De la dignité avant toute chose

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Comment peut-on vivre le confinement quand-on est déjà enfermé ? Quand de hauts murs et des intrications de barbelés vous séparent déjà du monde et de ses bruits rendus au silence par ce quelque chose d’invisible ? C’est l’une des questions qui sont venues à moi sans que j’y réfléchisse en feuilletant les ouvrages édités par la Délégation Générale à l’Administration Pénitentiaire et à la Réinsertion que Mohamed Saleh Tamek, Délégué général, m’a aimablement offerts. Trois beaux albums, dont un, d’une qualité égale aux autres, est consacré à l’artisanat en milieu carcéral, mais deux m’ont particulièrement absorbé dans le tourbillon de la détention. Du texte et des photos. Le cadrage a beau cerner ce qui peut être chatoyant dans un pénitencier, la couleur a beau embellir le décor, une prison reste une prison. Le premier ouvrage, qui trouve dans l’incarcération le cARTcéral, rend compte de la création artistique, les arts plastiques essentiellement, des condamnés. La grande évasion par le bout du pinceau qui torture la toile, parfois « fait la belle » dans un foisonnement de nuances, mais souvent reproduit les images du dehors et les entretient dans la mémoire du prisonnier. Le second, Karama (dignité) narre le cheminement du détenu qui ne se transforme pas uniquement en un numéro de matricule, mais, on a beau dire, devient un être impersonnel qui se conjugue à la troisième personne du singulier : IL. C’est à lui que s’attache Abdejlil Lahjomri dans sa préface pour que ne s’efface pas de son personnage sa personnalité. Sur les pas d’une œuvre en milieu carcéral qui ne veut pas que détention soit négation, le Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume appuie de toute son énergie sur le ressort DIGNITE pour rendre à Il son Je. Lisez plutôt.  (N K)

……Et pour cela est entrepris sous la Haute impulsion de Sa Majesté Le Roi, que Dieu l’assiste, un vaste chantier de révision, qui opérerait dans le paysage carcéral de notre pays une révolution copernicienne et ferait, de ce cri d’un détenu, la devise des espaces de détention où sont appliquées les sanctions que la société prévoit pour toutes les déviations sociales : « J’ai été condamné à être privé de ma liberté, mais pas de ma dignité ».  Cette publication a comme ambition de présenter, d’illustrer, et de défendre une politique nouvelle d’application des décisions de justice qui commencerait par une désaffection de la conscience collective que meublent, préjugés, stéréotypes, mythes désastreux relatifs à ces lieux clos qu’évoquent des discours erronés dont le vocabulaire est sans aucun doute une autre prison dans la prison elle-même.   La dignité est, comme l’affirme le philosophe « ce quelque chose qui est du à l’être humain du fait qu’il est humain » Simplement humain.  Un « quelque chose » d’inaliénable, dont l’homme ne peut être privé quelle que soit  la sanction qu’il a méritée pour le crime qu’il aurait commis.  N’est-ce pas là le sens profond du verset de la sourate Al Isrra (le voyage nocturne) et qui est le fondement de la conception de dignité dans la religion musulmane.

و لقـــد كـــرمـــنـا بني آدم و حــمــلـنــــاهــم في الــبــر و الــبــحــر ورزقـــنــاهم من الــطـيــبـــا ت و فضـــلنــــاهــم عــلى كثــيـــر مـمـن خـــلــــقـــنــا تـفـــضــــيــــلا – 

الإســراء

 

« Nous avons ennobli les fils d’Adam

Nous les avons portés

Sur la terre ferme, sur la mer,

Nous leur avons accordé d’excellentes nourritures

Nous leur avons donné la préférence

Sur beaucoup de ceux que nous avons créés »

(Traduction Denise Masson)

Le commentateur musulman et le philosophe occidental convergent tous deux et s’accordent dans la qualification de la dignité par « ce quelque chose » d’indéfinissable qui ne se réduit ni à des considérations de nationalité, ni de langue, ni de croyance, ni de quoi que ce soit d’autre, qui serait « cette préférence » accordée par Dieu à l’être humain sur toute autre créature.  En élisant « l’impératif de dignité », comme une visée de sa politique, l’autorité de gestion des lieux de détention, et  en renouvelant les concepts « d’autorité » et de « sécurité » revisite tous les éléments  constitutifs de l’acte de punir.  Les lois se voient révisées, l’architecture, repensée, la nourriture soignée, la santé et l’hygiène améliorées, les activités sportives, artistiques encouragées, l’habillement revu, les insultes et injures, l’instruction, la formation et les apprentissages affirmés, les visites familiales réorganisées, la protection de la femme et de l’enfant érigée en priorité, la réinsertion prônée en un crédo d’équité qu’un observateur de la vie carcérale avait ainsi décrit : « Le temps de la détention, ne doit pas devenir le temps du mépris ».  Mais devenir le temps d’une réinsertion  apaisée dans une société à laquelle le détenu a payé son du.  Se voit aussi réexaminé le paradoxe des deux dignités en présence : celle du détenu et celle du gardien, et de leur équilibre pour que ce couple inséparable ne se trouve pas dans une situation de vulnérabilité, de fragilité, mais de cohabitation positive, dynamique et constructive.  Dans cette publication, le gardien est présenté comme « L’alter ego» du détenu.  En effet, au service du prisonnier, sa liberté est en quelques sortes « aliénée » pour éviter, au prisonnier oubli, déchéance, lui offrant une seconde chance, l’aidant à échapper à d’autres enfermements : enfermement dans la drogue, dans les idéologies extrémistes et les violences subversives, ou dans la folie, l’accompagnant dans une reconquête douloureuse et patiente de sa propre dignité.

Il n’y a dans cette présentation polyphonique de la nouvelle orientation de l’application des peines aucune apologie.  Il y a la foi et l’engagement, sincères de tous les acteurs dans ce chantier, (de l’administration pénitentiaire aux participants à la vie associative) qui veulent que le changement dans le milieu carcéral soit un changement de nature, que cet espace ne reste plus zone de non droit, d’un immobilisme dégradant mais un engagement, à la recherche d’un nouveau sens aux mots de peine et de sanction, un sens qui réintroduit la valeur de dignité comme valeur inhérente à la personne humaine, absolue, reconnue comme norme intangible par les droits nationaux et les droits internationaux.

Défi, que toute la société devrait relever, parce que quand elle punit et « prive un individu de sa liberté, il lui incombe d’assurer sa protection en veillant au respect de sa dignité ».  Toutes ses composantes ; administration famille, école, partis politiques, associations, devraient être  mobilisées pour éviter aux citoyens de s’égarer dans les dédales d’un enfermement transitoire, ou pour certains définitif et les immuniser le plus souvent possible contre toute sorte de déviation.  Mais il en est ainsi, la société doit gérer aussi les transgressions, et le faire, avec humanité, respect et équité.  Elle tente de le faire, elle aspire à le faire de telle sorte à ce que plus jamais aucun être qui serait emprisonné ne se lamente comme l’a fait le poète Guillaume Apollinaire :

« Avant d’entrer dans ma cellule

Il a fallu me mettre à nu

Et quelle voix sinistre ulule

Guillaume, Qu’es-tu devenu »

En entrant dans sa cellule, IL devient autre.  IL, c’est ainsi que le détenu  est nommé dans cette publication.  En fautant IL a tout perdu, hormis sa dignité.