Pour les mémoires des hommes politiques, le Maroc attendra

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Par Naïm Kamal - Au pied de la tombe de Hassan II au moment de son enterrement, Mohamed Elyazghi, 26 ans après avoir  échappé à un colis piégé, ne peut s’empêcher de se dire : « j’ai vécu jusqu’à ce que j’ai pu connaître le décès de Hassan II et assister à ses obsèques »

En 1952, Mohamed El Yazghi a 16 ans. Le Maroc est à moins d’une année de la déposition du sultan Ben Youssef par ce qui n’est plus le protectorat, mais de l’administration directe française au mépris du traité de Fès de 1912. Dans le sillage du futur roi Mohammed VI, c’est toute la famille royale qui est expédié à un exil de trois ans qui se passera pour l’essentiel à Madagascar.

La France est à deux ans de l’historique débâcle de Diên Biên Phu, mais aussi du déclenchement de la révolution des Algériens qui supportaient depuis un siècle et quart le joug coloniale de ce que l’Afrique subsaharienne appellera nos ancêtres les Gaulois. Partout dans les colonies à travers le monde les peuples se réveillent à la résistance.

On est au sortir de la deuxième guerre mondiale et aux confins d’une phase charnière de l’Histoire de l’Humanité qui n’a jamais autant démérité sa majuscule qu’en ce moment-là. Des empires coloniaux sont en train de s’éteindre, d’autres de prendre place, notamment l’américain et accessoirement le soviétique. C’est à ce moment qu’éclot à la vie et à la lutte le jeune Mohamed Elyazghi.

Il est alors un jeune adolescent et n’est pas indifférent à ce qui se passe autour de lui. Il y est même très attentif, si attentif que la politique devient son second oxygène. Il ne quittera plus la scène de l’opposition, sauf sur le tard pour de venir ministre dans le gouvernement. Sa longue carrière est le concentrée de l’évolution politique du Maroc de l’indépendance à aujourd’hui : de l’opposition à Sa Majesté à l’opposition de Sa Majesté.

A 16 ans Mohamed Elyazghi est istiqlalien. A 24 ans, il est UNFP. A 40 ans, l’âge, semble-t-il, de la maturité pour les prophètes, il est enfin USFP. Terminus.  On est en 1975, solde son compte à l’option révolutionnaire et prend le train de l’option démocratique. Mais pas totalement, il y a encore du chemin à faire.

Ce n’est pas un vrai démocrate, en tout cas pas dans le sens où la locution a évolué avec la renaissance européenne puis la révolution industrielle. Acteur infatigable, aujourd’hui encore à 83 ans, il est de tous les coups, de toutes les intrigues, dans toutes les coulisses, de tous les complots, à la mort à la vie.

On l’envoie en prison, il ne renonce pas. On le torture, il ne se repentit pas. On lui envoie un colis piégé qui lui explose au visage, il n’en meurt pas. Si bien qu’au pied de la tombe de Hassan II au moment de son enterrement, il ne peut s’empêcher de se dire : « j’ai vécu jusqu’à ce que j’ai pu connaître le décès de Hassan II et assister à ses obsèques. » Au journaliste qui lui demande : «  car c’était vous qui deviez être mort après avoir reçu le colis piégé ? », il répond : « Oui, bien entendu. Je dis toujours que je suis né en janvier 1973, c’est-à-dire après avoir échappé au colis piégé. »

Cet étrange échange est l’un des moments forts de l’ouvrage-entretien Eclairages sur le Sahara mené patiemment par le journaliste Youssef Jajili. D’un personnage de l’épaisseur historique de Mohamed Elyazghi, on attend beaucoup, surtout que l’ouvrage, en dépit de son titre, ne résiste pas au poids qui le tire vers un livre de mémoire. En dehors du Sahara, le lecteur doit se contenter de peu. L’inertie et sa force de gravité ont eu raison d’un livre qui promettait. Les efforts méritoires de l’interviewer ne changeront pas grands chose à ce pas mal de sectarisme et à l’absence d’un début d’autocritique. Pour les mémoires des hommes politiques, le Maroc attendra.