Le ministre de l'Agriculture et de la Pêche maritime, quelle utilité ? – Par Bilal Talidi

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Le sens de l’image. Mohmed Sadiki en visite au marché du gros à Inezguene alors que le jour ne s’était pas encore levé. Ce qui n’a pas empêché la hausse de prix d’être aussi une lève-tôt

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Le style du ministre Mohamed Sadiki dans la gestion des secteurs de l'Agriculture et de la Pêche maritime suscite la perplexité. Autant il a un faible pour par la prise de photos et la consignation en images de ses mouvements et de ses déclarations médiatiques, autant il laisse l’impression de manquer de résolution. Peu de traces d’une décision pour ainsi dire décisive durant ces trois à la tête de ce ministère.

Manque de pot, M. Sadiki n'est pas dans la situation de quelques-uns de ses collègues du gouvernement, qui s’autorisent à invoquer la gestion du gouvernement précédent ou imputent leurs problèmes aux anciens ministres. M.  Sadiki a hérité, lui, du département que dirigeait son chef de gouvernement, Aziz Akhannouch, dont il a été secrétaire général, ce qui en d’autres termes signifie qu'il est responsable de tout ce qui se passe dans ce secteur.

Sans le courage d’Akhannouch

Les clients habituels ces deux secteurs (agriculture et pêche maritime) souhaitent que l'homme ait le courage d'Aziz Akhannouch, car tout au long de son mandat, à les en croire, il n'a pris aucune décision réelle pour résoudre un problème ou pour faire face fermement à ceux qui provoquent une grande tension sociale. Il semblerait même qu’il ait résolument démoli les fondements de la politique de son prédécesseur.

Trois problèmes majeurs caractérisent le secteur de l'agriculture, tous liés à la politique de soutien aux filières de production et à l'équilibre entre les besoins du marché intérieur et la politique d'exportation, auxquels M. Sadiki n'a fait face qu'en adoptant la politique du dos rond :  attendre que la tempête passe plutôt que de prendre une décision qui risque de… sait-on jamais.

Le premier dossier touche à la hausse des prix des légumes, notamment des tomates. Le ministre s'est démené dans tous les sens, a visité le marché de gros d'Inezgane, a pris de nombreuses photos sur place, et a, dans un premier temps, attribué la hausse des prix au climat (le froid), puis a rencontré les professionnels qui lui ont fait entendre des choses auxquelles il n'a pas voulu répondre, pour ensuite déclarer que le problème venait des spéculateurs. 

Critiqué par les médias qui ont lié la hausse des prix aux exportations vers l'Afrique, le ministre a nié, déclarant aussi que le Maroc, pour répondre aux besoins du marché intérieur, interdirait les exportations vers l'Afrique, ce qui ne s’est pas fait, les professionnels confirmant la poursuite de ces exportations. 

Le ministre a également promis que la hausse des prix serait résolue en quelques semaines, mais la réalité a contredit ses déclarations. Lorsque la Mauritanie a décidé d'augmenter les droits de douane sur les produits agricoles marocains, les prix ont baissé sur les marchés nationaux, sans que le ministre réagisse. Et quand les droits de douane ont été levés par la Mauritanie, semble-t-il temporairement, les prix ont de nouveau augmenté. Fidèle à sa ligne de conduite, M. Sadiki n'a rien dit non plus.

Le rôle du ministère dans le contrôle des prix

L’autre dossier lourd se rapporte à la crise de la viande. Les professionnels ont continuellement averti le ministère d'une crise imminente, mais le ministre a continué de tenir un discours optimiste en affirmant que cette crise était imaginaire. Pour qu’à l’arrivée, tout le monde soit surpris par la hausse des prix de la viande de veau, qui est passée à 90 dirhams, puis à 95 dirhams. 

C’est alors que le gouvernement a heureusement pris le relais pour résoudre le problème en ouvrant la porte aux importations de l'étranger. M. Sadiki a annoncé dans la foulée que les prix de la viande rouge connaîtraient une baisse significative avec le mois de Ramadan, mais les Marocains, une fois de plus, ont été surpris par une nouvelle augmentation (la viande de veau à 100 dirhams). Pour la viande ovine, les consommateurs se sont retrouvés face à un écart significatif entre le prix que paient les professionnels à qui le ministère a accordé des licences d'importation et des subventions publiques, ce qui leur a permis d’acquérir l’agneau à 500 – 600 dhs, et le prix au kilo, qui a atteint 130 dirhams.

Se pose ainsi une question fondamentale : l’imputation de ces écarts aux courtiers pour les moutons et aux spéculateurs pour les légumes, exonèrerait-il le ministère de sa responsabilité de régulation, pour réduire son rôle à la garantie de l'offre à tout prix ?

Une agriculture qui se noie dans la sécheresse

Le troisième dossier enfin concerne la stratégie face aux effets de la sécheresse et les mesures prises pour diversifier les cultures et dépasser la dépendance à la nature. On ne s’attardera pas sur la menace qui plane sur l’agriculture familiale la menaçant d’extinction, tant la relève n’est nullement assurée, les jeunes ruraux n’ayant d’yeux que pour la ville. On se limitera aux questions urgentes.

Au lieu de répondre aux critiques accusant le ministère de laxisme envers les cultures hydrophages, il a préféré évoquer des faits inexacts sur les surfaces limitées de la culture de l'avocat, qui à l’en croire ne consommerait pas d’importantes quantités d'eau comme l’avancent certains experts. Selon ces spécialistes, un avocatier nécessite environ 70 litres d'eau par jour, ce qui correspond à environ 20 000 litres d'eau par kilogramme d'avocats produits, un appétit insatiable en eau dû au besoin constant d'humidité du sol pour que l'arbre puisse produire des fruits de bonne qualité. Sachant que par ailleurs le ministre lui-même a confirmé que la récolte céréalière, quasi vitale pour les Marocains, ne dépasserait pas cette année les 33 millions de quintal.

Dans le secteur de la pêche maritime, la politique du ministre est principalement marquée par la perturbation des trois axes sur lesquels M.  Akhannouch avait fondé la stratégie Halieutis : assurer la durabilité, équilibrer l'effort de pêche avec les conclusions de la recherche scientifique sur les ressources marines, et prendre des décisions décisives en temps et lieu pour répondre aux exigences de la stratégie Halieutis.

Dans le détail, le ministre tente de dissimuler la crise de la production en se concentrant sur la valeur, alors que la stratégie Halieutis mise en place par son prédécesseur prend en compte l'équilibre entre l'effort de pêche, le volume des investissements des professionnels pour moderniser la pêche, la quantité (débarquement) et la valeur.

Le ministre se base sur l'augmentation de la valeur, due à l'inflation dans le secteur (20 à 40 %), et omet les données sur la baisse des quantités débarquées.

Les chiffres officiels parlent d'un déclin significatif des stocks, notamment en Méditerranée, et même les sardines, dont le Maroc avait un stock stratégique, ont considérablement diminué. Les professionnels parlent aujourd'hui d'un kilo de sardines contenant 34 sardines, contre 14 unités par kilo à l'époque d'Aziz Akhannouch, ce qui signifie que le stock est sérieusement menacé puisque les sardines encore en phase de croissance ne sont nullement préservées.

Un département en déclin

M. Sadiki n'a ainsi pris aucune décision concernant deux grands problèmes : la question du phoque moine qui menace les filets de pêche en Méditerranée, pour laquelle un grand effort avait été fait sur instructions royales entre 2018 et 2019, mais à ce jour, le ministre n'a pris aucune mesure pour mettre en œuvre ces solutions. Ensuite, les bateaux pratiquant la pêche de manière illégale entre les eaux superficielles et profondes (600 bateaux), pour lesquels le ministère n'a pris aucune mesure pour arrêter l’hécatombe.

Certains se demandent pourquoi la performance du ministère a décliné, alors que l'administration est restée la même, sans grand changement au niveau des secrétaires généraux ni des directeurs centraux. Le seul changement notable est le manque de confiance entre le ministre et les responsables de l'administration, au point que la plupart d'entre eux sont désormais hors de tout rôle significatif, y compris Mme Zakia Drouiche, sur qui M. Akhannouch comptait pour résoudre tous les problèmes de la pêche maritime.

En politique, les décisions décisives sont celles qui justifient le succès d'un ministre et l'échec d'un autre, pas la politique médiatique qui cherche à exagérer le creux qui résonnent, à masquer les faits et les chiffres, et à justifier une politique du laisser-faire.