chroniques
Industrialisation et souveraineté économique
Penser à l’après coronavirus par les temps de confinement qui courent est une tâche ardue. Si tout le monde, ou presque, admet que rien ne sera plus à l’avenir comme avant, chacun y va selon ses convictions et ses repères pour imaginer « cet après » dont les contours demeurent encore à dessiner. Ce qui est certain, cependant, c’est que tous les pays se déploient pour venir à bout de cette crise sanitaire mondiale en mobilisant pour ce faire des moyens humains et matériels considérables. Une crise sanitaire couplée, faut-il le préciser à une crise économique d’envergure. La sagesse a fait que l’on a privilégié la préservation des vies humaines au maintien de l’activité économique. C’est une approche civilisationnelle qui fera date. Le confinement des populations a provoqué, partout, un arrêt de la machine économique. Seules les activités strictement nécessaires et liées aux besoins fondamentaux de l’être humain ont été maintenues : santé, alimentation, sécurité.
C’est cette approche qui a été suivie par notre pays pour gérer la situation de crise que nous traversons. Force est de constater qu’elle a montré jusqu’à présent son efficacité. Il fallait à la fois parer au plus pressé et anticiper en agissant sur les deux fronts : prendre en charge les personnes contaminées, sauvegarder les emplois là où c’est possible et venir en aide aux millions de Citoyens privés de revenus. Sans cela, le confinement aurait été impossible à appliquer. Bien sûr, si l’espoir de voir cette crise sanitaire résolue dans quelques semaines est permis, il faudra compter avec une crise économique qui risquerait, elle, de durer pendant des années.
Le pays se doit de mettre en place un plan de relance ambitieux à la mesure de la gravité de la crise. Il faut absolument éviter de recourir à certaines recettes qui ont montré leurs limites. Partout à travers le monde, les politiques relevant de l’économie de l’offre sont battues en brèche. Il faut privilégier l’action sur la demande à travers un vaste programme d’investissements publics, l’accélération de la lutte contre la pauvreté, le renforcement de la protection sociale, l’amélioration de la qualité des services publics de base. Bien sûr, la sortie de la crise dépendra de l’environnement international et du comportement des principaux acteurs de l’économie mondiale. Car les interdépendances entre différentes économies ne disparaitront pas avec la fin de la crise sanitaire, comme l’a très bien écrit dernièrement un fin connaisseur de la réalité mondiale « Après la crise je ne vois pas un repli sur soi de la part des Etats, mais au contraire un renforcement des coopérations et davantage de solidarité. Ce sera de toute façon nécessaire pour sortir de la crise économique » (Valéry Giscard d’Estaing, Le Point du 2 au 8 avril).
Tout repli excessif de la mondialisation est à exclure car aucun pays n’y a intérêt au regard justement des interdépendances entre les différentes économies du globe. L’enjeu est de savoir comment assurer un minimum d’indépendance dans un environnement d’ouverture économique. C’est l’un des enseignements majeurs à tirer de la pandémie corovid-19. Notre pays se doit absolument d’assurer son indépendance, voire sa souveraineté, dans les domaines qui touchent directement la vie des citoyens tels que la santé et l’alimentation pour ne citer que ces deux exemples. On savait que la mondialisation est une arme à double tranchant : elle est à la fois une opportunité et une menace. Mais nous étions plus séduits par le côté opportunité et peu préoccupés par le côté risque, au point que personne n’osait parler de dépendance ! Le moment est venu pour une juste mesure et un retour aux fondamentaux. Notre indépendance n’est pas un luxe. Elle est une nécessité si on veut épargner à notre pays des déconvenues à l’avenir.
Entendons-nous bien. Indépendance ne veut pas dire autosuffisance dans tous les domaines. Aucun pays, quelle que soit sa taille, ne pourrait y parvenir sauf à faire supporter aux populations des privations et des frustrations. L’indépendance, dont il s’agit, est celle qui donne plus d’autonomie au pays dans la couverture de ses besoins fondamentaux. Elle suppose la mise en place d’une véritable industrialisation. Celle-ci, écrit François Perroux, « est le fondement de toute politique d’indépendance, c’est-à-dire de la cohésion d’une structure organisée rendue capable d’offensive économique à l’extérieur ». Et de préciser : « l’industrialisation est un processus complexe dans lequel un groupe humain se dote d’un système cohérent de machines par lequel il transforme le monde et se transforme lui-même. La science et la technique améliorent rapidement les vitesses, les précisions et les puissances. L’industrialisation est une dynamique sur rythmes accélérés » (in Indépendance de la Nation).
C’est à cette tâche qu’il conviendra de s’atteler. En investissant massivement dans les « industries de l’homme » à savoir, la santé, l’alimentation, l’éducation et la recherche scientifique, la transition écologique, la culture, le digital…