France - Afrique... retrait ou un repositionnement ? Par Hatim Betioui

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Les Français ont perdu leur influence traditionnelle dans des pays comme le Mali, le Burkina Faso, le Niger le Tchad, et… au Sénégal. À présent, leurs forces, anticipant une extension de l’hostilité, se retirent de la Côte d’Ivoire

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Le retrait progressif de la France d'Afrique marque un tournant historique. Entre souveraineté retrouvée et incertitudes sécuritaires, les nations africaines redéfinissent leurs alliances. La montée d’acteurs comme la Russie et la Chine soulève une question clé : l’Afrique s’émancipe-t-elle réellement ou assiste-t-on simplement à un changement de domination étrangère ? s’interroge Hatim Betioui

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Les Français sont entrés sur le continent africain il y a des siècles à la recherche de nouveaux marchés. Leurs navires en repartaient chargés d’or, d’esclaves et de gomme arabique. Ils y ont diffusé leur langue, leur culture et leur religion, et ont dominé pendant autant de siècles les élites africaines.

L’émergence du souverainisme de l’Afrique ‘’française’’…

L’Afrique et la France partagent une longue histoire marquée par la colonisation et ses conséquences, au point que les deux parties ont cru leur destin commun. Mais cette relation a traversé — et traverse encore — de profondes turbulences, dont la plus marquante aujourd’hui est le retrait progressif de la France du continent, reflétant une volonté croissante des pays africains de retrouver leur souveraineté pleine et entière.

Les Français ont perdu leur influence traditionnelle dans des pays comme le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad. À présent, leurs forces, anticipant une extension de l’hostilité, se retirent de la Côte d’Ivoire et du Sénégal, deux bastions majeurs de leur présence en Afrique de l’Ouest. À Abidjan, le 20 février dernier, des soldats ivoiriens ont hissé le drapeau national au-dessus d’une base militaire restée sous contrôle français pendant des décennies après l’indépendance du pays. 

Le président Alassane Ouattara a décrit ce retrait comme un pas vers le renforcement de l’indépendance du pays, affirmant que l’armée ivoirienne était désormais en mesure de protéger son territoire sans présence militaire étrangère. Cependant, cette scène hautement symbolique n’était pas exempte de contradictions, car de nombreux Ivoiriens se souviennent que Ouattara lui-même ne serait jamais devenu président sans l’intervention militaire française il y a quinze ans, lorsque la France avait renversé son rival Laurent Gbagbo.

… mais aussi des appréhensions

Si certains ont vu dans ce retrait une victoire nationale, d’autres se sont interrogés sur la capacité des forces locales à assurer seules la sécurité du pays, d’autant plus que les menaces régionales ne cessent de croître. Un scénario similaire s’est déroulé au Sénégal. Le 7 mars dernier, la France a commencé à remettre ses bases militaires aux autorités sénégalaises, conformément à la décision du président Bassirou Diomaye Faye, qui a affirmé que le Sénégal devait compter entièrement sur lui-même.

Dans la rue sénégalaise, les opinions sont partagées : pour certains, cette décision était attendue depuis trop longtemps, tandis que d’autres s’inquiètent des répercussions sur la stabilité du pays, notamment face à la montée en puissance du groupe Wagner aux frontières maliennes et à la présence grandissante de groupes terroristes dans la région. Ce qui se passe au Sénégal traduit une montée du sentiment nationaliste, mais ce discours cache une certaine appréhension de l’avenir, en particulier à l’aube de l’exploitation des immenses ressources pétrolières et gazières du pays. La véritable question reste donc de savoir si le Sénégal fait bien de se détacher maintenant de son allié militaire historique.

Malgré ces défis, le départ des forces françaises d’Afrique répond à une volonté populaire évidente. L’hostilité croissante envers la France sur le continent est palpable, Paris étant accusée de soutenir des régimes inefficaces et de piller les ressources africaines. Les populations africaines sont de plus en plus convaincues qu’après le départ de la France, la situation ne pourra être pire que celle qu’elles connaissent actuellement. Mais une question plus large demeure : quelle sera la réponse de la France ?

Le repositionnement français à l’épreuve des élites actuelles

La France connaît l’Afrique mieux que toute autre puissance mondiale, et son retrait militaire ne relève pas seulement d’une décision stratégique, mais s’inscrit dans un repositionnement plus global. Certains y voient un recul de son influence, tandis que d’autres l’interprètent comme une réorientation vers une nouvelle approche.

Le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, a annoncé que la France adopterait désormais un "modèle de soutien à la demande" en remplacement d’une présence militaire permanente. Ce modèle prévoit le remplacement des bases militaires coûteuses par des unités plus petites et flexibles, destinées à soutenir les alliés et à intervenir en cas de besoin. Ce changement rappelle la stratégie adoptée dans les années 1950, lorsque la France, affaiblie par la Seconde Guerre mondiale, avait accordé l’indépendance à ses colonies tout en maintenant son influence à travers des accords militaires et économiques.

Le véritable enjeu aujourd’hui ne réside pas tant dans la stratégie elle-même que dans ceux qui la mettront en œuvre. Dans les années 1950, la France était dirigée par des hommes d’État aguerris comme Charles de Gaulle. Aujourd’hui, elle peine à trouver une élite politique capable de s’adapter à un monde en mutation rapide.

Remplacement d’une influence étrangère par une autre ?

En parallèle, ces transformations ouvrent la porte à d’autres puissances prêtes à combler le vide laissé par la France. La Russie a renforcé sa présence en Afrique via des accords de coopération militaire, tandis que la Chine étend ses investissements dans les infrastructures. De nouvelles puissances comme la Turquie, l’Inde et le Brésil émergent également sur le continent, posant une question essentielle : l’Afrique est-elle en train de prendre son destin en main, ou assiste-t-on simplement au remplacement d’une influence étrangère par une autre ?

Le véritable défi pour les États africains ne se limite pas à l’expulsion des forces étrangères. Il réside dans leur capacité à bâtir des armées solides et des systèmes de défense indépendants, capables de garantir la souveraineté nationale sans intervention extérieure. Par ailleurs, la résolution des conflits internes et la mise en place de blocs régionaux capables de faire face aux appétits extérieurs seront déterminants pour l’avenir du continent. L’Afrique devra choisir entre s’élever grâce à son unité et à sa force propre, ou devenir un nouveau théâtre de confrontation entre grandes puissances.

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