "l'école", qui est une université pour les études islamiques, et "la Maison du Coran" pour la mémorisation et l'explication du Coran, ainsi qu’un grand bâtiment pour l'organisation des grandes célébrations. J’ai eu une attention particulière et spontanée pour le grand mausolée du Cheikh Hamza que j’ai visité et où j’ai assisté à la récitation du nom de Dieu "Al-Latif" (littéralement le doux) à haute voix dans une atmosphère de transcendance divine.
Le chapelet du Cheikh
Le faîte de ma visite a été lorsque le Cheikh de la Tariqa, Sidi Jamal ad-Din al-Qadiri al-Boutchichi, m'a accueilli dans sa demeure le jour de mon arrivée. Il m'a reçu avec beaucoup de bienveillance. La séance a duré longtemps et pendant celle-ci, le Cheikh a pris ma main et m'a honoré d’une "poignée de main", qui est le plus haut degré d’agrément et m’a montré son estime en m’offrant son chapelet personnel qui est dans la tradition de la tariqa une sorte de ‘’carte d’appartenance’’.
Tout au long de ma retraite dans la zaouïa, je prenais mes repas de l'Iftar (rupture du jeûne) et du Suhur (repas d’avant le début du jeûne) à la table familiale du Cheikh. L'homme était généreux, aimable et extrêmement affable et affectueux.
J'y ai ressenti la fraternité, la quiétude et la tolérance qui prévalaient, comprenant ainsi mieux la contribution du soufisme marocain à l’approfondissement du sentiment national qui repose sur des valeurs religieuses, morales et humaines.
Les Français
J'ai également assisté à "la nuit", d’alhadra ("la présence") ou "la réunion", supervisée par le Cheikh. C'était un samedi soir où les participants récitaient les louanges du prophète et les chants soufis. Mon attention a notamment été attirée par la présence de plusieurs Européens et Américains, et leur participation à la transe dans une ambiance d’exaltation divine. Un autre groupe était notable, composé de sept jeunes Français qui participaient intensément à la retraite, récitant les invocations individuellement et collectivement avec une dévotion et une foi visiblement sincères.
C’est ainsi que j'ai découvert cette "oasis fructueuse" et j'étais heureux de son don céleste et de son rayonnement dont j’ai enfin emprunté la voie et la foie renouvelée.