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CHRONIQUE CINEMA, MON AMOUR DE DRISS CHOUIKA : HALF MOON, L’EXPRESSION D’UNE CULTURE VAGABONDE
Le film est un émouvant road-movie qui présente d’une manière intelligente et éloquente l’histoire de ce peuple Kurde, apatride et sans État, éparpillé entre l’Iran, l’Irak, la Turquie et la Syrie
« J’ai connu beaucoup de tragédies dans ma vie. La tragédie est enracinée en moi, mais comme je n’ai pas envie de faire des films qui ne soient que tristes, j’ajoute des éléments comiques. J’aime mélanger le comique et le tragique et j’en fais une règle pour tous mes films ».
Bahman Ghobadi.
« Half Moon » fait partie d’une série de films appelée “New Crowned Hope”, en célébration du 250ème anniversaire de Wolfgang Amadeus Mozart. Sorti en 2006, ce 4ème long métrage de Bahman Ghobadi est une coproduction internationale entre l’Iran, l’Irak, la France et l’Autriche, qui a valu à son auteur une consécration mondiale en remportant plusieurs prix prestigieux, notamment La Coquille d’Or, le Prix de la FIPRESCI et le Prix de la Meilleure Photographie au Festival International du Film de San Sébastian en 2006, ainsi que le Prix du Public de la Compétition Internationale au Festival International du Film d’Istanbul.
Le film est un émouvant road-movie qui présente d’une manière intelligente et éloquente l’histoire de ce peuple Kurde, apatride et sans État, éparpillé entre l’Iran, l’Irak, la Turquie et la Syrie, des pays où les libertés sont généralement bien bafouées et où les hommes et les femmes de ce peuple luttent pour leur liberté et une vie digne, essayant éperdument d’exorciser ce destin tragique qui colle à leurs peaux. Le réalisateur lui-même exprime cet état de fait ainsi : « J’ai connu beaucoup de tragédies dans ma vie. La tragédie est enracinée en moi, mais comme je n’ai pas envie de faire des films qui ne soient que tristes, j’ajoute des éléments comiques. J’aime mélanger le comique et le tragique et j’en fais une règle pour tous mes films. Ce mélange du tragique et du comique est l’essence de la vie kurde. Les Kurdes ont connu tellement de tragédies dans leur histoire. L’humour et la musique accompagnent leur vie. C’est ce qui leur donne l’espoir d’une destinée meilleure ».
Ici, la lutte n’opère pas par la violence mais à travers la voix, la musique et le chant. Mamo, un vieux musicien kurde, et ses dix enfants, traversent le Kurdistan iranien pour se rendre à un concert en Irak après la chute du régime de Saddam, parcours semé d'embûches, mais ils n'abandonnent jamais. L’un des admirateurs de Mamo, Kako, emprunte un bus pour conduire ce beau monde jusqu’au lieu du concert, faisant de cette équipée atypique une mission sacrée et pleine d'espoir.
L’EXPRESSION D’UNE CULTURE VAGABONDE
À travers ce voyage épique à travers les montagnes, le film explore des thèmes tels que la nostalgie, la liberté et l’héritage culturel kurde. Et pour bien saisir le sens profond du traitement choisi par le réalisateur, il est important de comprendre le contexte culturel dans lequel se déroule l’histoire du film. Le peuple kurde est un groupe ethnique sans État qui vit principalement au Moyen-Orient, notamment en Iran, en Irak, en Syrie et en Turquie. Malgré leur longue histoire et leur riche culture, les Kurdes ont souvent été opprimés et marginalisés par les gouvernements des pays où ils vivent. Le film “Half Moon“ met en lumière cette réalité en montrant les difficultés auxquelles les Kurdes sont confrontés pour exprimer leur identité culturelle et artistique atypique, une culture bien vagabonde.
Bahman Ghobadi est connu pour sa maîtrise des techniques cinématographiques qui donnent à ses films une esthétique unique. Dans “Half Moon“, Ghobadi utilise des plans larges des paysages montagneux pour capturer la majesté et la solitude de la région kurde. Les scènes de voyage de Mamo à travers les montagnes sont filmées de manière immersive, donnant au spectateur l'impression d'être aux côtés du protagoniste. De plus, la bande sonore du film, composée de musiques traditionnelles kurdes, renforce l'aspect authentique de cette expérience cinématographique.
Au-delà de son récit principal, “Half Moon“ est riche de significations symboliques qui enrichissent sa profondeur. Le personnage de Mamo peut être interprété comme une figure emblématique de la culture kurde, luttant pour préserver son art et son identité malgré les obstacles. Sa quête pour donner un concert en Irak peut également être vue comme une métaphore de la recherche de liberté et d'expression culturelle pour le peuple kurde dans son ensemble. De plus, les thèmes de la musique et de la poésie, qui sont omniprésents dans le film, symbolisent la résilience et la beauté de la culture kurde face à l'adversité.
La lune représente également un élément central du symbolisme dans le film, évoquant diverses interprétations allant de l'espoir à l'attention aux phases de transition. Elle est particulièrement significative pour le peuple kurde, représentant souvent l'espoir au milieu de l'obscurité. Dans le film, la lune agit presque comme un personnage silencieux, un témoin qui éclaire le chemin de Mamo et ses compagnons, tout en symbolisant l'idée de réalisation inaboutie et de quête identitaire inachevée.
La réalisation de Ghobadi donne au film une qualité documentaire tout en préservant la magie de la narration. La cinématographie est captivante, utilisant le paysage pour souligner la beauté naturelle du Kurdistan et la complexité de ses enjeux politiques et culturels. Les plans larges contrastent avec des scènes intimistes, permettant au spectateur de ressentir à la fois l'ampleur du contexte en jeu et la profondeur des interactions humaines. La palette des couleurs varie de teintes classiques à des nuances vives lors des séquences de rêve, ce qui intensifie l'aspect surréel de certains moments.
Le film brosse un portrait poignant de l'exil et du désir de retour. Mamo exprime la douleur de l'exil forcé et le désir ardent de revenir à une forme de foyer originel, que ce soit à travers la musique ou le paysage naturel. Son voyage symbolise le parcours de tout un peuple à la recherche d'une terre promise où il peut exprimer librement son identité et ses traditions.
"Half Moon" est, finalement, une célébration de l'esprit humain, un hommage à la tradition et à la ténacité kurdes, ainsi qu'une œuvre d'art qui défie la répression et l'exil à travers la beauté et le pouvoir de la musique. Bahman Ghobadi offre ici une fenêtre magistrale sur une culture méconnue, en racontant une histoire universelle d'espoir, de rêve et de persévérance. Au-delà du récit, le film stimule un dialogue expressif sur les droits de l'homme, la diversité culturelle et la résistance à l'oppression.
FILMOGRAPHIE ٍSÉLECTIVE DE BAHMAN GHOBADI (LM)
« Le temps des chevaux ivres » (2000) ; « Abandonné en Irak » (2002) ; « Les tortues peuvent voler » (2004) ; « Half Moon » (2006) ; « Personne ne connaît les chats persans » (2009) ; « Saison des rhinocéros » (2012) ; « Words with Gods (segment « Kaboki ») » (2014) ; « The Four Walls » (2021).