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L’investissement public, entre chiffres et réalité - Par Abdeslam Seddiki
L’investissement public est mal réparti territorialement et ne profite pas à toute la population de la même manière
Selon la théorie keynésienne, à court terme, les dépenses publiques de toutes sortes (salaires, consommations intermédiaires, investissements, allocations-chômage, etc.) contribuent en effet à déterminer le niveau de la demande globale, qui s’adresse aux entreprises et à partir de laquelle sont effectués les choix en matière de production et d’emploi.
Sur le long terme, les dépenses publiques agissent également sur l’offre : les dépenses d’éducation et de santé augmentent la productivité de la main-d’œuvre, les dépenses de recherche contribuent à la découverte de nouveaux procédés et de nouveaux produits susceptibles d’améliorer le bien-être, les dépenses d’investissement permettent de développer des infrastructures utiles à l’activité dans l’ensemble des secteurs, etc.
Les dépenses publiques jouent donc à la fois sur la demande et sur l’offre, c’est-à-dire sur le niveau d’activité économique, qui, à son tour, détermine les recettes sur lesquelles l’État peut compter. Lorsque l’activité s’améliore et que l’État parvient à lutter contre l’évasion fiscale, les recettes augmentent avec le revenu national, d’où un moindre recours à l’endettement : la dette publique s’accroît alors plus lentement que le PIB, et le ratio d’endettement (dette/PIB) diminue. Lorsque l’activité décroît, le PIB fond plus vite que la dette, et le ratio d’endettement augmente. Ce schéma théorique est loin de se vérifier dans le cas du Maroc en prenant comme base d’analyse l’investissement public.
Estimé à 340 MMDH dans le projet de loi de finances 2025, l’investissement public se compose comme suit : 40% de cette enveloppe reviennent aux EEP (Etablissements et Entreprises publics), soit 138 MM DH ; le budget général, les CST (Comptes Spéciaux du Trésor), les SEGMA, totalisent, en procédant à la neutralisation des transferts du budget vers les CST et les SEGMA, le montant de 120,5 MM DH, soit 35,4% ; le Fonds Mohamed VI pour l’investissement est doté d’une enveloppe de 45 MM DH, soit 13,2% ; les collectivités territoriales y contribuent à hauteur de 6,3%, soit 21,5 MMDH ; le Fonds spécial pour la gestion des effets du tremblement de terre doté de 15 MM DH représente 4,4%. L’investissement public tel qu’il est présenté sur le papier représente 20,6% du PIB. C’est une proportion énorme en comparaison avec les pays à orientation libérale. Dans les pays européens, l’investissement public ne représente que 3 à 4% du PIB !
Toutefois, ces données appellent les remarques suivantes : en premier lieu, l’investissement public qui représente les deux tiers de l’investissement global se caractérise par une efficacité limitée due notamment à une mauvaise gouvernance et au caractère réduit de l’effet multiplicateur qui joue essentiellement dans les pays partenaires du Maroc. Ainsi, à chaque fois que notre pays réalise un projet d’infrastructure, cela nécessite des importations de l’étranger sous forme de biens d’équipement et de technologie. Cette démonstration est valable pour les plans de relance qui ont eu peu d’impact tant sur la croissance que sur l’emploi.
En deuxième lieu, les 45 MM DH affectés au Fonds Mohamed VI faisant partie d’un plan de relance post-covid remontent à 2021 et sont reportés d’un budget à un autre au point qu’on parle toujours d’opérationnalisation dudit Fonds !
En troisième lieu, cet investissement n’est réalisé que dans une proportion tourant autour de 70%, ce qui signifie que l’investissement effectif ne dépasserait pas 238 MMDH, voire beaucoup moins si on prend en considération l’ensemble des remarques soulignées précédemment.
En quatrième et dernier lieu, l’investissement public est mal réparti territorialement et ne profite pas à toute la population de la même manière et par conséquent, il ne fait qu’aggraver les inégalités territoriales comme cela apparait dans la note relative à la répartition régionale de l’investissement. Ainsi, d’après nos calculs, réalisés sur la base des chiffres disponibles, les montants de l’investissement public par habitant varient, selon les différentes régions, entre 14400 DH (Laayoune Saqiat Al Hamra) et 1693 DH (Fès- Meknès). Par rapport à la moyenne nationale de 3738 DH par habitant, 5 régions se situent au-dessus de cette moyenne et les 7 autres sont au-dessous. On soulignera également que ces données n’ont qu’une valeur indicative dans la mesure où seulement 137,7 MM DH sont concernés, soit à peine 40% du montant global prévu par le PLF 2025.
Bien sûr, il faut faire la comparaison sur le long terme afin de saisir les dynamiques régionales. A ce niveau, les rédacteurs de ladite note relèvent effectivement une dynamique régionale des régions à faible contribution au PIB dans la mesure où elles connaissent des taux de croissance plus importants que les autres. Cette dynamique concerne essentiellement nos régions du Sud qui ont bénéficié d’investissements considérables et d’un programme de développement de près de 80 MM DH. Mais pour l’heure, on relève toujours la concentration de la richesse dans les trois régions : Casablanca-Settat, Rabat-Salé-Kénitra et Tanger-Tétouan-Al Hoceima qui concentrent à elles seules près de 60% (58,6%) du gâteau national.
La réduction des inégalités territoriales et sociales demeure un vœu pieux. Même les collectivités territoriales qui devraient normalement y contribuer en affectant les transferts publics dont elles bénéficient à l’investissement (51 MM DH la part de la TVA transférée aux communes et 9 MM DH mis à la disposition des régions), ne mobilisent à cette fin que 21,5 MM DH. Le reste, soit 38,5 MM DH sont destinés au fonctionnement ! Une situation pour le moins anachronique qu’il faudra corriger au plus vite. Il est temps de clarifier les rapports entre l’Etat Central et « l’Etat territorial » à travers la mise en œuvre d’une politique audacieuse de décentralisation et de déconcentration qui soit en harmonie avec l’objectif stratégique de la régionalisation avancée. C’est une dimension que l’Etat social tel qu’il est mis en œuvre par le gouvernement a laissé de côté.
Le pays est appelé à assurer trois équilibres fondamentaux : équilibres macroéconomiques, équilibres macrosociaux et équilibres écologiques. Pour l’heure, et contrairement aux affirmations des pouvoirs publics, force est de constater qu’aucun de ces trois équilibres n’est entièrement réalisé. Même les équilibres macroéconomiques demeurent fragiles et sont sujets à inquiétude : déficit budgétaire voisin de 5% ; déficit chronique de la balance commerciale ; déficit de la balance des paiements ; endettement du trésor de 70% et endettement public de 84%.
Seul un changement de cap serait de nature à redresser à la fois nos équilibres macroéconomiques et assurer le mieux vivre de la population tout en préservant nos ressources naturelles. Ces objectifs ne sont pas contradictoires. Au contraire, ils font partie d’une même dynamique. A condition de changer de paradigme et d’abandonner un certain nombre de recettes néo-libérales qui ont montré leurs limites.